Le risque d’un hiver difficile et d’une nouvelle récession plane à nouveau sur l’Europe, confrontée à une baisse de livraisons russes de gaz naturel et une flambée des prix sans précédent. Cette semaine, la Russie a considérablement réduit l’approvisionnement de ses principaux clients européens, ce qui a mis le marché sous haute tension et augmenté les cours de gaz naturel de 50% sur la semaine.
Par Hakim Ould Mohamed
La perspective d’une interruption totale des approvisionnements en raison d’une opération de maintenance du gazoduc Nord Stream fait avaler des poires d’angoisse aux Européens qui s’orientent d’ores et déjà vers d’autres fournisseurs, afin de tenter de remplir les stockages à 80% avant l’hiver.
L’arrêt du Nord Stream est prévu en juillet pour une durée de quinze jours ; une perspective plus qu’angoissante pour l’Europe qui se démène pour remplir les sites de stockage de gaz à des niveaux adéquats avant l’hiver. L’Europe s’est carrément engagée dans une course contre la montre, quêtant de nouvelles sources d’approvisionnement, face à la baisse des livraisons russes. Même si l’approvisionnement russe était à son niveau normal, il est fort probable que les Européens ne puissent remplir leurs sites de stockage à 80%, estiment certains observateurs du marché gazier européen. Cette baisse de livraisons s’est accompagnée d’une forte hausse des cours du gaz naturel sur le marché européen ; les prix grimpant de 50% cette semaine, incitant les gouvernements européens à envisager des mesures d’économie d’énergie et à passer à une capacité inutilisée en charbon, mise en veilleuse des mois durant pour économiser autant de gaz que possible. La réduction des flux russes et la panne du terminal d’exportation de Freeport LNG aux Etats-Unis, qui ne devrait pas reprendre ses activités complètes avant la fin de cette année, ont mis en évidence la position vulnérable de l’Europe en matière d’approvisionnement en gaz et de remplissage de ses sites de stockage de gaz à temps pour empêcher le spectre de rationnement qui menace l’hiver prochain.
De son côté, la Russie affirme que la réduction de l’approvisionnement en gaz est due à des «raisons techniques» car une turbine à gaz en cours de réparation au Canada n’a pas pu être restituée à temps en raison des sanctions occidentales contre Moscou. Les dirigeants européens, y compris les Premiers ministres allemand et italien – principaux clients de la Russie et les plus durement touchés par les coupures d’approvisionnement en gaz – ont déclaré que la décision russe de limiter les livraisons était une décision politique et que les «raisons techniques» russes étaient des «mensonges». Cela fait dire à certains dirigeants européens qu’il était trop risqué de compter sur l’approvisionnement russe pour remplir les sites de stockage de gaz à temps.
Le spectre de rationnement menace l’économie de l’UE
Certains gouvernements ont commencé à annoncer des mesures pour économiser l’énergie et le gaz cet été, même si cela passera par la remise en marche des centrales au charbon. C’est dire que l’Europe est confrontée à une «alerte rouge» pour l’approvisionnement en gaz l’hiver prochain, a déclaré la semaine dernière Fatih Birol, directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). «Les récentes perturbations de l’approvisionnement en gaz naturel, notamment depuis que la Russie a fortement réduit les flux vers les pays de l’UE, devraient retirer environ 35 milliards de mètres cubes de gaz du marché cette année, ce qui posera de grands défis aux efforts de remplissage des sites de stockage. Il s’agit d’une alerte rouge pour l’UE pour l’hiver prochain», a tweeté Fatih Birol. Les Européens craignent le scénario d’un approvisionnement faible depuis la Russie pendant une période prolongée. Face à la faiblesse de l’offre russe, l’Europe se tourne vers la production d’électricité au moyen des centrales à charbon. Les Etats membres de l’UE sont désormais tenus d’atteindre un niveau de stockage de gaz de 80% minimum d’ici le 1er novembre pour se protéger contre d’éventuelles interruptions d’approvisionnement. En 2023, le niveau de stockage sera relevé à 90 % avant le 1er novembre de chaque année. Le 20 juin dernier, le stockage de gaz dans l’UE était à près de 55% seulement. L’Allemagne n’a pu remplir ses sites qu’à hauteur de 58% seulement, tandis que les sites italiens sont remplis à 55%, selon les données de Gas Infrastructure Europe.
A moins que l’Europe ne prenne des mesures supplémentaires en matière d’offre et de demande, le remplissage de ses sites de stockage cette année est menacé, a déclaré Wood Mackenzie. «La situation évolue rapidement et l’Europe pourrait se retrouver sans gaz russe plus tôt que prévu et les préparatifs doivent donc commencer maintenant», notent les analystes de Wood Mackenzie. Cependant, cette course de l’Europe pour renouveler son stockage en gaz fait grimper les prix de référence européenne, amplifiant la flambée mondiale des prix de l’énergie et des conséquences dommageables sur l’économie de l’UE. Pendant ce temps-là, les monarchies du Golfe augmentent leurs capacités de production de gaz et se positionnent comme les fournisseurs incontournables d’urgence pour l’Europe. C’est le cas surtout du Qatar qui a signé, la semaine dernière, des accords massifs avec Total Energies et ENI pour l’expansion du plus grand projet de GNL au monde. Cette nouvelle donne met en demeure l’Algérie qui pourrait faire face à de nouveaux concurrents, à l’image du Qatar et des Etats-Unis, qui accélèrent leurs livraisons à destination de l’Europe. n