L’inflation commence à avoir un sérieux impact sur le coût de la vie des Algériens. Elle s’érige même en grande menace, non seulement contre le pouvoir d’achat des ménages, mais aussi celui des entreprises, dont les coûts de production ont atteint des niveaux inégalés depuis plusieurs années.
Par Hakim Ould Mohamed
La dernière inflation importante remonte à 2012. Elle a été d’origine monétaire, liée à une progression nette de la masse monétaire sans contrepartie productive. Dans le cycle inflationniste actuel, plusieurs éléments sont venus s’y greffer, dont la flambée des cours sur les marchés mondiaux, la hausse des taux d’inflation dans les pays partenaires, la dérégulation des marchés internes, la dépréciation ininterrompue de la monnaie nationale, un marché informel qui semble prendre de l’ampleur… des facteurs de causalité pour le moins complexes. Directement, les Algériens en sont témoins à travers la hausse des prix de l’ensemble des produits alimentaires et non alimentaires. Indirectement, l’impact se fera sentir à travers une augmentation des coûts de production, une fragilisation des trésoreries des entreprises, une chute de l’activité économique et des investissements, une baisse des recettes fiscales… C’est dire que l’impact pourrait se généraliser si des mesures fortes ne sont pas prises, à la fois au profit des ménages et des entreprises. Le Président de la République a annoncé, dimanche, une revalorisation salariale au bénéfice des fonctionnaires. Ce serait la seconde en un laps de temps de moins d’une année ; un signal on ne peut plus clair d’une situation sociale qui serait sur le fil du rasoir. Les précédentes hausses ont pris la forme d’un soutien fiscal aux salaires, à travers la défiscalisation des salaires de moins de 30.000 dinars et une baisse de l’IRG-salaire, parallèlement à la décision d’augmenter le point indiciaire dans la Fonction publique. Ces mesures se sont révélées vite insuffisantes, voire infimes, face à une hausse fulgurante du coût de la vie. Comme l’économie algérienne est importatrice, l’inflation est inévitable, compte tenu d’un contexte mondial tendu. La hausse des prix du pétrole, cette année, a entrainé un excédent de trésorerie, permettant au chef de l’Etat de s’engager en faveur d’une nouvelle revalorisation des salaires. Celle-ci pourrait, néanmoins, se révéler problématique, à l’avenir, pour le budget de l’Etat, si les cours du brut venaient à chuter à nouveau.
Les courbes linéaires des embauches et des investissements
Ce qui revient à dire que la solution repose sur une allocation stratégique des ressources en tenant compte de la qualité des recettes hors hydrocarbures. Malgré cette hausse notable de l’inflation, la banque centrale est restée jusqu’ici de marbre. Selon la dernière note de l’Office national des statistiques (ONS), les prix ont fortement augmenté en glissement annuel (février 2022 / février 2021) pour un taux d’inflation de 9,14% en février 2022, ce qui montre un rythme d’inflation en accélération permanente. La hausse des prix des produits alimentaires a été de +13,4%. La fièvre ne serait pas retombée depuis, puisqu’en avril 2022, à en croire une source de l’ONS, et par rapport à avril 2021, l’évolution de l’indice national des prix à la consommation serait de +10,86%. Les produits alimentaires auraient enregistré une hausse de +15,72 durant la même période de comparaison. De tels niveaux d’inflation n’ont pas été observés depuis plusieurs années, témoignant d’une érosion très dangereuse du pouvoir d’achat des petites et moyennes bourses. En approfondissant, les courbes des salaires n’ont évolué que de peu, alors que celles des embauches et des investissements restent linéaires compte tenu de l’impact de l’inflation sur les entreprises. Tous les groupes de produits importés ont connu des augmentations durant ces deux dernières années. Si elle n’entraîne pas des pertes d’emplois, la hausse des coûts à l’importation a entraîné une suspension des embauches et un gel des investissements au sein des entreprises, faute de pouvoir augmenter les prix, la production et la productivité. Ce serait comme un crime sans victimes.
La banque centrale est confrontée désormais à un arbitrage difficile entre l’inflation et un repli de la croissance. L’Exécutif tenterait de répondre à cette équation par la poursuite, dans la loi de finances 2023, de la politique d’expansion budgétaire entamée cette année, à travers la hausse de l’investissement budgétaire dans certains secteurs hors hydrocarbures, ainsi que par une hausse du budget de fonctionnement afin de prendre en charge les promesses de revalorisation des salaires. C’est une politique à double tranchant, car, tout en suscitant le mouvement escompté, aussi bien dans l’économie que sur le plan social, elle pourrait être insoutenable, à terme, si les recettes de l’Etat venaient à chuter. L’histoire nous a enseigné que les prix du pétrole peuvent augmenter rapidement, mais les inversions peuvent se produire tout aussi rapidement.