Aujourd’hui, c’est le jour de la présidentielle au Kenya. 22,1 millions d’électeurs sont appelés aux urnes, dont un peu moins de 40% de jeunes, pour désigner leur futur chef d’Etat. Deux candidats sont donnés favoris, le vice-président actuel William Ruto, 55 ans, et Raila Odinga, 77 ans, vétéran de l’opposition, soutenu depuis 2018 par le chef de l’Etat sortant et son parti, au pouvoir depuis 2013, et dont l’heure du bilan a sonné.

par Lyes Sakhi
Cet Etat d’Afrique de l’Est, qui a connu durant ces dix dernières années une avancée importante en matière d’infrastructures, notamment électriques et énergétiques, demeure en situation économique et climatique difficile. Cela en raison d’une inflation galopante, de la corruption, un taux de chômage pesant chez les jeunes et une sécheresse qui fragilise le secteur agricole dans le nord du pays, qui connaît une très mauvaise pluviométrie depuis trois ans. Le climat politique, lui, reste traditionnellement marqué par des heurts entre groupes rivaux, le plus souvent animés par des réflexes électoraux d’essence tribale, et par une contestation récurrente des résultats des scrutins. Ainsi si les deux candidats favoris acceptent le verdict du scrutin du mardi 9 août 2022, ce serait une première depuis 2002, signalent les observateurs de la scène politique kényane. Les contentieux post électoraux, expliquent-ils, sont en effet récurrents depuis l’instauration du multipartisme fin 1991 et nourrissent un désenchantement ordinairement relevé par les médias kényans, en particulier chez les jeunes. Selon les chiffres officiels, trois Kényans sur quatre ont moins de 34 ans, et beaucoup parmi eux se détournent d’un jeu politique qu’ils jugent vicié par la corruption. Ils sont 5% de moins, comparé à 2017, à s’être inscrits sur les listes électorales cette année, contrairement aux plus de 35 ans dont le nombre a augmenté, indiquait en juin dernier la Commission électorale du Kenya (IEBC) inquiète par ce désintérêt pour la politique. «Nous avons fait beaucoup de sensibilisation pendant la période d’inscription sur les listes électorales, (…), mais l’apathie des électeurs est encore trop élevée», a déclaré à ce sujet, à l’AFP, Amina Soud, chargée de l’éducation, au vote à l’IEBC. Pour les séduire, les candidats ont rivalisé d’astuces durant la campagne électorale, multipliant les publications sur les réseaux sociaux, TikTok en premier, distribuant tee-shirts, casquettes, parapluies, voire de la farine de maïs – l’aliment de base dans le pays – aux personnes qui assistaient à leurs meetings où l’argent n’y était pas non plus absent. Les petites coupures ont coulé à flots, et le ministre de l’Intérieur Fred Matiangi a même évoqué mercredi 3 août, selon l’AFP, une «pénurie» de billets de 100 et 200 shillings dans les banques. Ces pots-de-vin, pourtant passibles d’une amende pouvant aller jusqu’à 2 millions de shillings kényans (environ 17 000 euros) et six ans d’emprisonnement, n’ont rien de nouveau. Mais ces recettes de campagne, auxquelles les candidats en lice ont ajouté les bandes dessinées en «sheng» – l’argot local mêlant anglais et swahili – n’ont pas suffi pour mobiliser les jeunes électeurs. Cinq millions d’entre eux sont sans emploi, selon des chiffres officiels publiés en 2020. Il reste que le positionnement des jeunes électeurs est une des inconnues du scrutin, relèvent également les observateurs. La jeune génération, réputée moins encline à voter sur la base d’appartenance tribale, pourrait apaiser les tensions politico-ethniques qui secouent souvent le Kenya en période électorale, veulent croire ces analystes. Bien que moins centrés sur les questions communautaires, les jeunes paraissent toutefois dépourvus de «stabilité idéologique» et de convictions politiques, selon l’analyste politique Francis Owuor. «Tout le monde (est) à blâmer pour ça, tant la population que les dirigeants, mais les dirigeants sont aux responsabilités, c’est donc en grande partie de leur faute», estime-t-il pour l’AFP.
Les connaisseurs du système politique kényan vont également regarder ce qui va se passer dans la région du Mont Kenya, la plus peuplée, la plus influente et la plus représentative des mécaniques politiques complexes du pays. C’est aussi la terre sacrée des Kikuyu, l’ethnie la plus nombreuse du pays, dont la croyance veut que Dieu réside dans ce volcan au sommet enneigé, entouré de vallons croulant sous les manguiers, bananiers et autres caféiers. Trois des quatre présidents du Kenya indépendant – Jomo Kenyatta, Mwai Kibaki et Uhuru Kenyatta, fils de Jomo – sont issus de cette communauté qui compte également de grandes fortunes et d’importants lobbies. Dans un pays marqué par le vote tribal, le Mont Kenya avait largement voté Kenyatta aux deux dernières présidentielles. Mais aujourd’hui, ses quelque six millions d’électeurs – sur 22 millions – ont le choix entre deux candidats principaux hors de la communauté, un Kalenjin, William Ruto, et un Luo, Raila Odinga. Kalenjin et Kikuyu se sont entretués dans la toute proche vallée du Rift il y a quinze ans, en 2007-2008, lors de violences post-électorales qui ont fait plus de 1 100 morts et laissé une blessure profonde. n