Le 30 juin, cela fera 20 ans. Deux décennies complètes depuis ce soir de gloire pour le Brésil à Yokohama. Depuis cette faute de main coupable d’Oliver Kahn sur une frappe de Rivaldo, qui avait permis à Ronaldo de faire basculer la finale de la Coupe du monde en faveur de la Seleçao. Depuis ce doublé du légendaire avant-centre auriverde, de nouveau buteur en toute fin de match face à l’Allemagne (2-0), qui avait offert au peuple brésilien l’allégresse d’une cinquième victoire en Coupe du monde, la première du millénaire.
Depuis, c’est la disette. Le Brésil voit toujours son compteur de titres mondiaux bloqué à cinq. Et aucun autre pays d’Amérique du Sud n’a réussi à prendre le relais. Vingt ans sans soulever une Coupe du monde, ce n’était arrivé qu’une fois pour ce continent, entre les deux titres de l’Uruguay en 1930 et 1950. Et dans un contexte tout autre, puisqu’il n’y avait pas eu de Mondial entre 1938 et 1950 en raison de la seconde guerre mondiale. Jamais, en revanche, l’Amérique du Sud, victorieuse au total de 9 Coupes du monde sur les 21 déjà disputées, était restée sans sacre durant quatre éditions consécutives.
« UN TRAVAIL DE FOND »
Il y a un côté paradoxal à cette situation inédite. En 2002, l’année du titre du Brésil, sur les cinq équipes sud-américaines présentes en Asie, trois d’entre-elles avaient été éliminées dès le premier tour (Uruguay, Argentine, Equateur). Soit autant que sur les quatre éditions suivantes réunies (Paraguay en 2006, Equateur en 2014, Pérou en 2018). L’Amsud s’était même offert un joli tir groupé en 2014 avec quatre équipes présentes en quarts de finale, soit la moitié du plateau. La régularité est indéniable. Mais ça ne va pas au bout. Et seule l’Argentine a représenté l’Amérique du Sud en finale d’un Mondial depuis 20 ans, en 2014.
Si l’Uruguay a inscrit son nom au palmarès à deux reprises, le phénomène concerne surtout le Brésil et l’Argentine. Les deux nations dominantes du continent, les deux à figurer systématiquement parmi les favoris à chaque édition, et les deux premières du tournoi de qualification sud-américain à avoir composté leur billet pour le prochain Mondial au Qatar. Les plus à même de mettre un terme à cette disette dont les causes ne sont pas si évidentes à cerner. « Je crois que ça a à voir avec un projet de long terme, un travail de fond », avance Claudio Gugnali, ancien adjoint d’Alejandro Sabella lors du Mondial 2014.
UN CONTEXTE QUI NE PRÊTE PAS À LA SÉRÉNITÉ
L’état de forme sur la compétition joue évidemment un rôle primordial. Mais pour arriver au bout et soulever le trophée, c’est surtout la touche finale d’une œuvre commencée bien avant le début du tournoi. Une continuité que le Brésil ou l’Argentine ne sont pas forcément parvenus à mettre en place, contrairement à d’autres nations. « Ce n’était pas un hasard si l’Espagne avait gagné en 2010, souligne Gugnali. Ce n’était pas un hasard si la France avait gagné en 2018, cela reflète un travail au long cours. Je crois que cela reflète aussi une forme de sérénité autour de ces équipes. »
Le contexte a en effet toute son importance. Les attentes sont énormes pour chaque nation, encore davantage pour les deux géants sud-américains. En Argentine, sans titre depuis 1986, comme au Brésil, à l’image de la pression insoutenable sur les épaules de la Seleçao pour son Mondial à domicile en 2014. Avec les critiques qui vont avec.
Elles avaient notamment créé une ambiance très pesante autour de l’Albiceleste en 2018. Dans ces conditions, c’est difficile pour une équipe de foot, si talentueuse soit-elle, de donner son meilleur rendement.
LE POIDS DU POUVOIR ÉCONOMIQUE DE L’EUROPE
Il y a aussi une raison structurelle à ne pas négliger. Car les sélections sud-américaines ne partent pas forcément à égalité avec leurs homologues européennes. « C’est surtout le pouvoir économique qui change la donne, explique Gugnali.
N’oubliez pas que tous les meilleurs joueurs sud-américains évoluent en Europe. Par exemple, l’Allemagne de 2014, il y avait presque 80% de joueurs du Bayern et du Borussia. Nous, 95% du groupe était éparpillé un peu partout en Europe. Imaginez-vous que Neuer, Lahm et Müller par exemple ont joué je ne sais pas combien de matches ensemble, semaine après semaine. Nous, Biglia et Gago se voyaient tous les trois mois, rapidement, pour jouer deux matches et repartir. Evidemment que ce n’est pas pareil. Et ça, c’est le pouvoir économique de tes championnats qui te le permet. »
Malgré tout, le Brésil et l’Argentine entendent bien mettre un terme à cette disette sud-américaine au Qatar. Ils pourront s’appuyer chacun sur un collectif qui a montré sa solidité sur la phase de qualification. Et sur des individualités hors-norme comme Lionel Messi pour l’Albiceleste ou Neymar pour la Seleçao. Même si les deux stars du PSG ne traversent pas vraiment la meilleure saison de leur carrière en club. Mais en sélection, la donne change. « On ne peut pas ne pas croire en un tel joueur », assure l’ancien attaquant brésilien Sonny Anderson, consultant à BeIN Sports, avant de promettre : « Cette année de Coupe du monde sera la sienne ». C’est tout ce que le peuple auriverde peut souhaiter pour revivre, enfin, la liesse de Yokohama. n