Sommes-nous des ennemis de l’arbre et de la nature ? La question est provoquante et à la limite de l’injure. Cependant, force est de constater qu’en Algérie, en dépit des lois et des discours, le souci écologique est absent et, pour une raison ou une autre, on ne prend pas vraiment soin de l’environnement. Le milieu naturel se dégrade chaque année sous nos yeux et les feux qui ont ravagé durant ce week-end une partie importante du Nord du pays éclairent cette réalité d’une lumière sinistre.

Le Premier ministre a réagi hier samedi aux incendies de forêt qui ont ravagé des dizaines d’hectares de la surface forestière du nord-ouest du pays. Sur sa page Facebook Abdelaziz Djerad, qui ne semble pas écarter la piste criminelle, a écrit que le gouvernement sera «implacable» vis-à-vis des éventuels pyromanes. Pour rassurer une opinion tantôt interloquée tantôt scandalisée selon les réactions «postées» sur le réseau social Facebook et les déclarations recueillies dans les zones touchées par les chaines de télévision privées notamment, il a ajouté que, pour réparer le sinistre et recouvrir ce patrimoine naturel parti en fumée, il sera procédé «au reboisement, arbre par arbre».
Depuis jeudi, vingt-et-un départs de feux ont été enregistrés dans les régions d’Oran, Mostaganem ; Sidi Bel Abbes, Chlef, Ain Defla, Tipaza, Boumerdes, Tizi-Ouzou et Bejaia, formant ainsi une ceinture de feu sur la façade nord du pays, faisant deux victimes près de Tipasa, des personnes en détresse respiratoire, des dégâts matériels ainsi que la destruction du milieu naturel dans les zones impactées. Ce phénomène est inhabituel par son caractère synchronique et le moment de sa déclaration en dépit d’une météo marquée par un vent saharien. Il incite, ainsi que le suggère au point de vue officiel la réaction du Premier ministre, à se poser d’inquiétantes questions sur son origine. Il confirme cependant le péril qui menace depuis des années le patrimoine naturel et la biodiversité en Algérie.
Les feux qui se sont déclarés durant le week-end interviennent dans un contexte marqué par des agressions continues et de plus en plus violentes contre l’environnement. L’origine de ces agressions est principalement humaine et se manifeste par un urbanisme anarchique qui grignote chaque année de précieuses surfaces boisées, modifiant dangereusement et durablement le paysage des périphéries des grandes et moyennes agglomérations comme Alger, Oran, Constantine , Annaba, Sétif, Bejaia, Tlemcen, touchant maintenant des périmètres qu’on croyait inviolables en raison de leur beauté et de leur importance comme le couvert forestier dans la région de Tipasa pour ne citer que cet exemple.
En une année, entre avril 2019 et avril 2020, la Police de l’urbanisme et de la protection de l’environnement, selon un décompte non exhaustif, a enregistré près de 37.000 infractions dont 18.675 liées à l’environnement. En septembre 2020, l’actuelle ministre chargée du secteur, la ministre de l’Environnement, Nassira Benharrats, déclarait lors du lancement d’un projet de tri des déchets marins dans le port de Cherchell que «la situation environnementale marine nécessite de tirer la sonnette d’alarme». Selon les résultats d’analyses d’échantillons de déchets marins prélevés sur le littoral algérien, avait-elle indiqué, huit types de déchets marins ont été recensés, dont 75 % de déchets plastiques avec de lourdes conséquents sur le milieu marin et sous-marin.

Des textes de loi pour rien ?
Ces attentats continus contre le milieu naturel algérien se signalent également dans les zones dites protégées comme les zones humides (lire nos entretiens en pages 4, 5 et 6) par les rejets de déchets de toutes sortes et l’incapacité pour les services de l’environnement et des associations (dont beaucoup sont là pour de la figuration uniquement) à sensibiliser sur la fragilité de ces écosystèmes et l’importance de les protéger contre l’intrusion humaine anarchique comme richesse nationale de premier ordre et à léguer aux générations futures. Une réalité qui rend presque ridicule l’arsenal juridique dont dispose l’Algérie pour protéger son milieu naturel depuis le milieu des années soixante (1966) jusqu’à nos jours. La loi de juillet 2003 relative à la protection de l’environnement sanctionne les atteintes au milieu naturel et punit les infractions de peines de prison (10 jours à deux mois pour les agressions contre les aires protégées) et d’amende pouvant atteindre les 100.000 dinars, voire le double quand il s’agit de récidive. Il en est de même pour les sanctions relatives à la protection de l’air et de l’atmosphère pour lesquelles est prévue une amende de 5 à 15.000 dinars. Elle stipule que la qualité de police de l’environnement revient aussi bien aux officiers et agents de police judiciaire, les officiers et agents de la protection civile, que les inspecteurs chargés de la protection de l’environnement.
Elle habilite également les administrateurs des affaires maritimes, les inspecteurs de la navigation et des travaux maritimes, les officiers des ports, les syndics des gens de mer et autres, à rechercher et à constater les atteintes au milieu marin et littoral. Il n’empêche que cet arsenal juridique parait de moins en moins opérant en dépit de sa clarté et la rigueur de son contenu en raison de la faiblesse des moyens humains et matériels chargés de la surveillance et de la protection du milieu et dans contexte de laisser-aller presque général quand il s’agit de protection de l’environnement, que la majorité des collectivités locales, n’ayant pas été suffisamment informées de son enjeu, ne considèrent pas comme une priorité.
Une anecdote : lors des états généraux de l’environnement organisés il y a quelques années à Zeralda par Dalila Boudjemaa, l’ancienne ministre du secteur, actuellement conseillère auprès de la présidence de la République, les directeurs de l’environnement dans les wilayas ont passé leur temps à se plaindre d’«invisibilité» et de «faiblesse d’audience» auprès des walis et des exécutifs locaux.