Soixante-deux ans sont passés depuis le premier test de l’arme nucléaire de la France dans la région de Reggane (Adrar), opération baptisée «Gerboise bleue». Un triste souvenir qui intervient dans un contexte caractérisé par le chaud et le froid qui marque les relations algéro-françaises ces derniers mois sur fond de contentieux mémoriel.

PAR NAZIM B.
Déplorant que l’Etat français persiste à ne pas reconnaître son passé nucléaire en Algérie et ses ravages continus, des voix des deux côtés de la Méditerranée invitent le président français à reconnaître cette «dette».
Pour l’expert en énergie atomique, Merzak Remki, la France doit assumer son rôle et assister l’Algérie dans la décontamination et la désinfection des sites de ses explosions nucléaires dans le Sahara algérien, où les «effets sur les plans environnemental et sanitaire ont été dévastateurs».
L’assistance de la France pour déterminer la matière nucléaire issue de ces explosions, réalisées par l’armée coloniale à Reggane et In Ikker entre 1960 et 1967, est «primordiale», a-t-il souligné dans une déclaration à l’APS, relevant
qu’il est pour «le moins anormal que la France traite différemment la question de ses explosions nucléaires réalisées en Algérie et en Polynésie».
«Force est de constater, qu’en comparaison avec ce qui s’est passé en Polynésie, les conséquences environnementales et sanitaires des explosions nucléaires effectuées au Sahara n’ont pas suscité le même intérêt de la part de la France officielle et demeurent, aujourd’hui, encore un sujet compliqué à traiter», a relevé l’expert, pour qui l’Algérie «souhaite recevoir la même reconnaissance et que les archives concernant les explosions, menées à partir de 1960 en Algérie, soient accessibles». Pour illustrer davantage ce «manque d’intérêt» de la France à la question des sites ravagés par les explosions au Sahara, M. Remki a rappelé que «l’ancienne force coloniale a signifié un refus catégorique à faire figurer la question des sites d’explosions nucléaires comme domaine de coopération au sein des dispositions de l’Accord algéro-français sur les utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire signées en 2009». Il a toutefois relevé que l’insistance de la partie algérienne à ce que la question des sites contaminés soit coûte que coûte évoquée a, en définitif payé», puisque les deux parties «ont finalement convenu de traiter la question de ces sites dans le cadre d’un groupe de travail algéro-français créé en 2008 pour étudier la question de la réhabilitation des anciens sites au Sahara.
M. Remki a fait savoir, à cet effet, que l’Algérie dispose d’un instrument juridique, en l’occurrence le Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN), pour faire pression sur la France afin de l’amener à rendre des comptes sur les effets néfastes causés à la population algérienne et à l’environnement, rappelant que ce Traité, ratifié par 59 Etats, a été adopté par 122 Etats. Il a relevé qu’une fois ce traité ratifié par l’Algérie, cette dernière peut faire appel à certaines dispositions du TIAN notamment ses articles 6 et 7 – considérés comme des obligations positives – pour le traitement de la question des sites des explosions nucléaires français effectuées à Reggane et In Ekker», soulignant que la ratification du traité «offrirait à l’Algérie la possibilité de solliciter et de recevoir une assistance technique, matérielle et financière d’autres Etats-parties qui sont tenues de coopérer pour faciliter la mise en œuvre du Traité, notamment la prise en charge des victimes et la réhabilitation de l’environnement affecté par les explosions, ce qui renforcera sa demande à la France de réparation».
Pour sa part, l’historien Fouad Soufi a mis en avant que la reconnaissance de la responsabilité de la France quant aux conséquences néfastes de ses explosions nucléaires en Algérie demeure posée plaidant pour l’accès aux archives françaises de l’Armée et des services de santé, liées à cet épisode de la colonisation.
Les conséquences des essais nucléaires sur la vie et la santé de la population algérienne du Sud continuent de poser «le problème de la reconnaissance de la France quant à sa responsabilité dans un événement aussi tragique», a soutenu l’historien, qui dit douter «fort que reconnaissance signifie automatiquement indemnisation, pointant également la politique de deux poids, deux mesures de la France vis-à-vis de l’Algérie et de la Polynésie française s’agissant de la question nucléaire, dont elle a consenti à reconnaître la responsabilité pour cette dernière.
«Je ne peux que rappeler que la Polynésie est française alors que l’Algérie ne l’est plus depuis 60 ans, en plus des 132 ans d’occupation. Je veux dire que le peuple algérien n’a jamais accepté la présence française. J’ignore ce que souhaitent les Polynésiens, mais les responsables français, à mon humble avis, ne peuvent qu’accorder à des citoyens français les indemnisations, les excuses», a indiqué M. Soufi. Par ailleurs, l’application de la loi de reconnaissance et d’indemnisation des victimes des explosions nucléaires de la France, dite «Loi Morin» pose un «réel problème», 12 ans après sa promulgation, selon un expert français, qui a fait observer qu’un seul Algérien a bénéficié, à ce jour, des indemnisations prévues par cette loi.
«La Loi de reconnaissance et d’indemnisation des victimes des essais nucléaires de la France, dite Loi Morin, qui permet aux personnes reconnues comme victimes de percevoir une indemnisation compensatrice, a été adoptée 14 ans après la fin des essais de la France en Polynésie», a indiqué, dans un entretien à l’APS, Tony Fortin, chargé d’études à l’Observatoire des armements (France).
Relevant que cette loi permet aux personnes reconnues comme victimes de percevoir une indemnisation compensatrice, M. Fortin a fait remarquer qu’au bout de «10 ans de mise en œuvre, nous observons qu’une seule personne résidant en Algérie a pu en bénéficier, ce qui est incompréhensible et ne correspond en rien à la réalité».