Au fur et à mesure que la crise énergétique s’aggrave en Europe, les pertes se révèlent astronomiques et la grogne sociale risque de marquer les mois à venir, si aucune issue consensuelle n’est négociée au conflit ukrainien.

par Hakim Ould Mohamed
Les estimations de pertes pour l’économie allemande en raison de la flambée des prix de l’énergie donnent le tournis. Une étude de l’Institut allemande de recherche sur l’emploi estime ces pertes à plus de 260 milliards d’euros de valeur ajoutée pour l’économie allemande d’ici la fin de la décennie en cours, ce qui révèle des effets négatifs sur le marché du travail de la première économie européenne. Le produit intérieur brut allemand ajusté en fonction des prix sera inférieur de 1,7 % l’année prochaine par rapport aux prévisions de l’actuel exercice. L’étude a révélé qu’il y aura environ 240.000 personnes de plus au chômage, alors que les embauches devraient connaitre une situation de stagnation qui durera jusqu’au moins 2026. L’un des plus grands perdants de la crise énergétique et de l’inflation qui en résulte sera l’industrie hôtelière, qui a déjà été durement touchée par la pandémie et qui devrait ressentir la baisse du pouvoir d’achat des consommateurs. Les secteurs à forte consommation énergétique, tels que l’industrie chimique et la production de métaux, sont également particulièrement susceptibles d’être fortement affectés, le pays déclenchant déjà des plans d’urgence pour le gaz et les villes rationnant l’énergie. L’équation pourrait se compliquer davantage si la situation économique se détériorait, au milieu des inquiétudes croissantes que la Russie ferme complètement les robinets vers l’Europe et prive le continent de gaz naturel. Si les prix de l’énergie, qui ont jusqu’à présent grimpé de 160 %, devaient à nouveau doubler, la production économique de l’Allemagne en 2023 serait inférieure de près de 4% à ce qu’elle aurait été sans la guerre en Ukraine. Cela signifierait que 660.000 personnes de plus seront au chômage d’ici 2025. Les prix de l’énergie excessivement élevés en Europe font grimper les prix à la consommation et à la production, une tendance qui alimente l’inflation dont les taux ont déjà atteint des niveaux problématiques. Dans un rapport publié par Bloomberg, il est noté que l’inflation au Royaume-Uni dépasserait 13% cette année, un tiers des ménages devant dépenser plus de 10% de leurs revenus en énergie. Le rapport de Bloomberg note que les prix excessifs de l’énergie obligent certains producteurs d’huiles végétales à délocaliser leur production hors d’Europe à la recherche de coûts énergétiques plus bas. Si l’Europe devait recourir au rationnement de l’énergie en cas de pénurie de gaz naturel et d’électricité en hiver, certaines usines alimentaires pourraient devoir être fermées car les gouvernements accordent la priorité à la sécurité énergétique des ménages.

Scénario catastrophe
La crise énergétique pourrait être particulièrement douloureuse pour les Britanniques. Le Royaume-Uni prévoit de manquer de gaz naturel cet hiver, ce qui entraînera des pannes d’électricité, selon des sources du gouvernement citées par Bloomberg. Le pire scénario pour le gouvernement britannique serait de recourir à des mesures d’économie d’énergie qui comprendront des coupures de courant organisées sur quatre jours en janvier prochain. Bien qu’il ne s’agisse que d’un scénario, cette option met en lumière l’inquiétude croissante en Europe quant à ce à quoi elle sera confrontée si les objectifs de stockage de gaz ne sont pas atteints. Le Royaume-Uni pourrait faire face à de nouvelles crises énergétiques cet hiver après que la Norvège a déclaré qu’elle limiterait la quantité d’électricité qu’elle exporte. La Norvège alimente actuellement le Royaume-Uni en électricité. Les Britanniques importent également de l’électricité de France, produite principalement à partir de l’énergie nucléaire, mais seule la moitié des centrales nucléaires françaises produisent de l’électricité en ce moment, l’autre moitié étant actuellement hors service pour réparation. Outre les craintes d’un hiver sans électricité, les factures d’électricité impayées au Royaume-Uni ont triplé sur un an pour atteindre 1,3 milliard de livres, un record, signe de l’impact de la flambée du coût de la vie sur les Britanniques. En Espagne, les mesures d’économie d’énergie décidées par le gouvernement de gauche espagnol dans le cadre d’un plan européen visant à réduire les importations de gaz russe, au premier rang desquelles la limitation de la climatisation, sont entrées en vigueur hier dans les lieux recevant du public. Ces mesures prévoient également que les lumières des vitrines des magasins et l’éclairage des bâtiments publics soient éteints à partir de 22h. Cependant, face à ces mesures, la grogne tente de s’organiser ; la communauté de Madrid annonçant qu’elle comptait déposer un recours devant le Tribunal constitutionnel, la plus haute juridiction du pays, en raison de dix points du décret qu’elle estime inconstitutionnels. Même panorama à travers autres villes du Vieux Continent, dont Vienne, connue pour ses marchés de noël et son concert du nouvel an, qui va renoncer cette année à illuminer le Ring, sa plus célèbre avenue, afin d’économiser de l’énergie face au renchérissement des prix. Ces exemples sont édifiants quant à une crise énergétique et inflationniste qui fait craindre le pire en Europe. Hier, l’acheminement du pétrole russe à destination de trois pays de l’Europe de l’Est, la Hongrie, la Slovaquie et la République Tchèque, a été interrompu. Une nouvelle qui fait valser l’Europe au rythme des pires scénarios pour l’hiver. n