Par Feriel Nourine
Retour à la case départ pour l’Entreprise nationale des industries électroménagers (Eniem). L’usine de Tizi Ouzou doit à nouveau suspendre ses activités pour cause de rupture de stocks de matière première, fait savoir la direction de l’entreprise dans une note adressée aux travailleurs. Laquelle a décidé d’aménager les dates de congé annuel et d’opter pour un congé anticipé, à partir du 6 juin prochain, fait-elle savoir aux employés, précisant que cette décision a été prise en commun accord avec le syndicat UGTA de l’Eniem.
«Nous portons à la connaissance de l’ensemble des travailleurs et travailleuses que suite à la rupture des stocks de matières premières au niveau de toutes les unités de production, il a été décidé d’un commun accord avec le partenaire social UGTA (en l’absence du Comité de participation) d’anticiper le congé annuel 2020-2021 au 06-06-2021», fait savoir la note. La Direction générale de l’entreprise publique tente, cependant, de rassurer les employés en promettant qu’elle ne ménage aucun effort pour l’approvisionnement en matières premières dans les délais souhaités afin d’assurer une reprise d’activité régulière à partir du 06-07-2021».
Ainsi donc, ni la nomination d’un nouveau PDG, fin janvier dernier, ni les promesses de l’Etat pour la mise d’un plan de relance ne s’avèrent encore suffisantes pour faire sortir l’Eniem de la crise à laquelle elle se trouve livrée depuis des années. Celle-ci s’est même accentuée à l’entame de l’année 2020 donnant lieu à deux arrêts techniques, d’un mois chacun, le premier en février et le second en décembre. Et ce troisième arrêt, maquillé de «congé anticipé» était en réalité attendu, sachant que la reprise d’activité du mois de février ne pouvait durer que le temps que pouvaient permettre les quantités de stocks de matière première libérées des ports.
Si pour cette fois, la nouvelle direction de l’Eniem a décidé d’éviter la procédure du chômage technique, pour sans doute éviter le rejet et la contestation chez les travailleurs qui avaient prévalus en décembre dernier, il est suffisamment clair que le recours au congé anticipé obéit aux mêmes motifs qui avaient provoqué les arrêts de travail précédents. L’entreprise se trouve dans une situation financière dangereusement déficitaire et les ruptures de stocks de matières premières auxquelles elle fait face chroniquement ne sont, en fait, qu’une déclinaison palpable de cette situation, avec la différence d’engendrer inévitablement la suspension des activités et de projeter l’entreprise au-devant de l’actualité nationale.
C’est en tous les cas ce qui est en train de se produire, une nouvelle fois, depuis la semaine dernière, avec cette lettre adressée par la section syndicale UGTA de l’Eniem au président de la République, lui faisant part de la situation «impérieuse» que vit leur entreprise, et qui risque «à terme de déboucher sur une grave crise» synonyme de «disparition», a-t-elle lancé en guise de cri d’alarme.
Les travailleurs s’inquiètent parce que la rupture des stocks de matières premières risque, cette fois, de durer beaucoup plus longtemps, vu le caractère contraignant du décret exécutif n°20-313, fixant les conditions d’accès au régime fiscal préférentiel pour les opérateurs activant dans l’électroménager dont l’Eniem. A travers ce décret, c’est le cahier des charges, hérité de l’ex-ministre de l’Industrie Ferhat Aït Ali, qui est remis en cause, sachant que pour avoir droit à ce régime, il est fait obligation aux intervenants dans la filière de s’aligner sur des taux d’intégration sensiblement revus à la hausse et impossibles à atteindre, comme l’impose le nouveau texte de loi.
«Les taux d’intégration fixés pour ouvrir droit au régime préférentiel sont de beaucoup supérieurs à ceux atteints par l’entreprise», relèvent les travailleurs de l’Eniem. «A titre d’exemple, le taux d’intégration exigé par le cahier des charges, dans la gamme des produits ‘froid’, est de 60%, alors que le taux d’intégration réel atteint par l’entreprise avoisine à peine les 30%», citent-ils. Le syndicat déplore de ne pas disposer dans l’immédiat d’un fonds d’investissement conséquent qui lui permettrait de se mettre au diapason des nouvelles exigences réglementaires en matière d’intégration. Et «d’aucuns y voient une occasion de décréter des compressions d’effectifs à tour de bras», écrit-il au premier responsable du pays, considérant que «la valeur ajoutée est dans le développement et le rétablissement de la compétitivité de l’entreprise, et non pas dans la réduction des effectifs».
Et d’ajouter «quand bien même la nouvelle politique industrielle engagée par le gouvernement serait pertinente, force est d’admettre que les entreprises économiques n’y sont pas encore préparées». «En l’état actuel des choses, risquant un arrêt imminent faute de possibilité d’approvisionnement en matières premières, notre entreprise a besoin pour sa relance de disposer à la fois de fonds conséquents et d’une rallonge de temps qui lui permettrait d’accéder au niveau d’intégration requis. Par conséquent, la mise en œuvre de cette solution exige concomitamment l’octroi d’un conséquent crédit d’investissement en vue de la modernisation des chaînes de production et le gel du décret exécutif n°20-313 durant au moins trois ans, le temps nécessaire à la rénovation et/ou la réalisation des chaînes de production avec à clé l’atteinte des taux d’intégration requis», a revendiqué le syndicat de l’Eniem. n