Le procès des deux anciens ministres de la Solidarité et de la Famille, Djamel Ould Abbès et Saïd Barkat, s’est poursuivi hier au Tribunal de Sidi M’Hamed et a été marqué par la lecture du réquisitoire du Procureur de la République. Une démonstration accablante pour les deux ex-ministres et leurs co-accusés auxquels il est reproché plusieurs affaires de «détournement et dilapidation» de deniers publics, de «conclusion de marchés en violation de la législation», et «d’abus de fonction».
Une peine de «12 ans ferme, 1 million de dinars d’amende et la saisie de ses biens» ont ainsi été requis contre Djamel Ould Abbès. «Dix ans de prison ferme et 1 million d’amende» à l’encontre de son successeur Saïd Barkat, ainsi que 10 ans ferme et une amende d’un million DA «avec confiscation de tous les revenus et fonds illégaux» contre l’ex-président de l’Organisation nationale des étudiants algériens, Hamza Chérif. Des demandes qui ont immédiatement été rejetées par la défense. L’un des avocats de la partie civile, pour qui l’enquête et le jugement n’ont pas réussi à «prouver les faits de manière irréfutables», nous précisera en marge de l’audience que la défense «ferait immanquablement appel» en cas de condamnation.
Procès ouvert, pour rappel, le 9 septembre dernier après un report de près de vingt jours. La procédure et le réquisitoire d’hier ont néanmoins laissé entrevoir l’existence d’un véritable «système» de corruption et de détournement des budgets du secteur de la Solidarité et de la Famille, sous les ministères Ould Abbès et Barkat. Et le «procédé» était relativement simple, selon l’accusation, qui précise que les deux accusés et leurs complices avaient recours aux «services» d’associations caritatives «intermédiaires» pour l’achat de matériel. Des équipements en partie «disparus» et sans jamais «profiter aux principaux intéressés». Ainsi pas moins de 1 857 milliards de centimes se seraient également retrouvés sur les comptes de quatre associations, dont trois «propriété» de Djamel Ould Abbès lui-même. «L’enquête a prouvé que ces associations n’étaient que des intermédiaires, qu’un moyen d’échapper à la loi sur les marchés publics», précise ainsi le Procureur. L’accusation ajoutera que le détournement et la dilapidation de l’argent public se faisaient au travers de «marchés opaques» d’acquisition d’autobus de transport scolaire, en donnant notamment pour exemple l’achat «sur la papier» de 157 bus pour les sinistrés d’inondations dans la wilaya de Ghardaïa, alors que «seuls 9 sont effectivement arrivés sur place». Ajoutant par ailleurs que le successeur de Djamel Ould Abbès avait suivi le même principe, le Procureur explique «Saïd Barkat a juste écarté les associations de Ould Abbès», pour ne «travailler» qu’avec «l’Organisation nationale des étudiants dirigée par Hamza Chérif», en rappelant que ce dernier était également «chargé d’études et de synthèses» pour le compte ministère de la Solidarité.
Procès qui évoque également le «détournement de billets d’avion» initialement destinés aux étudiants issus des régions du Sud du pays, ou encore la dilapidation de 1 200 milliards de centimes par l’Association de solidarité, de paix et de perspectives présidée par Ould Abbès, lors de l’organisation du «plan bleu» et des colonies de vacances à Boumerdès au profit d’enfants du sud du pays. L’autre «dossier» emblématique de la mauvaise gestion du secteur reste également «l’affaire» de l’acquisition et de la distribution des «1 200 ordinateurs» destinés aux lauréats du Bac en 2008, mais dont une partie seulement a réellement été distribués aux bacheliers, le «reste», soit 227 appareils, auraient servi de «cadeaux» au profit de «journalistes et de sportifs alors que d’autres ont disparu». Le «marché» des 1 200 pc, passé de gré à gré avec trois entreprises, aurait coûté 680 milliards de centimes.
Aucune «preuve irréfutable» selon la défense
Réquisitoire des près d’une heure, durant lequel le Procureur a égrené les résultats de l’enquête et de la procédure judiciaire, en insistant à plusieurs reprises sur le fait que les deux accusés avaient «trahi» la confiance qui avait été placée en eux. Qu’ils avaient détourné des fonds qui auraient dû «profiter à la catégorie la plus vulnérable de la société». Les accusations ont toutefois été réfutées «en bloc» par la défense. L’avocat de Djamel Ould Abbès a en ce sens précisé durant sa plaidoirie que le recours à des associations pour l’achat de matériel s’expliquait «simplement» par l’urgence. «L’ampleur de la tâche a nécessité que le ministère ait recours à des associations (…) La loi consacre d’ailleurs le recours à la société civile pour ce type d’opération». Le même avocat ajoutant que les trois associations n’ont pas été les seules bénéficiaires. «On donne ici l’impression qu’il n’y a que trois associations, alors qu’il y avait à cette époque 60 accords d’aide entre autant d’associations et le ministère de la Solidarité». Quant à la «disparition» des autobus, la défense explique qu’une enquête plus approfondie permettrait de les retrouver, assurant qu’ils ont bien été distribués à des associations et des communes. Le même avocat mettant par ailleurs en doute l’ensemble de la procédure en déclarant, durant son plaidoyer : «Dans ce dossier, j’ai ressenti qu’il n’y a pas de volonté d’arriver à la vérité (…) Nous attendons des preuves irréfutables et le Procureur de la République parle au conditionnel». La défense estime par ailleurs que les rapports de l’IGF montrent que les comptes du ministère «étaient à jour» et «validés». La défense, explique-t-il en substance, se base sur «les rapports de l’IGF (…) Ould Abbès n’aurait pas pu détourner de l’argent que le ministère n’avait pas». Quant aux 1 200 pc, l’avocat de la défense a relativisé l’importance de cette affaire. «Nous avons démontré que la majorité ont effectivement été distribués aux bacheliers, à des athlètes handicapés qui passaient également l’épreuve du bac ainsi que lors de concours de lecture du Coran… S’il en manque peut-être, ce n’est certainement pas un détournement de plusieurs milliards». <