Vers quoi s’oriente la guerre en Ukraine ? Une année après le début des «opérations spéciales» déclenchées par la Russie contre sa voisine, la réponse à cette question semble avoir été fournie par les chefs d’Etat russe et américain dans les discours qu’ils ont prononcés à des heures différentes de la journée d’hier. Les deux présidents se sont envoyés des messages et des mots à valeur de missiles, indiquant qu’aucun d’eux n’acceptera la défaite dans le bras de fer dans lequel ils sont désormais engagés. Le conflit, lui, a de mauvais jours devant lui.
Par Halim Midouni
Le premier, Vladimir Poutine, s’est exprimé chez lui à Moscou lors de son grand discours annuel devant l’élite politique de son pays. Le deuxième, Joe Biden, qui s’était rendu auparavant secrètement à Kiev pour apporter ensuite son soutien public au président ukrainien Volodymyr Zelenski, l’a fait à Varsovie en Pologne, un pays frontalement hostile à Vladimir Poutine et, plus le temps passe, en phase de devenir la grande place forte de l’Otan et des forces américaines en Europe.
Le discours du chef de Kremlin a été marqué par son affirmation de poursuivre «méthodiquement» les opérations militaires dans les zones de guerre en Ukraine, par l’accusation portée contre les Occidentaux de vouloir stratégiquement «en finir une bonne fois pour toutes» avec la Russie, et par sa réaction qu’il leur est «impossible de battre la Russie sur le champ de bataille». «La responsabilité de l’escalade dans le conflit ukrainien et ses victimes (…) repose totalement sur les élites occidentales», a encore dit le président russe, reprenant sa thèse selon laquelle l’Occident appuie des forces néonazies en Ukraine pour y consolider un Etat antirusse.
Les «Occidentaux responsables de l’escalade»
L’intervention de M. Poutine a été également caractérisée par son annonce de suspendre le traité New Start signé avec les Etats-Unis en 2010 sur le désarmement nucléaire. «Ils veulent nous infliger une défaite stratégique, s’en prennent à nos sites nucléaires, c’est pourquoi je suis dans l’obligation d’annoncer que la Russie suspend sa participation au traité (New) Start», a-t-il déclaré. Sa décision a provoqué la réaction du secrétaire d’Etat américain Antony Blinken qui a qualifié la décision de Moscou sur le traité New Start de «très décevante et irresponsable», «mais bien évidemment nous restons prêts à discuter sur la limitation des armes stratégiques à n’importe quel moment avec la Russie indépendamment de tout ce qui se passe dans le monde ou dans nos relations», a-t-il ajouté. «Nous surveillerons attentivement pour voir ce que la Russie fait réellement», a aussi indiqué le secrétaire d’Etat américain.
Pour sa part, le secrétaire général de l’Otan a dit regretter l’annonce russe : «Je regrette la décision annoncée par la Russie aujourd’hui de suspendre sa participation au traité New Start», a déclaré Jens Stoltenberg au cours d’une conférence de presse à Bruxelles. «J’appelle la Russie à revoir sa position (…) Plus d’armes nucléaires et moins de contrôle des armements rendent le monde plus dangereux», a-t-il déclaré.
L’allocution du président des Etats-Unis s’est distinguée par la confirmation de l’aide militaire de son pays à l’Ukraine. «Il ne devrait y avoir aucun doute : notre soutien à l’Ukraine ne faiblira pas, l’Otan ne sera pas divisée et nous ne lâcherons pas», a-t-il dit devant une foule rassemblée devant le château royal de Varsovie. Plus tôt dans la matinée, il a déclaré que l’Alliance atlantique est «plus forte que jamais», lors d’une rencontre des délégations polonaise et américaine, partiellement retransmise par les télévisions locales. De son côté, le chef de l’Etat polonais Andrzej Duda a insisté sur le fait que, grâce à Joe Biden, «on voit que l’Amérique est capable de veiller à l’ordre mondial».
Aujourd’hui, le chef de la Maison Blanche va rencontrer les dirigeants des neuf pays européens issus de l’ancien bloc communiste ayant rejoint l’Otan, confirmant son retour en Europe et sa démonstration comme l’acteur géostratégique de premier plan, trente ans après la fin d’une guerre froide qu’on croyait finie comme l’Alliance atlantiste et qui revient aujourd’hui de plus belle au grand bénéficie des Etats-Unis et de son complexe militaro-industriel.
Suspension du traité sur les armes nucléaires
Quid de l’avenir ? La réponse la plus évidente, selon les déclarations des présidents russe et américain, est que le conflit en Ukraine va se poursuivre encore pour de longs mois et gagner en intensité suivant le scénario jusqu’auboutiste de part et d’autre décrit hier par le chef du Kremlin Vladimir Poutine.
Selon ses mots, ce sera à qui s’épuisera le premier, rendant la situation internationale promise à une instabilité et à de nouveaux redéploiements géostratégiques où il s’agit, même pour les pays qui ne sont pas directement concernés par le conflit, de ne pas être dans le camp des perdants.
Une autre réponse est à envisager en regardant dans le rétroviseur et en examinant ce qui s’est passé depuis le 24 février 2022, début des «opérations spéciales» russes en Ukraine. Les sanctions économiques lancées par les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux contre la Russie n’ont pas eu les résultats escomptés. L’impact «apocalyptique» attendu sur l’économie russe par l’annonce par exemple du recul de son PIB de -10 % ne s’est pas produit.
Les estimations actuelles se chiffrent à -2,2 %, faisant dire au président Poutine, hier, que les Occidentaux «ne sont arrivés à rien et n’arriveront à rien». «Nous avons assuré la stabilité de la situation économique, protégé les citoyens», a-t-il fait observer. Selon lui, la baisse du PIB en 2022 de seulement 2,1% est un succès. Il a aussi assuré que l’inflation allait bientôt se stabiliser près de son objectif de 4% annuelle.
Sanctions et effet boomerang
La Chine qui a dépêché depuis hier son chef de la diplomatie pour deux jours à Moscou et dont il va falloir observer davantage le comportement dans les mois à venir, a permis à la Russie de contourner les sanctions occidentales. Il en est de même pour l’Inde, mais aussi de la Turquie, du Kazakhstan et d’autres pays de la région qui ont permis à l’économie russe de maintenir ses exportations voire les accroitre dans les domaines énergétiques et des biens à haute technologie.
Mardi 21 février, Pékin a appelé à «promouvoir le dialogue» en Ukraine, se disant «très inquiète» du conflit qui «s’intensifie et devient même hors de contrôle». <