Les résultats du référendum sur la révision constitutionnelle continuent de susciter les débats un peu partout notamment au niveau d’une partie de la classe politique de l’opposition qui a appelé à l’annulation de la consultation populaire. Selon la constitutionnaliste Fatiha Benabbou, il y deux lectures à faire, la première juridique et la seconde politique, mais c’est la seconde qui a prédominé pour les résultats du référendum de dimanche dernier.

«Il y a deux lectures pour les résultats. La lecture juridique qui oblige d’accepter le taux de participation quel que soit le seuil, car il n’y a pas une la loi qui dit qu’en-dessous de tel ou tel taux, la consultation n’est plus valable, d’où on considère que ‘’qui ne dit mot consent’’. Donc sur le plan de la légalité, le texte est légal, la participation est valable», a déclaré Mme Benabbou. Elle ajoutera qu’il ne faut pas occulter que «la Constitution est certes une norme», mais c’est aussi «un texte politique, c’est la Loi fondamentale de l’Etat qui engendre l’organisation des rapports politiques, des droits fondamentaux, etc., soit les principes essentiels et fondamentaux de l’Etat». Ce qui la pousse à dire que la lecture politique doit aussi être faite sur la base des résultats obtenus. «Si on fait une lecture politique – et on appelle ça la légitimité qui est le consentement du peuple car il faut partir du principe que la Constitution est l’œuvre du peuple et que le pouvoir constituant est l’œuvre du peuple –. et à partir du moment où la majorité absolue du peuple n’a pas voté, il y a un message sur le plan politique», a-t-elle argumenté.
En tant qu’académicienne, Mme Benabbou a souligné qu’il ne faut pas prendre le taux de participation d’une manière globale, se disant contre ceux qui avancent un taux d’abstention d’environ 75% ou plus. «Il y a un très fort taux d’abstention, mais il faut savoir distinguer. Je suis académicienne, et je dois dire la vérité. De tout temps, il y a eu les marginaux et les désenchantés qui n’ont jamais voté car ils ne croient pas que leur vote change quelque chose, et ce, quel que soit le vote». Elle a ajouté qu’il y a une autre catégorie de non-votants car pour eux la consultation référendaire n’a pas d’enjeu politique. «Il n’y a pas d’enjeu politique, ce n’est pas comme une élection présidentielle, notamment comme celle de décembre 2019 qui avait pour but de ne pas laisser l’Etat s’effondrer, la Présidence de la République étant une institution capitale et la non-tenue de cette présidentielle pouvait faire chanceler l’ordre institutionnel algérien et c’était très grave. Mais là, il n’y a pas d’enjeu car si cette Constitution ne passe pas il y a toujours celle en vigueur…». Elle poursuit en expliquant qu’il y a donc une partie qui englobe «les marginaux, les désenchantés et ceux qui estiment que la consultation n’a pas d’enjeu politique et qui ne votent pas. Tout ceux-là représentent un taux même s’il n’est pas déterminé».
Une autre catégorie est citée par la constitutionnaliste, celle des «abstentionnistes», qui veulent «adresser un message politique au pouvoir disant ‘’nous ne sommes pas concernés par votre Constitution parce qu’on n’a pas été intégré’’ dans sa confection». Cette fois-ci, a noté notre interlocutrice, «il y a eu un nombre important de ces abstentionnistes, et si on rajoute le nombre le ‘’non’’, je pense qu’on peut dire que la Constitution a été repoussée par la majorité».
Pour elle, cette proportion des boycotteurs qui exprime un «refus implicite» et la proportion de «non express» devrait «faire réfléchir» car, estime-t-elle, «la Constituions ne doit pas diviser mais unir le peuple autour d’un acte. En somme, il vaut mieux s’en passer que diviser le peuple».
«Ma lecture politique, c’est que le texte n’a pas réuni la légitimité nécessaire du peuple et dans ce cas, il va plus diviser que réunir le peuple autour du projet. Selon la constitutionnaliste, «le président de la République» peut «agir» selon une disposition constitutionnelle. «Je pense que cela devrait faire réfléchir le président de la République puisque le texte a été repoussé par une grande majorité». Il y a une marge de manœuvre dans la présente Loi fondamentale à travers laquelle une solution pourrait être trouvée, selon la constitutionnaliste. «Nous avons dans la Constitution l’article 209 qui dit que dans le cas où le projet de la révision constitutionnelle a été repoussé par le peuple, le projet devient caduc». Mme Benabbou a tenu à préciser qu’«il ne s’agit pas d’annulation du texte, mais de sa suspension». Elle va plus loin en soulignant que «le nouveau texte pourrait être reproposé plus tard, peut-être dans quelques années, avec une nouvelle législature». Fatiha Benabbou insiste que c’est «l’article 209 de la Constitution qui suspend le texte proposé par le biais de la caducité du moment qu’il n’a pas obtenu le consensus souhaité». Sur un autre chapitre, concernant le timing, comme une bonne partie de ceux qui se sont prononcés sur ce point, Mme Benabbou a noté que le moment n’était pas propice pour présenter une nouvelle Constitution. Le contexte ne s’y prêtait pas, et ce, sur plusieurs plans. «Au mois de mai déjà, j’avais dit que si le président de la République m’écoutait, je lui conseillerais de repousser un peu la révision de la Constitution, le tempo n’étant pas adapté ni convenant en raison de la conjoncture difficile que traversait le pays». Pour elle, le pays vivait une situation «grave sur le plan politique» à laquelle était venue s’ajouter «la crise sanitaire due au coronavirus». Ce sont autant de raisons et d’éléments qui ont fait que le moment choisi pour une nouvelle Loi fondamentale n’était «pas adéquat» pour une consultation référendaire, qui reste «une consultation qui n’est pas déterminante pour le pays car sans enjeu politique». <