«Hystérectomisée, vidée de son sang, puis victime de deux arrêts cardiaques… Que s’est-il réellement passé dans la salle d’opérations ?» Ce sont là les propos et la question qui tourmentent le mari dont l’épouse est décédée en salle de couche, mettant toute la population de Hassi Messaoud en émoi. Un décès inattendu et dans des conditions incompréhensibles, le deuxième en moins d’une semaine. M. Chadli assure que sa femme est morte par négligence et non de cause naturelle.
La ville de Hassi Messaoud, qui ne s’est pas encore remise du décès d’une jeune primipare, la semaine dernière, suite à une hémorragie grave, après utilisation de forceps, fait face à la mort d’une deuxième femme, jeudi dernier, dans des conditions encore non élucidées.
Mercredi soir vers 22h, un appel urgent au don de sang a été lancé aussitôt sur les pages locales de Hassi Messaoud et les réseaux sociaux, appelant toute personne à se rendre à l’hôpital. En quelques minutes, le message était passé et la salle d’attente était déjà pleine à craquer. Des citoyens ont accouru de toutes parts pour donner leur sang et sauver une femme, victime d’une hémorragie grave au bloc opératoire. Elle a été déclarée morte, jeudi après-midi, vers 15h. Dans le bloc opératoire, plus de 8 heures, la patiente, qui a donné naissance à une fille, s’est vidée de son sang suite à une hémorragie sévère déclenchée lors de la césarienne, affirme un membre du staff médical, présent ce soir-là. «On lui a transfusé environ 15 poches de sang, mais elle se vidait aussitôt, je n’ai jamais vu ça !», dit-il.
Agée de 37 ans et mère de 6 enfants, la parturiente a été admise à l’établissement public hospitalier (EPH) Hocine-Aït Ahmed de Hassi Messaoud, dimanche 14 janvier au matin, pour accouchement, mais elle en est sortie le lendemain pour «non début de travail». Selon les sages-femmes, la dame, ne présentant pas de signes précurseurs d’accouchement immédiat, a été priée de rentrer chez elle et d’attendre encore deux ou trois jours, raconte le mari de la défunte. Ce dimanche a coïncidé avec la mort de la première parturiente (une primipare de 24 ans). Ce qui avait d’ailleurs inquiété la patiente et a probablement fait monter sa tension artérielle, suppose le mari. Le mercredi 24 janvier et après que la poche des eaux s’est fissurée, la femme enceinte, accompagnée de son époux, s’est rendu vers 8h30 à l’EPH de Hassi Messaoud. Aussitôt admise au service d’accouchement, la patiente a appelé, vers 9h, son époux l’informant qu’on lui a demandé de faire un bilan thyroïdien en urgence. Le mari, muni de tubes de prélèvement sanguin, s’est présenté au service de maternité et leur a demandé de lui faire une prise de sang pour qu’il puisse remettre rapidement le tube à un labo d’analyses privé. Les résultats ont été remis à l’hôpital vers 11h, affirme le mari. A 13h45, la patiente a rappelé son époux pour lui dire que les résultats sont jugés bons et qu’elle va devoir subir une césarienne. Ce fut le dernier appel, se remémore, douloureusement l’époux.
Lors de la césarienne, qui a duré plusieurs heures, la gynécologue-obstétricienne qui l’a opérée a demandé en urgence au mari, qui se trouvait sur place, de signer une autorisation leur permettant d’effectuer une ablation urgente de l’utérus sous prétexte que la femme peut encourir un risque grave si elle tombe enceinte la prochaine fois. Après hésitation, M. Chadli a signé par crainte de perdre la mère de ses enfants.
Vers 22h, la patiente a été transférée vers la salle de soins intensifs après sa sortie du bloc. Pour lui, «c’était un cadavre et plus une femme en vie». «Elle est morte !», a-t-il crié en la voyant. Une sage-femme s’est approchée de lui pour le rassurer en lui demandant de faire des «douaa», c’est ce qui lui faut maintenant, dit-elle.
La salle où elle a été placée, selon le mari, ne dispose même pas d’une prise de courant électrique pour y brancher un appareil de surveillance respiratoire. Il a fallu, raconte-t-il, débrancher le frigo et utiliser sa rallonge pour mettre sa femme sous oxygène. Pour le personnel du service, c’est l’anarchie totale et les conditions de prise en charge sont tout simplement catastrophiques.
Décès en couches… c’est courant !
Pour le directeur de l’EPH de Hassi Messaoud, Farid Nekaz, et dans un entretien téléphonique, les décès lors d’accouchement sont courants et peuvent survenir dans le monde entier. Pour le décès de deux femmes accouchées en quatre jours, cela paraît normal vu les complications, notamment hémorragiques, qui peuvent survenir lors de l’accouchement. Ce qui est, également, très courant, dit-il.
Mais ce même responsable retourne également les causes du décès à la négligence des femmes elles-mêmes. Selon lui, la majorité ne se font pas suivre durant leur grossesse. La femme enceinte, dit-il, arrive à l’hôpital avec des problèmes de santé qui engendrent, lors de l’accouchement, des complications qui peuvent conduire au décès.
En tout cas, ce n’est pas le cas de la patiente décédée. La défunte avait suivi régulièrement sa grossesse chez une gynécologue à Hassi Messaoud, a assuré son mari. D’ailleurs, le Dr Bendekar, gynécologue-obstétrique libéral, à Hassi Messaoud, a affirmé dans un entretien que la défunte se rendait régulièrement pour des consultations et des écographies qui, à l’exception d’une légère hypertension observée en début de grossesse et ne nécessitant pas de traitement, et d’un petit fibrome utérin, la patiente ne souffrait de rien de grave.
Pour les deux cas décédés, le directeur de l’hôpital a déclaré que la première est morte suite à une hémorragie «normale» survenue après l’accouchement mais pour la seconde, elle souffrait, selon lui, de plusieurs fibromes utérins et d’hypertension engendrant un arrêt cardiaque après la césarienne.
C’est d’ailleurs la version qui a été validée par tout le staff médical au moment où la famille de la défunte demandait des explications, niant catégoriquement la version des médecins car la défunte était en bonne santé. «Elle n’est pas hypertendue et on n’a jamais entendu parler de la présence de fibromes utérins de la part de sa gynéco, sinon pourquoi l’hôpital a volé le dossier médical se trouvant dans le sac de la patiente lors de son hospitalisation», accuse le mari.
Une commission d’enquête sera mise sur pied
Pour le responsable de l’établissement de soins, le staff médical a fait son travail. «Ils étaient tous sur les lieux, du spécialiste à l’infirmière, ils ont tout fait !» La mort des parturientes lors de l’accouchement suite à des complications est, insiste-t-il, «chose courante et normale, ça arrive souvent et n’importe où».
«En tant que directeur administratif, j’assure la disponibilité des médecins et des moyens, pour les causes du décès, ce sont des choses techniques, seul le médecin peut savoir ce qui s’est passé», dit-il. Et d’annoncer qu’une commission d’enquête sera mise sur pied cette semaine par la DSP pour voir les causes de ces deux décès.
Selon lui, la gynécologue exerce depuis deux ans et a déjà opéré plus de 500 patientes et a sauvé beaucoup de nouveau-nés. «Ce qui s’est passé peut arriver n’importe où», se justifie-t-il encore. «C’est normal qu’il y ait des décès, ça arrive et ça existe». En s’appuyant sur des chiffres, ce dernier affirme que plus de 350 césariennes sur 1 200 accouchements ont été effectués en 2017 et aucun décès n’a été enregistré : «Zéro décès depuis 2016», dit-il. Pour sa part, la gynécologue Bendeken a déclaré que, lors de la dernière consultation, à la fin de la grossesse, la défunte a présenté une tension artérielle instable. C’est pourquoi elle a été mise sous traitement. Affirmant toutefois que son bilan complet était correct. La décision de recourir à une césarienne est survenue, selon elle, «suite à une souffrance fœtale mais elle a fait deux arrêts et on ne connaît toujours pas les causes ; le dernier lui a été fatal». L’hémorragie, les AVC hémorragiques ou arrêt cardiaque sont des complications qui peuvent survenir lors de la césarienne, explique-t-elle. Pour cette gynécologue, une femme normale peut, lors de l’accouchement, subir tout à coup des complications.
Tout le staff était sur place
Sur les causes du décès et de l’hystérectomie, la gynécologue qui avait suivi la défunte durant la grossesse et qui a été également appelée lors de l’intervention a nié que la patiente ait subi une ablation de l’utérus en assurant que le mari a été appelé pour signer une ligature des trompes et non pour une ablation de l’utérus. Pour cette dernière, «personne n’a pu expliquer ce qui s’est passé ni la cause de la mort, ni moi, ni le réanimateur et la chirurgienne a fait convenablement son travail», a-t-elle déclaré. «S’il y avait un appareil d’écho ou un scanner, on aurait pu effectuer une échographie abdominale ou un scanner cérébral et savoir si elle a fait des pics. Une chose est sûre, affirme-t-elle, tout le staff était sur place. Le réanimateur n’a rien trouvé ; il se peut que ce soit un pic important ou un AVC hémorragique», suppose-t-elle.
«On ne comprend pas encore ce qui s’est passé»
Le corps médical a adopté la même version que le directeur de l’hôpital. Des administrateurs aux médecins traitants, tous affirment que la malade est morte après un arrêt cardiaque. Encore «décédée normalement» en s’appuyant sur le fait que la défunte souffrait de fibromes et d’hypertension. Mais son dossier médical, comprenant les images échos et bilans effectués durant la grossesse, a été retiré de son sac après son décès, selon son époux. Il se retrouve sans aucun papier pour prouver que sa femme ne souffrait absolument de rien et démentir les déclarations du staff médical qui n’avait établi aucun rapport de décès et se contentant de mentionner «mort normale». Le mari de la défunte a reçu un certificat indiquant sans autre précision que le décès résulte d’une cause naturelle, aucune explication ne lui a été fournie.
Manque de moyens, mauvaise gestion ou incompétence ?
Certes, comme dans tout hôpital, il existe un manque de moyens et d’effectifs notamment de médecins spécialisés mais ceci n’explique en aucun cas les comportements agressifs, la violence, l’humiliation et la négligence envers les parturientes, s’exclament des témoins et certains paramédicaux abordés.
Malgré l’absence de statistiques officielles, le nombre de femmes qui accouchent au forceps et ayant subi une césarienne est effrayant. En 2014, une primipare, âgé de 21 ans, a accouché au forceps au niveau de l’établissement mère/enfant de Ouargla et a été victime d’une déchirure utérine qui a conduit à sa mort dans des conditions dramatiques. Aucune enquête n’a été ouverte. La même année, une autre femme de 23 ans, venant du quartier Boughoufala, a été également transférée aux soins intensifs suite à une hémorragie grave survenue après l’utilisation de forceps. Une campagne de don de sang a été lancée sur plusieurs jours en sa faveur avant qu’elle ne soit transférée au centre d’hémodialyse de l’hôpital de Ouargla. Le bébé est mort et la femme est restée plusieurs semaines hospitalisée dans le service d’hémodialyse. Durant ces jours, d’intenses mouvements de protestations ont éclaté et une commission d’enquête ministérielle a été dépêchée.
Cependant, une source hospitalière sûre nous a confirmé que la primipare (première patiente décédée) avait subi un accouchement au forceps, utilisés par la sage-femme, ce qui a provoqué une déchirure et une hémorragie importante conduisant à sa mort.
Selon le directeur, l’utilisation des forceps par certaines sages-femmes est sans danger. Il a indiqué que «le forceps est un instrument utilisé pour sauver le bébé en souffrance. La sage-femme qui l’utilise a fait une formation paramédicale de cinq ans en plus de l’expérience, donc si elles ont mal utilisé cet instrument, cela n’est pas de ma faute». Une source fiable affirme que sur 1 000 accouchements, plus de 780 césariennes sont effectuées et une femme sur deux passe au forceps, ce qui nécessite réellement une enquête au plus haut niveau.