En clôture d’un évènement géopolitique sino-arabe majeur, le président chinois Xi Jinping a achevé hier sa visite officielle en Arabie saoudite prise durant deux jours par un vent de non-alignement, dont il faut désormais surveiller la direction. A Ryad, capitale de la monarchie wahhabite, l’homme fort de Pékin, outre les entretiens bilatéraux, a participé à trois sommets qui vont marquer l’année 2022 finissante et plus certainement celles qui s’annoncent après 2023, celle-ci serait le début d’un nouveau deal entre l’Empire du milieu, les monarchies du Golfe et, plus généralement, tous les pays du continuum Moyen-Orient/Afrique du Nord (MENA). L’objectif, pour la partie chinoise, est de continuer à affirmer sa puissance montante et son ambition à investir le plus grand marché, notamment énergétique, au monde. Pour la partie arabe, c’est de quêter, même si elle est loin d’être homogène et porteuse d’intérêts convergents, une autonomie stratégique et de jeu d’équilibre dans un contexte international que la guerre en Ukraine a rendu davantage préoccupant.

Par Halim Midouni
Le sens commun aux trois sommets auxquels a pris part Xi Jinping est double : le premier est de signer, pour la partie chinoise, une offensive politique et diplomatique historique et peut-être déterminante des décennies à venir dans une région considérée jusqu’ici comme le terrain conquis par les Etats-Unis depuis la Seconde guerre mondiale ; avec, à la clé, la garantie de la Chine de se présenter à ses différents Etats comme un partenaire économique d’envergure et comme un client fiable pour leurs exportations en hydrocarbures, au moment où leur politique énergétique, notamment exercée dans le cadre de l’alliance Opep+, agace au plus haut point les Etats-Unis.
Le deuxième est, pour la partie arabe, de s’assurer d’une relation solide avec la puissance chinoise qu’on perçoit désormais comme un sérieux rival et compétiteur des Etats-Unis, dont on supporte de moins en moins le discours hégémoniste, notamment sur la question énergétique, et comme un acteur mondial offrant aux pays de la région l’opportunité d’une relation de leur point de vue multipolaire, en un mot celle d’un non-alignement rénové (qui n’a plus rien à voir avec celui des années soixante-dix, mais basé davantage sur le pragmatisme et l’intérêt géoéconomique éloigné de la logique des blocs) que la guerre en Ukraine encourage fortement.

Pragmatisme et intérêt géoéconomique
S’il n’est pas sûr que cette relation (que certains présentent sous le signe des «retrouvailles» avec la remise au goût du jour de la «route de la soie») ait des chances de se réaliser dans un cadre collectif et régional – chaque pays ayant sa propre vision et ses propres intérêts bilatéraux à défendre avec la puissance économique chinoise -, le rapprochement avec Pékin est considéré par tous comme un axe prioritaire vers la recherche d’une autonomie stratégique vis-à-vis des Etats-Unis et d’un jeu d’équilibre entre Washington et Pékin. Avec quel succès ? La question est surtout posée aux monarchies du Golfe fortement dépendantes des garanties de sécurité que leur offrent les Etats-Unis. Les réponses dépendront du sort des engagements pris durant les trois sommets à Ryad.
Xi Jinping, en effet, a participé à un sommet saoudo-chinois qu’il a présidé avec le roi Salman avec la participation du prince héritier Mohammed Ben Salman (MBS). Il a pris part au sommet Golfe-Chine avec la participation des dirigeants des États membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG) et, enfin, au sommet arabo-chinois. Au cours de ces grandes rencontres, le président Xi a présenté le grand projet chinois de «Route de la soie», lancé en 2015 pour accéder aux marchés mondiaux et connecter l’Asie et l’Afrique. Un dessein auquel adhère l’ensemble des Etats arabes d’autant que, pour les monarchies du Golfe confrontées au «risque» ou au «péril» iranien (Téhéran cherchant à se doter de l’arme atomique), la déclaration finale du sommet Chine-CCG fait référence au consensus de visions sur les questions de paix, de sécurité et de stabilité et sur celles du respect de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique des États. Cette déclaration fait surtout référence à la nécessité de soutenir le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, de prévenir la prolifération des armes de destruction massive dans la région du Golfe, de garantir le caractère pacifique du programme nucléaire iranien et d’appeler l’Iran à coopérer pleinement avec l’Agence internationale de l’énergie atomique.

Soutien à la question palestinienne
Le troisième sens à donner au sommet sino-arabe est à chercher dans la position de Pékin vis-à-vis de la question palestinienne. La Chine soutient la solution dite des deux Etats et elle soutient également l’initiative de paix arabe pour le droit des Palestiniens d’établir un État indépendant dans les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est en tant que capitale. «La question palestinienne, a déclaré le président Xi Jinping, concerne la paix et la stabilité au Moyen-Orient et met la conscience morale de l’humanité en jeu. L’injustice historique subie par le peuple palestinien ne peut pas durer indéfiniment, et les droits nationaux légitimes ne peuvent être compromis, et nous attendons avec impatience la création d’un État indépendant».
Le président Xi Jinping a décrit le sommet comme un événement charnière dans l’histoire des relations entre les deux parties et comme un moment qui annonce un avenir meilleur pour la coopération entre la Chine et les pays arabes qu’il considère comme un modèle, puisque pas moins de dix-sept mécanismes de coopération ont été établis entre les deux parties dans le cadre du Forum de coopération sino-arabe en 2004. Au cours des dix dernières années, rappelle-t-on également, le volume des échanges commerciaux a dépassé les 300 milliards de dollars. Plus de 200 projets ont, par ailleurs, été mis en œuvre dans le cadre de la coopération pour la construction de la nouvelle route de la soie. Le chef de l’Etat chinois a souligné la volonté de la partie chinoise de travailler avec la partie arabe pour mettre en œuvre les huit actions conjointes au cours des trois à cinq prochaines années, qui couvrent les huit domaines, à savoir «le développement, la sécurité alimentaire, la santé, le développement vert et l’innovation, la sécurité énergétique, le dialogue entre les civilisations, la formation des jeunes, la sécurité et la stabilité».
Il a ajouté que la Chine avait établi des relations de partenariat stratégique globales avec douze pays arabes, chacun séparément, et signé des documents de coopération pour construire la nouvelle route de la soie avec 20 pays arabes, et 17 pays arabes ont exprimé leur soutien à l’initiative de développement mondial, et 15 pays arabes a rejoint la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures et 17 mécanismes de coopération ont été mis en place dans le cadre du Forum de coopération sino-arabe. n