Entretien réalisé par Sihem Bounabi
Reporters : Quel est votre commentaire suite à la note du ministère de la Santé envoyée le 7 août dernier aux directeurs de santé de wilaya et aux responsables de structures hospitalières, les instruisant de veiller «à l’attribution de cette prime exceptionnelle dédiée à la Covid-19 au profit du personnel réellement exposé au danger» ?
Dr Abdelhamid Salah Laouar : Tout d’abord, il faut savoir que dès le versement de la première prime elle a été généralisée et accordée à l’ensemble du personnel de la santé. Je rappelle qu’elle a été octroyée par le président de la République au profit de tous les professionnels de la santé et que nul n’a le droit d’interférer dans les décisions du Président de la République ni d’entraver ses orientations. Sincèrement, on ne comprend pas pourquoi le ministre tergiverse sur un problème qui a été réglé par le Président de la République. De plus, je ne vois pas comment un responsable peut évaluer les risques d’exposition au danger. Est-ce que cela va concerner seulement les personnes qui travaillent dans les unités Covid ? Sachant qu’il y a autant de risques pour un médecin, qu’il soit généraliste ou spécialiste, qui fait une consultation et est tout autant exposé au risque de contamination à la Covid -19.
Quels sont les critères qui seront pris en considération pour faire la distinction entre les deux professionnels de la santé qui sont exposés aux mêmes risques du danger de la contamination au Covid ?
Prenons l’exemple d’une polyclinique où il n’y a pas d’unité Covid mais où il y a une centaine de consultations de malades par jour. Lorsqu’un malade va consulter un médecin qu’il soit généraliste ou spécialiste pour des symptômes de fièvre ou autres, ce n’est qu’après un examen clinique et des analyses en laboratoire qu’il peut s’avérer que le patient est un malade Covid. Une fois le malade Covid diagnostiqué, et selon son cas, soit on lui donne un traitement et des consignes de mesures préventives et il rentre chez lui, soit on l’oriente vers un service Covid. Donc on voit bien que ces médecins sont tout autant exposé. La question se pose aussi pour les autres corps des métiers, à l’exemple des ambulanciers qui transportent les malades, et les femmes de ménage qui nettoient les chambres des malades en présence des malades. Ne sont-ils pas exposés au danger ? En réalité, tous les professionnels sont exposés au risque de contamination dans le cadre de leur travail. C’est pour cela que nous avons proposé au ministre une solution pour régler les problèmes récurrents liés au versement de la prime Covid une bonne fois pour toutes.
Quelle est la solution que vous avez proposée au ministre pour régler ce problème récurrent de retard dans le versement de la prime Covid ?
On avait formulé, le 7 décembre dernier, lors d’une réunion des représentants de la coalition des syndicats de la santé avec le ministre, où nous avons exposé notre plateforme de revendications, une solution au ministre de la Santé pour mettre fin au problème dû au retard cumulé du versement de cette prime, à savoir remplacer cette prime par une revalorisation de la prime de contagion. Cette prime de contagion couvre tous les risques d’épidémie liés au métier des professionnels de la santé. Il nous avait promis de consulter le chef de gouvernement à ce sujet et de nous donner une réponse dans un délai d’un mois, mais à ce jour nous n’avons pas eu de réponse. Je tiens à rappeler également que depuis cette date, il a exclu tous les partenaires sociaux en rompant le dialogue. Malgré toutes nos tentatives de reprise du dialogue, le ministre préfère travailler en dehors des partenaires sociaux. Certes, il est libre de le faire, mais il devrait assumer les conséquences de ce choix.
Quel est votre commentaire sur le fait que l’un des arguments présentés par le ministre sur une sélection des bénéficiaires de la prime Covid est que l’enveloppe financière consacrée au versement de cette prime pourrait contribuer à la construction de deux hôpitaux ?
C’est une déclaration qui ne tient pas la route. Construire des murs n’a jamais été une solution et ce genre de déclaration risque d’avoir un effet négatif sur la mobilisation du personnel de la santé. De plus, pour la prime Covid il s’agit d’appliquer une décision du président de la République sans tergiverser. Par ailleurs, il est évident que ce n’est pas en construisant des dizaines d’hôpitaux que cela va améliorer la prise en charge des patients. Ce qui va vraiment améliorer la prise en charge des patients, c’est la mise en place d’une véritable réforme en profondeur de tout le système de santé, c’est la mise en place d’une carte sanitaire qui prenne en charge la réalité épidémiologique de ce pays, c’est le management efficient à travers une stratégie claire pour l’optimisation des ressources dont nous disposons. Il s’agit également d’investir dans les moyens de prévention, d’améliorer le parcours du patient, le suivi des patients après leur hospitalisation et la mise en place d’une harmonie entre le secteur privé et public. Ainsi que la nécessaire et véritable implication de la caisse sociale dans la prise en charge des malades algériens. Il s’agit également d’améliorer les conditions socioprofessionnelles des travailleurs de la santé pour qu’ils puissent mener leur mission dans des conditions optimales.
Pour revenir à la question de la prime Covid, pourquoi est-elle une revendication récurrente des professionnels de la santé ?
La prime covid n’est pas une finalité en soi, mais c’est une prime accordée par le président de la République comme une marque de reconnaissance et qui permet d’améliorer leur quotidien. Je tiens à rappeler que nous sommes à dix mois de retard du versement de cette prime sans parler des autres mesures décidées par le Président depuis deux ans, comme la couverture sociale à 100%, la bonification de la retraite et le versement du capital décès aux familles endeuillées par la perte d’un de leur proche travaillant dans le secteur de la santé et qui ne sont toujours pas concrétisées sur le terrain. Si les professionnels de la santé réclament à chaque fois le versement de cette prime, c’est parce que leurs salaires sont très faibles pour faire face à la dégringolade du pouvoir d’achat. Cette prime leur permet de joindre relativement les deux bouts car les fins de mois sont très difficiles. En quelque sorte, c’est une forme de bouée de sauvetage pour beaucoup de travailleurs de la santé. Il faut toutefois être conscient que cela ne réglera en aucun cas la situation catastrophique des salaires des professionnels de la santé. Nous avons accueilli avec satisfaction l’annonce concernant l’amélioration des salaires et la promulgation des statuts d’ici la fin de l’année que l’on considère comme des signaux très forts de la part du président de la République, malheureusement, au niveau ministériel on entend un autre son de cloche avec des lenteurs et des pesanteurs d’une administration qui reste sclérosée et à la traîne par rapport aux réformes annoncées par le président de la République.