De tous les chefs d’Etat conviés à assister au 60e anniversaire du recouvrement de la souveraineté nationale, il faut bien avouer que le Président tunisien a été le plus scruté par les médias, tant les relations entre l’Algérie et la Tunisie ont de tout temps bénéficié d’un traitement spécial.
Cette fois, plus qu’aucune autre, Kaïs Saïed était très attendu par Alger. Les spécialistes auront noté le tapis rouge déroulé à notre voisin de l’Est, non pour espérer des dividendes commerciaux, mais plutôt pour se rassurer sur l’état de la nation tunisienne, fortement éprouvée par une crise économique aiguë, en plus d’une impasse politique.
Mais l’évidence prônerait néanmoins l’inquiétude d’El Mouradia d’un alignement de Tunis sur les thèses de normalisation avec l’entité sioniste.
En effet, plusieurs rumeurs insistantes affirment une reconnaissance de l’Etat d’Israël par la Tunisie, qui emboiterait le pas au traité d’Abraham qui a vu les Emirats, Bahreïn, le Soudan et le Maroc admettre une normalisation avec Tel Aviv sans aucune contrepartie pour le peuple palestinien. Ne faisant aucune référence à la normalisation au cours de son séjour à Alger, on relèvera quand même la déclaration du Président tunisien, en mai 2021, affirmant que «ce n’est pas une situation normale pour un être humain de vivre sous l’occupation, et il n’est pas normal que vous ayez des relations avec l’occupant». Et de rajouter également que «chaque pays est libre dans ses choix (concernant les relations avec Israël), mais la question est liée à la trahison et à ceux qui nient le droit légitime du peuple palestinien à sa terre et à ses lieux saints (…) Je ne pense pas que c’est une chose normale, quand on nie à un peuple son plein droit à sa terre et à ses lieux saints, et qu’on refuse de reconnaître à la nation tout entière son droit à la Palestine, à la ville sainte Jérusalem, et à la mosquée Al-Aqsa.»
Une déclaration qui ne souffre d’aucune ambiguïté sauf que pour tous les pays «normalisés» avec l’entité occupante de la Palestine tout avait commencé par des rumeurs pour que les Etats-Unis se chargent du reste, c’est-à-dire les menaces, le chantage et… les promesses d’aides économiques et politiques dès le paraphe de la reconnaissance d’Israël.
Des rapports hébreux et arabes d’ailleurs ont reconnu le rôle perturbateur et d’empêcheur de tourner en rond de l’Algérie quant au désir affiché par certaines parties tunisiennes, non citées, favorables à la normalisation, et ont parlé des efforts inlassables de l’Algérie pour s’opposer à la chute de la Tunisie dans le piège de la normalisation avec l’entité sioniste.
C’est sans doute pour cela qu’Alger a aussi invité le Secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail, Noureddine Taboubi, l’un des principaux opposants à la politique actuelle de Kaïs Saïed. Une invitation, notent les observateurs, qui sonne comme un message politique apparent de l’Etat algérien au Président tunisien, pour souligner qu’Alger n’est pas d’accord, non seulement avec la crise actuelle en Tunisie, déclenchée après l’accaparement de tous les pouvoirs législatifs par ce dernier, mais aussi pour un «éventuel penchant» du locataire du palais de Carthage à une normalisation avec Israël suite à une intervention des Etats-Unis dans les coulisses, car Noureddine Taboubi a dernièrement évoqué des lobbies sionistes cherchant à amener la Tunisie dans la normalisation dans le but de cerner l’Algérie.
De tout cela, il n’en a pas été question officiellement, mais cela n’a pas empêché Kaïs Saïed d’envoyer, solennellement, un message clair quant à son refus de la normalisation, lors de son périple algérien que «l’anniversaire de l’indépendance de l’Algérie nous permet de nous remémorer l’attachement des Tunisiens, des Algériens et de tous les peuples épris de liberté à leur indépendance, à leur souveraineté et à leur autodétermination».
Et d’ajouter, plus diplomatiquement, après avoir remémoré les dévouements d’un million et demi de chouhada en Algérie, que «le sang tunisien s’est mêlé au sang algérien à maintes reprises durant la Guerre de libération. La fête de l’Algérie est, aujourd’hui, celle de la Tunisie».
Alors, la Tunisie a-t-elle engagé des débats pour normaliser ses relations avec Israël ? Rien de concret pour le moment ne vient étayer cette hypothèse même si la presse israélienne désigne toujours l’Algérie comme «la coupable» qui empêche le rapprochement israélo-tunisien, bien que les autorités tunisiennes aient démenti absolument toute ambition de rapprochement avec ce qu’elles qualifient toujours d’«entité occupante».