C’est l’aboutissement d’une action citoyenne qui se profile depuis le mois de juin dernier, rassemblant différents acteurs de la « société civile » et d’initiateurs de dynamiques sociales nées dans et autour du Hirak, et qui devrait voir les fruits de ses efforts jeudi prochain, 20 février, à la veille de l’an I du Hirak, par l’organisation d’une « conférence nationale inclusive ». Le collectif en charge des préparatifs devait donner, hier, une conférence de presse, interdite, par les services de police. Elle se tiendra finalement ailleurs.
C’est dans le somptueux hôtel quatre étoiles que devait se tenir la conférence de presse annonçant la tenue des « assises » du Hirak, jeudi 20 février à Alger et plus précisément, à la salle Harcha. Dans le hall de l’hôtel, de nombreux journalistes, en plus des organisateurs, sont déjà sur le « trépied » de guerre. Caméra au poing et reflex en bandoulière, ils attendent une hypothétique autorisation qui ne viendra pas. L’annonce de l’interdiction de la conférence de presse se fera devant le parvis de l’hôtel. Même dans le hall, l’établissement serait passible de fermeture…
C’est donc devant un parterre de journalistes qui se pressent les uns contre les autres, qui se poussent et se repoussent, à qui aurait le meilleur angle de prise de vue et de son, que, un à un, les organisateurs et participants au forum vont dénoncer l’interdiction et expliquer les motivations de cette initiative citoyenne. Maître Hafidh Tamert explique « qu’en vertu de l’article 14 de la loi sur les associations, ce type de rencontre, de l’ordre du privé, puisque s’adressant à la presse exclusivement, ne nécessite pas d’autorisation » Pour Salhi de la Laddh, « c’est une atteinte grave au droit et à la liberté de réunion… » Khaled Drareni rappelle que « L’Algérie nouvelle qu’on nous promet est encore loin… Cette initiative ne représente nullement le Hirak, mais nous sommes des gens du Hirak, une émanation du Hirak. Des gens sont venus de toutes les wilayas du pays… Nous continuerons à agir et à intervenir et ce ne sont pas de petites interdictions mesquines qui nous arrêterons ! »
Chose dite, chose faite. La conférence de presse est délocalisée à Alger-centre, au siège de « SOS-disparus » à 13h30.
Conférence nationale, le difficile pari !
C’est donc au 2e étage du 21 bd, Benboulaïd que se tiendra finalement le point de presse de tous les interdits. La grande salle de ce spacieux appartement qui sert de siège à l’une des associations qui porte l’une des tragédies les plus complexes de la décennie noire : la question des disparu(e)s, est aménagée pour la circonstance. Deux membres de l’association tentent même de profiter de la visibilité médiatique qu’offre la conférence de presse pour accrocher en toile de fond une banderole avec des photos de disparus. Ils en seront discrètement dissuadés par Saïd Salhi. La conférence commence. Sur l’estrade quelques membres de cette initiative citoyenne entre étudiants, avocats et membres de collectifs divers. Retour sur une matinée sans issue et des pratiques qui, après une année de Hirak, perdurent toujours. L’interdit est érigé en règle, martèle Me Hafidh Tamert qui rappelle qu’à ce jour, « des informations continuent à nous parvenir sur des interpellations et des intimidations à l’encontre des activistes du Hirak… » Saïd Salhi lui emboîtera le pas et dénoncera ces pratiques d’un autre âge et, comme pour répondre à certains détracteurs de cette initiative, rappellera que « les activistes du Hirak sont aujourd’hui à Kherrata et nous nous inscrivons dans le prolongement de cette dynamique. Tous comme nous sommes, marchons chaque vendredi et chaque mardi. Nous nous proposons de traduire en projet politique les revendications du Hirak ! »
D’aucuns voient dans la tenue de cette conférence de presse, le jour où précisément, le Hirak s’est donné rendez-vous à Kherrata, une erreur de timing. Et de casting. Sur Facebook, les internautes qui suivent la conférence de presse en direct sont partagés, entre sceptiques et enthousiastes. Entre refus et adhésion. « C’est à Kherrata qu’aurait dû se tenir cette conférence ! » ressassent certains. D’autres, y compris des échos parvenus de Kherrata même à l’issue de la conférence de presse, y opposent déjà une fin de non-recevoir…
Des différentes interventions, il faut relever quelques incongruités tout de même. Alors que Salhi par exemple ne voit pas d’inconvénient à ce que l’initiative s’ouvre aux partis politiques et organisations qui adhéreraient à ses principes, une heure plus tard, vers la fin de la conférence de presse, Hachem Sassi, avocat de Khenchela, écarte d’emblée toute participation partisane… C’est aussi, à un moment donné, l’amalgame relevé dans certaines interventions : les unes évoquent un congrès, d’autres une conférence et même un forum…
Mais que se passera-t-il exactement le jeudi 20 février à la salle Harcha ? Encore faudrait-il qu’il y ait accord des autorités locales pour la tenue de cette initiative, quand une petite conférence de presse est interdite…
On évoque une « déclaration » appelée pour la circonstance « déclaration du 22 février » qui, pour l’instant, fait figure d’arlésienne, ne laissera transparaître que quelques bribes de l’esprit qui l’anime. Consensuelle est le mot qui revient le plus souvent dans les propos des conférenciers avec une mention particulière pour les « rédacteurs ». Alors, consensuelle entre rédacteurs ou par rapport au Hirak et à ses différentes mouvances ? On laisse entrevoir que le texte en question a essayé de traduire en propositions concrètes les slogans et l’esprit du Hirak. Saïd Salhi en citera quelques-uns : la « Silmiya » comme ligne de conduite, le « Khawa-khawa » comme esprit unitaire et le « Yetnahaw Gaâ » comme volonté de changement et de rupture avec l’ancien système…
Voilà pour les généralités. Quid des autres slogans et revendications du Hirak qui rejettent tout dialogue et dénient toute légitimité au nouveau président ? On en saura davantage le 20 février prochain. Conférence ou pas ? Et ce ne sera certainement pas une image d’Epinal, mais sûrement un dilemme cornélien…