L’opposant Gustavo Petro est devenu, depuis dimanche 19 juin, le premier Président de gauche de l’histoire de la Colombie avec l’ambition de «changer» un pays en crise qui n’a jamais connu une telle alternance. Avec 11,2 millions de voix en sa faveur, le sénateur, ancien membre d’une guérilla d’extrême gauche (Mouvement du 19 avril, dissous en 1990), ex-maire de Bogota, M. Petro a recueilli 50,44% des voix, contre 47,31% pour son concurrent, l’homme d’affaires Rodolfo Hernandez, selon les résultats provisoires du second tour de la Présidentielle.

Synthèse Lyes Sakhi
Il a devancé son rival, qualifié de surprise du premier tour pour avoir supplanté son adversaire, le 29 mai dernier, le candidat de droite, de près de 700 000 voix. Le taux de participation s’est élevé à 58%. M. Hernandez a immédiatement concédé sa défaite, souhaitant que son adversaire «sache comment diriger le pays et qu’il soit fidèle à son discours contre la corruption». «Les partisans de Rodolfo Hernandez pourront venir dialoguer avec nous quand ils veulent (…) L’opposition, quelle qu’elle soit, sera toujours la bienvenue pour dialoguer (…)», a promis le futur chef de l’Etat. «Il n’y aura que le respect et le dialogue, c’est ainsi que nous pourrons construire le grand accord national et la paix intégrale», a-t-il ajouté, s’engageant, par ailleurs, à ce que la Colombie soit «à la tête de la lutte contre le changement climatique» dans le monde. «Nous nous engageons à un changement véritable, un changement réel», a encore lancé le nouveau chef de l’Etat au soir de sa victoire.
«Le gouvernement qui entrera en fonction le 7 août sera celui de la vie, de la paix, de la justice sociale et de la justice environnementale», a énuméré le prochain chef de l’Etat colombien, au côté de sa famille, ses proches et sa colistière, Francia Marquez. «Je suis la première femme afrodescendante vice-présidente de Colombie», a proclamé fièrement Mme Marquez, modeste villageoise devenue activiste écologiste, et qui a joué un grand rôle dans la campagne comme colistière du «candidat. «Nous avons franchi un pas important. Nous avons un gouvernement du peuple, un gouvernement des gens qui vont à pied, un gouvernement pour ceux qui ne sont rien. (…) Ensemble, nous allons réconcilier cette nation, dans la joie et la paix», a-t-elle lancé, vêtue de ses tenues aux motifs africains.
Cette élection présidentielle marque la déroute des élites conservatrices et libérales au pouvoir depuis deux siècles dans la quatrième puissance économique d’Amérique latine. Les deux qualifiés du premier tour étaient arrivés en tête avec un discours de rupture et «anti-establishment», M. Petro (40%) portant en étendard la «défense de la vie», tandis que M. Hernandez (28%) promettait d’en finir avec «la corruption, un mal endémique du pays». La lutte a été particulièrement âpre entre les deux hommes, avec une campagne finale faite d’accusations en tous genres, de désinformation et d’innombrables coups bas. Les derniers sondages publiés, il y a une semaine, donnaient les deux hommes à quasi-égalité. Comme lors du premier tour, aucun incident majeur n’est venu perturber le vote.
Cette élection se déroulait dans un contexte de crise profonde dans le pays, après la pandémie, une sévère récession, des manifestations antigouvernementales durement réprimées et une aggravation de la violence des groupes armés dans les campagnes.
C’est la troisième fois que M. Petro se présente à une présidentielle, la dernière en 2018. Après avoir écumé le pays avec une centaine de meetings avant le premier tour, il a tenté, ces trois dernières semaines, de se montrer plus proche des Colombiens ordinaires, soucieux de corriger son image d’homme de trop de discours, trop autoritaire ou aux tendances messianiques, selon ses adversaires. M. Petro s’est engagé à renforcer l’Etat, à réformer le système des retraites et l’impôt pour faire payer les plus riches. Sa première mesure sera de suspendre l’exploration pétrolière et d’entamer au plus vite la transition énergétique. Il aura également fort à faire pour gouverner avec un Parlement divisé, où sa coalition du Pacte historique est certes la première force mais qui reste une place forte des conservateurs et des libéraux. Il devra aussi surmonter les réticences au sein de l’armée, dont il devient le chef suprême, faire face à la pression inflationniste et à des institutions faibles et politiques.

Francia Marquez, révélation de la présidentielle colombienne

La Présidentielle de dimanche en Colombie est doublement historique, Gustavo Petro a été élu premier Président de gauche du pays mais sa colistière, Francia Marquez, est aussi devenue la première Afrodescendante élue vice-présidente. Née dans une famille pauvre du département de Cauca, dans le sud-ouest du pays, elle est devenue mère célibataire à 16 ans, a dû fuir sa région après des menaces de mort, a fait des ménages pour gagner sa vie et eu la ténacité d’étudier avant de se frayer un chemin en politique. Défenseure de l’environnement couronnée du prix Goldman, également connu comme le prix Nobel de l’Environnement, Francia Marquez a survécu, en 2019, à une attaque armée. Elle s’opposait à l’exploitation minière dans son département natal où les groupes armés se disputent le trafic de drogue et les revenus de l’orpaillage illégal. Francia Marquez a mené campagne pour «ceux qui ne sont rien, ceux dont l’humanité n’est pas reconnue, ceux dont les droits ne sont pas reconnus dans ce pays». L’écologiste et féministe convaincue a appelé, dans son premier discours au soir de la victoire, à la «réconciliation» du pays «dans la joie et la paix». «Au milieu de nos différences, nous pouvons construire une nation qui va de l’avant, une nation prospère», a déclaré la jeune mère de 40 ans, dans une interview accordée à Caracol Radio. Elle n’est pas la première femme élue à la vice-présidence car elle remplace la conservatrice Marta Lucia Ramirez (2018-2022) désignée avant elle.
L’adversaire défait de M. Petro, Rodolfo Hernandez, avait également une Afrodescendante comme colistière, Marelen Castillo. Avec l’ascension de Francia Marquez et son discours affirmé, un racisme sous-jacent a émergé au grand jour en Colombie où 9,3% de ses 50 millions d’habitants s’identifient comme Afrodescendants. Peu d’entre eux occupent des postes de pouvoir, et encore moins des femmes. Une seule Afrodescendante est aujourd’hui au gouvernement et deux parlementaires noirs siègent parmi les 300 députés et sénateurs. L’accession de Mme Marquez à la vice-présidence est «en termes politiques, symboliques et culturels, très importante car la Colombie est un pays où le racisme est très fort», estime auprès de l’AFP l’analyste Cristina Echeverri. Selon elle, Francia Marquez «oxygène la politique traditionnelle» et rassemble «l’environnement, l’ethnique, le racial, la jeunesse et le féminisme».