Par Nadir Kadi
Le mouvement de protestation des avocats contre les nouvelles dispositions fiscales de la loi de finance 2022 pourrait bien se prolonger dans les prochains jours. La corporation, qui avait annoncé, samedi, par la voix de l’Union nationale des ordres des avocats (Unoa), qu’elle boycottera les audiences jusqu’au 2 décembre, se dit en effet déterminée à se faire entendre en cas d’absence de réponse du gouvernement.
En ce sens, contacté hier, Maître Farouk Ksentini regrette la tournure des événements, mais n’écarte pas une nouvelle décision de grève en cas d’absence de réponse des autorités : «La prolongation de la grève n’est pas exclue (…) Je suis contre les épreuves de force, l’Etat a suffisamment de soucis actuellement pour ne pas en rajouter (…) mais il faut comprendre que pour les avocats, il s’agit d’une question de vie ou de mort, nous sommes dos au mur.» D’autres avocats contactés hier nous ont, quant à eux, précisé que des «contacts», voire des «discussions», seraient en cours entre le Bâtonnat et le gouvernement, sans plus d’information pour le moment sur une éventuelle «poursuite du mouvement», ils déclarent «s’attendre» aujourd’hui jeudi à de nouvelles annonces de l’Unoa.
Mouvement de grève décidé, pour rappel, suite à l’annonce et au maintien de la réforme de la fiscalité des avocats dans la Loi de finance 2022, adoptée par les deux chambres de l’APN. Maître Farouk Ksentini nous explique en substance que la colère des avocats a davantage été déclenchée par la «manière unilatérale» dont la réforme s’est engagée. «J’estime que cette façon inélégante, et même inacceptable, de rehausser de cette manière le taux d’imposition des avocats est une forme de déclaration de guerre.» L’avocat, qui se dit disposé pour une hausse d’impôt, ajoute toutefois que cette hausse est disproportionnée. Je n’ai rien contre le principe de l’impôt ou que l’Etat veuille le rehausser (…) mais pas aussi brutalement, sans concertation ni dialogue (…) Par ailleurs, il s’agit d’une hausse faisant passer de 12,5% à 37,5%. C’est violent, unilatéral et inattendu. J’estime que c’est une forme de mise à mort de la profession», a-t-il indiqué.
Corporation qui avait en ce sens demandé le gel de la réforme et l’engagement d’une discussion pour l’instauration d’un système de prélèvement à la source, jugé plus «équitable». Une telle revendication apparaît de plus en plus incertaine après l’adoption de la loi. Maître Farouk Ksentini ajoute en ce sens : «Je pense que nous avons besoin d’une intervention du Président de la République pour arrêter ce processus. Nous l’avons sollicité au travers d’une lettre du Bâtonnier national (…) A ma connaissance, il n’y a pas encore eu de réponse.» L’avocat déclare entre les lignes que lui et ses confrères «regrettent» la situation : «Nous sommes des gens pacifiques, nous demandons uniquement à être traités correctement et notamment sur le plan fiscal.» Il ajoute également, à propos des conséquences du mouvement sur le déroulement des affaires en cours : «Oui, cela dérange et porte préjudice à tout le monde.» La responsabilité incomberait toutefois au gouvernement : «Il aurait suffi de se mettre autour d’une table pour trouver des solutions consensuelles et équitables.»
Quant aux conséquences que pourrait avoir l’entrée en application de la hausse de la fiscalité sur la corporation des avocats, notre interlocuteur estime qu’un certain nombre de cabinets d’avocats pourraient être contraints de stopper leur activité. Une situation qui aura, à son tour, des répercussions sur l’accès des citoyens à la justice et au conseil juridique.
Ainsi, en nous laissant entendre que beaucoup de ses confrères rencontrent déjà des difficultés à cause, entre autres, du nombre important d’avocats en activité, mais aussi suite à la «paupérisation» des citoyens «qui ont des difficultés de payer un avocat», Maître Ksentini ajoute : «Il est clair que des cabinets d’avocats vont fermer (…) Il faut préserver ce métier, il a un rôle social extrêmement important.» Si la loi venait à être appliquée en l’état «les citoyens seront de moins en moins défendus (…) d’autant que la loi est difficilement lisible pour le citoyen et même pour les avocats», met en garde l’avocat et ancien président de la Commission nationale des droits de l’Homme. n