Après la course à l’élaboration d’un vaccin anti Covid-19, après la course à la production en masse, c’est maintenant la course au «moi d’abord» de la part des Etats-Unis et de l’Europe. On se souvient que, lors de l’indisponibilité des masques, mais pas seulement, qui a caractérisé le début de la pandémie, un avion chinois a été détourné, après un tweet de Trump, sur un tarmac américain avec une offre trois fois supérieure à celle du pays destinataire. De la piraterie purement et simplement.

Cette fois, c’est le patron du laboratoire pharmaceutique britannique AstraZeneca, lors du Forum économique mondial de Davos, en ligne, qui a fustigé le manque de collaboration, ou carrément l’absence, des gouvernements dans la lutte contre la pandémie, pointant l’index sur l’égotisme démesuré de plusieurs pays riches. «Globalement, a-t-il précisé, il est juste de dire que nous aurions pu et aurions dû être mieux préparés pour cette pandémie. Ce qui n’a pas marché, selon moi, c’est la collaboration dans le monde», même si M. Soriot rappelle au passage de «bons exemples» d’échanges entre le privé et le public, comme dans le cas du vaccin d’AstraZeneca, développé avec l’université d’Oxford. Alors que son groupe est critiqué en Europe sur le manque de transparence des retards de livraisons de son vaccin contre la Covid-19, tout comme son concurrent, l’américain Pfizer, M. Soriot a reconnu, en fin de semaine dernière, que les livraisons seraient moins sérieuses que prévu à cause d’une «baisse de rendement» sur un site de fabrication. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a exigé lundi que le PDG d’AstraZeneca respecte les livraisons de son vaccin anti-Covid conformément à la convention avec l’UE.

Egoïsme
Elle a aussi mis un semblant d’eau dans son vin en déclarant que «des problèmes de production peuvent apparaître avec un vaccin complexe, mais nous attendons de l’entreprise qu’elle trouve des solutions et qu’elle exploite toutes les flexibilités possibles pour assurer rapidement les livraisons». De son côté, le président du Conseil européen, Charles Michel, avait requis dimanche que les entreprises pharmaceutiques fassent preuve de «transparence» sur les raisons des retards de livraison, qui touchent AstraZeneca mais également le duo Pfizer-BioNTech. La Commission européenne, chargée de négocier au nom des Vingt-Sept, a signé un contrat pour précommander jusqu’à 400 millions de doses du vaccin AstraZeneca/Oxford. Toutes ces gesticulations des responsables de l’Europe ne font que confirmer l’égoïsme patent des pays riches, qui avaient pourtant affirmé avant la découverte de plusieurs vaccins que la répartition se ferait équitablement entre pays nantis et ceux qui le sont moins, ou pas du tout. «Le fossé vaccinal entre riches et pauvres se creuse», a constaté de fait l’OMS, qui a besoin de 26 milliards de dollars pour son dispositif pour accélérer l’accès aux outils de lutte contre la Covid-19. Des pays riches qui hésitent encore à mettre la main à la poche, malgré les sollicitations de Tedros Adhanom Ghebreyesus, le patron de l’OMS. «Le nationalisme vaccinal pourrait coûter à l’économie mondiale jusqu’à 9 200 milliards de dollars», a-t-il plastronné, évoquant une nouvelle étude de la Chambre de commerce internationale. Et d’ajouter que «près de la moitié de ce montant, soit 4 500 milliards de dollars, serait perdue pour les économies les plus riches». Pour rappel, ce dispositif a été déclenché fin avril 2020, lors d’un événement organisé conjointement par le directeur de l’OMS, le Président français, le Président de la Commission européenne et la Fondation Bill & Melinda Gates. L’accélérateur ACT prétend précipiter la mise au point et la production de produits de diagnostic, de traitements et de vaccins contre le nouveau coronavirus et, surtout, à en assurer un accès équitable. «Le nationalisme vaccinal peut servir des objectifs politiques à court terme, mais il est dans l’intérêt économique à moyen et long terme de chaque nation de soutenir l’équité vaccinale. Et tant que nous n’aurons pas mis fin à la pandémie partout, nous n’y mettrons pas fin. Au moment où nous parlons, les pays riches déploient des vaccins tandis que les pays les moins développés du monde regardent et attendent. Chaque jour qui passe, le fossé se creuse entre les nantis et les démunis», devait encore argumenter M. Tedros. Des propos qu’il avait tenus lors du début de la pandémie, pensant exhorter les dirigeants des pays riches à se comporter dignement. Peine perdue apparemment, surtout quand on sait que l’OMS et l’Alliance pour les vaccins (Gavi) avaient convenu d’un mécanisme intitulé Covax pour prodiguer des vaccins anti-Covid aux pays défavorisés. Mais le «chacun pour soi» des pays riches a été, comme d’habitude, plus solide, tandis que le manque de financement tant craint a fini par s’imposer. <