Entretien réalisé par Jacky NAIDJA
Reporters : Vous avez réussi à réaliser ce que vous vouliez dans ce film documentaire, à savoir la transmission de la mémoire de vos grands-parents, comme un véritable héritage aux générations futures….
Lina Soualem :
Avoir filmé Aïcha et Mabrouk aujourd’hui, plus de 60 ans après leur arrivée en France, m’a permis d’évoquer l’exil, une dérive à long terme. Avec cette idée de dérive, il y a l’idée de la perte irrémédiable de ce que l’on était. Pourtant, à travers ce film et mon voyage en Algérie, je cherche à aller contre cette dérive en tentant de réconcilier les personnages avec leur passé. Comme pour réactiver la mémoire. La mémoire, la base de tout, de la transmission, de la construction. A partir du moment où on ne reconnaît pas cette mémoire, on exclut tous ces gens qui ont contribué à la construction de la société française et de fait leurs enfants et leurs petits-enfants. Au lieu de chercher à les effacer, à empêcher de comprendre l’histoire de chacun, on devrait appréhender ces mémoires collectives, ces expériences collectives comme constitutives de richesses. C’est d’autant plus important, pour nous les petits-enfants, de pouvoir se connecter à l’histoire de nos grands-parents, de nos parents pour mieux comprendre ce qu’ils ont vécu. Pourquoi sont-ils venus dans ce pays et mieux comprendre notre propre place dans ce même pays.

Ce premier film documentaire « Leur Algérie » marque votre premier succès au cinéma. En avez-vous bien conscience et quel est votre état d’esprit, actuellement, au regard du bien qu’on dit du film ?
J’en suis très heureuse, surtout d’avoir pu mener jusqu’au bout un premier film. Un projet que j’ai mené sur plusieurs années, et de pouvoir le présenter aujourd’hui, face au public, c’est plus qu’un rêve qui se réalise. C’est un rêve éveillé !

Vous vous êtes offert la liberté de faire un film en famille, où votre père Zinedine Soualem, acteur français bien connu, a tenu un rôle aux côtés de sa mère Aïcha et son père Mabrouk. Quelles réflexions en tirez-vous ?
Mon père ne joue pas de rôle dans le film, il est lui-même le fils. Le fils de ses parents, et c’est mon père. Comme c’est un film documentaire, les personnages ne jouent pas de rôles. C’est moi qui prend le rôle d’observatrice en tant que réalisatrice et petite-fille pour raconter leur réalité et leur vérité.

Est-ce difficile de diriger trois membres de sa famille et de réaliser in fine un petit chef-d’œuvre aussi émouvant par ses dialogues, accentués par les rires de Aïcha et quelquefois par certains silences ?
J’ai eu la chance de bénéficier du soutien et de la confiance de toute ma famille en faisant ce film. Ce qui m’a permis de capter facilement la réalité des personnages que je filmais. J’étais seule pour le tournage, je filmais et prenais le son. J’étais donc dans un rapport exclusif et intime avec mes grands-parents que je filmais et c’est cela qui a favorisé l’émergence du réel.

Qu’est-ce qui vous a le plus tenté pour réaliser ce film ?
Quand mes grands-parents se sont séparés, je me suis rendue compte que non seulement je ne connaissais rien d’eux ni de leur intimité, mais je ne comprenais pas leur séparation. Je ne connaissais rien non plus de leur histoire d’exil de l’Algérie à la France. Leur silence, tout d’un coup, est devenu très pesant au point que je ressentais un besoin vital de me connecter à eux et de les filmer.
Je voulais connaître leur histoire, en cherchant surtout à briser ce silence et comprendre d’où il venait et ce qu’il cachait avec la peur qu’ils disparaissent sans me transmettre leur histoire. C’est en tentant de comprendre leur séparation et en cherchant l’Algérie en eux que j’ai découvert l’arrachement et la douleur du déracinement longtemps enfouie en eux.

Vous vous apprêtez, dès le 8 décembre, à faire une tournée avec votre film dans plusieurs villes d’Algérie. Dans quel état d’esprit êtes-vous ?
Je suis très heureuse de pouvoir présenter ce film en Algérie, d’autant plus que j’ai eu différents soutiens sur place, et de partager ce bonheur à la fois avec mon père et ma grand-mère qui m’accompagnent lors de l’avant-première à Alger le 8 décembre.

Quel est votre prochain projet au cinéma, car il se murmure que c’est un film sur l’itinéraire de votre mère Hiam Abbès, actrice palestinienne bien connue. Et que vous comptez aller même tourner en Palestine. Est-ce vrai ?
Je travaille, en effet, sur un projet dans la même thématique de la transmission, mais du côté de ma famille maternelle palestinienne, et la façon dont la mémoire se transmet à travers les femmes de la famille et la force de leurs relations. Je ne peux, malheureusement, pas en dire plus, car c’est en cours de préparation.