Les exportations hors hydrocarbures occupent à nouveau le débat économique et commercial en Algérie. A l’origine de ce regain d’intérêt, l’annonce toute récente du ministère des Affaires étrangères de s’engager dans l’appui et l’accompagnement de nos opérateurs sur les marchés extérieurs. Mais est-ce que cela sera suffisant pour enchanter un segment fragile de notre commerce extérieur ? Les experts et les associations patronales applaudissent, mais plaident d’abord la révision du régime des changes qu’ils considèrent comme un véritable obstacle au business et un frein au développement des activités export.
Par Nordine Azzouz
Exportations hors hydrocarbures, un nouveau départ ? Aux quelques opérateurs à qui elle est posée, la question fait sourire. «Avec deux milliards et des poussières en 2020, ce n’est pas le jackpot», réagit Ali Boumediène, patron de Bomare et lauréat du prix du meilleur exportateur pour l’année 2019. Ce propriétaire d’une entreprise spécialisée dans la fabrication de téléviseurs et d’équipements électroménagers estime nécessaire d’avoir «davantage de monde dans le milieu algérien de l’export et moins de difficultés réglementaires et administratives à condition d’éviter un nouveau effet Covid comme en 2020», pour espérer atteindre les 4 à 5 milliards de dollars annuellement.
En citant ces chiffres, cet opérateur fait référence à l’objectif que se fixe le gouvernement en matière de recettes d’exportations. Le 3 mars dernier, lors de la signature d’une «convention de soutien aux jeunes promoteurs dans leurs activités» à l’international avec son homologue des micro-entreprises Nassim Diafat, le ministre du Commerce, Kamel Rezig, s’est même laissé aller au chiffre de «5 milliards de dollars» hors revenus pétro-gaziers. «Il faudra beaucoup d’efforts pour y arriver», commente Ouahiba Bahloul, Directrice générale de la Chambre de commerce et d’industrie (Caci). Interrogée par Reporters au lendemain d’un «webinaire» sur l’exportation des services, le 14 mars 2021, elle ajoute que les «intentions sont bonnes», mais que le terrain reste «parsemé d’embûches».
Au premier rang des contraintes, les «tracasseries administratives et bureaucratiques» et le «régime des changes qu’il faut revoir impérativement», a indiqué Mme Bahloul. «Tous les opérateurs et intervenants de la chaîne des exportations sont unanimes à revendiquer une réforme de ce régime», insiste le président de l’Association nationale des exportateurs algériens (Anexal). Dans l’entretien accordé à Reporters, Ali-Bey Nasri se montre plus tranchant : «La révision de la réglementation des changes ne relève plus du souhait, mais de l’exigence», clame-t-il.
«Ou bien on continue comme si de rien n’était et on poursuit le confinement de l’opérateur algérien performant au seul marché national, sous la cloche d’une réglementation d’un autre temps et que les prudences de la Banque d’Algérie ne justifient pas, en ce qui concerne certaines de ses dispositions, ou bien, on saute le pas pour le bien de l’entreprise et de l’économie du pays», s’exprime-t-il encore sur le même ton.
«Entre les deux attitudes, ajoute-t-il, le choix doit être vite fait. Certaines de nos PME sont en situation de pouvoir et de devoir mieux s’exprimer à l’international. Si elles ne le font pas comme elles le souhaitent, la concurrence ne leur laissera pas de place et finira même par proposer ses produits ici-même en Algérie à la faveur des accords signés, par exemple, pour la zone libre-échange continentale africaine».
Par «mieux s’exprimer», Ali-Bey Nasri entend la liberté pour l’exportateur de «disposer librement de son compte devises» sans restriction de la Banque d’Algérie. Dans un document portant «mesures à très court terme» pour «l’amélioration du dispositif encadrant les opérations d’exportation», son association, l’Anexal, propose de revoir, suivant la même logique, le règlement 14.04 sur les investissements et l’ouverture de bureaux de représentations à l’étranger. Elle recommande entre autres la dispensation de la domiciliation bancaire pour les petites opérations d’importation/exportation, ainsi que l’autorisation «explicite» de l’exportateur à financer «à partir de son compte devise» les opérations et prestations de service telles le transit, le transport, le dédouanement, la publicité, le marketing, la formation… En somme, tout ce que la législation actuelle ne permet pas ou soumet à des restrictions susceptibles de «traduire l’opérateur en justice». L’expression est d’un chef d’entreprise de l’Ouest algérien qui évoque les «problèmes de rétrocession et de rapatriement» des devises, dont une partie est utilisée dans le pays vers lequel il exporte et qu’«on considère comme un défaut de rapatriement»
«Il faut revoir les modalités de rétrocession», répercute M. Nasri, pour mettre l’accent sur «le partage entre l’Etat et l’exportateur de la valeur ajoutée générée par la balance devise», comprenant «le coût de matière première importée pour la fabrication de son produit et le montant de la facture export». Avec quelle chance d’écoute ? «On ne sait pas encore, mais on espère qu’elle sera forte», répondra-t-il à la question sur ces échos selon lesquels le gouvernement serait sur le point de «toiletter» la réglementation des changes.
Dans une déclaration toute récente, l’ancien ministre des Finances, Abderrahmane Benkhalfa, revenu aujourd’hui à son métier d’expertise, déclare qu’il est «avec ceux qui appellent à la révision du régime de change». «Notre système de change doit être revisité et re-modernisé pour créer de l’attractivité, pour fructifier nos capitaux et attirer les capitaux étrangers en veillant aux règles prudentielles et de sécurité, en luttant contre l’évasion des capitaux et le blanchiment, sans pénaliser les courants d’affaires. Notamment pour l’exportation des biens et des services». A suivre, donc.