C’est le bras de fer entre le ministère de la Justice et le Syndicat national des magistrats (SNM). En plus de la grande paralysie enregistrée dans les tribunaux au deuxième jour de la grève du SNM, le malaise prend une autre tournure avec l’appel adressé par des membres du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) au chef de l’Etat – qui a aussi la qualité de président du Conseil supérieur de la magistrature – pour convoquer une session extraordinaire du Conseil en vue d’une solution « d’urgence ».

Par MERIEM KACI et NAZIM BRAHIMI
Le taux de participation à la grève des magistrats a atteint, hier au deuxième jour de grève, les 98%, a affirmé en début d’après-midi un communiqué du Conseil national du Syndicat national des magistrats (SNM), alors que le taux était de 96% au premier jour de débrayage qui a ébranlé plus que jamais le secteur de la justice.
Plus que l’évaluation chiffrée de a grève, enclenchée en signe de protestation contre le mouvement opéré par la tutelle au sein de la corporation, le SNM fait état de « pressions » que subissent les magistrats grévistes.
« Le SNM appelle quelques parties du secteur de la justice à cesser rapidement les pressions sur les magistrats grévistes et de respecter leur action», a écrit le syndicat dans son communiqué, qui peut signifier une détermination à poursuivre le débrayage. Cette détermination des magistrats à aller jusqu’au bout de leur action a été signifiée par le président du SNM, Mabrouk Issad, qui annonce «la poursuite de la grève jusqu’à satisfaction de nos revendications contenues dans le communiqué du samedi 26 octobre». Auparavant, le SNM a appelé les magistrats grévistes à ne pas « entraver l’encadrement » de l’élection présidentielle, en assurant les missions qui leur ont été confiées dans le cadre de la supervision du scrutin présidentiel prévu pour le 12 décembre prochain, conformément à la loi électorale. Et signe de bataille déclarée, le SNM a exhorté les magistrats adhérents à boycotter les séances d’installations des nouveaux nommés par la tutelle. Sur un autre registre, le syndicat invite ses adhérents «à traiter les cas de détenus dont la garde à vue a expiré, en se prononçant uniquement sur leur mise en détention ou en liberté alors que la Cour d’assises se contentera pour sa part de reporter les procès sans prononcer de verdict ou trancher les dossiers en question.

L’appui du CSM à la grève du SNM
Le Syndicat national des magistrats grévistes ne pouvait pas ignorer, par ailleurs, l’appui reçu dimanche de la part du Conseil supérieur de la magistrature qui s’est rangé de son côté dans un avis qui a mis dans l’embarras la tutelle.
S’exprimant ouvertement en faveur de la grève des magistrats, le CSM avait affirmé ne pas avoir été consulté ni avoir participé à la préparation du mouvement des magistrats décidé par le ministère. « Il est inconcevable que les membres du CSM puissent dire des choses irréalistes. Ils ont affirmé qu’ils n’avaient pas pu exercer leurs prérogatives légales dans la préparation et l’exécution du mouvement annuel qui a été annoncé », a expliqué Issad Mabrouk. Et à ce dernier de soutenir que le rôle des membres du CSM «s’était limité à consulter la liste finale qui a été préparée à l’avance par le ministère de la Justice». La veille, le ministère de la Justice est monté au créneau pour rendre caduque et surtout décréter « illégale » la décision du CSM de geler le mouvement opéré par la tutelle dans la corporation.
Le ministère juge « déplorable qu’une telle attitude émane de juristes, magistrats et enseignants universitaires, censés veiller au respect de ces bases», estimant que la réunion à travers laquelle le CSM a apporté son soutien au SNM est contraire à la loi. « Cette pratique constitue une atteinte aux prérogatives et autorités au Chef de l’Etat, en sa qualité de président du CSM, et au ministre de la Justice, garde des Sceaux, étant les seuls à avoir la prérogative de convoquer le CSM », a riposté le ministère de la Justice.

Appel à l’intervention du chef de l’Etat
Une riposte à laquelle a répondu le même CSM, hier en fin de journée, pas uniquement pour tordre le cou à l’argumentaire de la tutelle mais pour appeler le chef de l’Etat à provoquer une session extraordinaire du CSM en sa qualité de président du même CSM. Une dizaine de signataires entre membres du bureau du Conseil et autres membres du Conseil s’en remet en effet à Abdelkader Bensalah afin de parvenir, est-il expliqué, à «une solution d’urgence à la situation actuelle » du CSM. Cette énième déclaration émanant des membres du CSM atteste, on ne peut mieux, un malaise patent au sein de l’appareil judiciaire déjà sujet d’observation au vu des cas d’arrestations enregistrées dans le sillage du mouvement populaire et compte tenu aussi du scrutin présidentiel prévu le 12 décembre. Pour sa part, le porte-parole du gouvernement et ministre de la Communication, Hassan Rabehi, n’est pas resté de marbre devant l’ampleur prise par l’affaire des magistrats, invitant les deux parties du conflit à privilégier la voie du dialogue. « Les magistrats doivent emprunter la voie du dialogue pour faire valoir leurs préoccupations dans le cadre de la loi », a déclaré hier Hassan Rabehi au Palais de la culture en marge de l’inauguration d’une exposition de photos traçant 17 ans de période coloniale. Il a ajouté, par la même occasion, que « l’Etat a pour sa part opté pour le dialogue qui reste la voie idéale et vertueuse pour poser les problèmes», relevant avoir « toute la confiance dans les magistrats pour reprendre langue rapidement avec leur tutelle afin de faire valoir leur revendications selon ce que prévoit la loi en la matière».