Les rues de Santiago comme dans de nombreuses villes du Chili ont explosé de joie à l’annonce de la victoire du candidat de gauche Gabriel Boric sur son adversaire d’extrême droite, José Antonio Kast, dimanche au second tour de la présidentielle. C’est une véritable triomphe pour la coalition de gauche, dont est membre le Parti communiste, dans ce duel inédit depuis le retour à la démocratie en 1990 entre deux candidats aux projets de société diamétralement opposés.

Par Laurent ABADIE
« Je suis heureux parce qu’il va y avoir beaucoup de changements qui vont aider le peuple et la classe ouvrière, les oubliés», a déclaré à l’AFP Luis Astorga, 58 ans, ouvrier du bâtiment descendu dans les rues de Santiago fêter la victoire. Selon les résultats officiels quasi-définitifs (99,96% des bureaux de vote), M. Boric, qui à 35 ans est le plus jeune président du Chili et parmi les dirigeants les plus jeunes au monde, l’emporte avec 55,87% des voix contre 44,13% à M. Kast, un admirateur de la dictature d’Augusto Pinochet soutenu par l’ensemble de la droite chilienne. Plus d’un million de voix séparent les deux prétendants (4,6 contre 3,6). La participation dépasse les 55%, un plus haut historique depuis que le vote n’est plus obligatoire en 2012. Au 1er tour, elle était de 47%, lorsque José Antonio Kast était arrivé en tête (27,9% contre 25,8%), répétant qu’il était le candidat de «l’ordre, de la justice et de la sécurité». «Boric a réussi à mobiliser le segment le plus difficile à mobiliser: les jeunes», a estimé auprès de l’AFP la politologue Claudia Heiss.
C’est avec son projet d’Etat-providence, un changement d’ampleur dans le pays considéré comme le laboratoire du libéralisme en Amérique latine, que Gabriel Boric l’emporte en ralliant autour de lui la classe moyenne à moyenne supérieure, essentiellement à Santiago. Gabriel Boric entend promouvoir une grande réforme fiscale pour faire participer les plus riches à son programme de meilleur accès à la santé, à l’éducation et à la création d’un nouveau système de retraite, aujourd’hui entièrement privé. Le Chili est le pays le plus inégalitaire de l’OCDE. Costume sombre et chemise blanche ouverte au col, fines lunettes et barbe épaisse, il a promis aux dizaines de milliers de supporters rassemblés pour l’écouter dans le centre de Santiago «plus de droits sociaux» «tout en restant fiscalement responsables».

«J’en pleure de joie»
Une foule compacte et rieuse a envahi les rues de la capitale, agitant des drapeaux chiliens, dont la place d’Italie, épicentre des rassemblements en 2019 pour plus de justice sociale. La fête s’apprête à durer toute la nuit tant le retour d’une certaine forme du pinochétisme était crainte parmi la population. «C’est une lutte qui dure depuis de nombreuses années, depuis nos parents et nos grands-parents, et nous continuons à lutter contre tout ce que Kast signifie au Chili», dit Daniela, une serveuse de 27 ans. «C’est nous, les jeunes, qui devons faire avancer les choses. J’ai foi en lui, je crois en ce qu’il dit». «J’en pleure de joie.
Nous avons battu le fascisme, c’était comme une naissance. Je vais rentrer à la maison, je vais serrer mes enfants dans mes bras et boire une bière», a lancé Jennie Enriquez, 45 ans, employée de pharmacie. «Les jeunes ont compris qu’il fallait changer les choses et qu’un candidat comme José Kast était très dangereux. Les jeunes sont descendus dans la rue et ont montré qu’il y a des demandes qui doivent être satisfaites», estime Pedro Carballeda, 19 ans, étudiant en droit. Le président sortant Sebastian Piñera a félicité dans une discussion vidéo le nouveau chef de l’Etat élu qui prendra officiellement ses fonctions le 11 mars. «L’histoire nous a appris que lorsque nous nous divisons en guerres fratricides, les choses finissent toujours mal. Tout le Chili espère (…) qu’il y aura un très bon gouvernement pour le Chili et les Chiliens», a dit M. Piñera au président élu. Avant lui, José Antonio Kast avait tenu à féliciter son adversaire: «Il mérite tout notre respect, beaucoup de Chiliens lui ont fait confiance», a-t-il déclaré après avoir reconnu sa défaite sur son compte officiel Twitter.
De Cuba à l’Argentine, en passant par le Mexique, le Nicaragua, le Venezuela et le Pérou, les gouvernements de gauche d’Amérique latine ont exprimé leur satisfaction à la victoire de M. Boric. L’ancien président du Brésil, Luiz Inacio Lula da Silva (Parti des travailleurs, gauche), que les sondages donnent vainqueur de la présidentielle en 2022 dans un éventuel duel avec le président d’extrême droite Jair Bolsonaro, s’est dit «heureux d’une nouvelle victoire d’un candidat démocratique et progressiste dans notre Amérique latine, pour la construction d’un avenir meilleur pour tous».
(Source AFP)

La Bourse de Santiago chute de 6,83%

La Bourse de Santiago a sévèrement sanctionné le triomphe de la gauche et la victoire de Gabriel Boric sur l’extrême-droite dimanche au second tour de la présidentielle au Chili en ouvrant lundi sur une très forte baisse. L’IPSA, principal indice de la Bourse de Santiago a fondu de 6,83% à l’ouverture à 12H30 GMT, avant de se reprendre peu après, au dessus de – 5%. A 13H30 GMT la chute était contenue à 3,13%. Le dollar s’échangeait à 872 pesos à l’ouverture, quelque 30 unités de plus qu’à la clôture vendredi, dépassant son plus haut niveau depuis le 18 mars 2020, soit une dépréciation de la monnaie locale de 3,02%. Le candidat d’extrême-droite José Antonio Kast et son programme ultra-libéral avaient les faveurs des marchés. La Bourse de Santiago avait salué son arrivée en tête à l’issue du 1er tour le 21 novembre par une hausse de quelque 9,25%. M. Boric a été élu sur la promesse de la mise en place d’un Etat-providence, un changement d’ampleur dans le pays considéré comme le laboratoire du libéralisme en Amérique latine mais devenu le plus inégalitaire de l’OCDE. Il entend mener une grande réforme fiscale pour faire participer les plus riches à son programme de meilleur accès à la santé, à l’éducation et à la création d’un nouveau système de retraite, aujourd’hui entièrement privé. Mais il a promis dimanche soir devant ses partisans «plus de droits sociaux tout en restant fiscalement responsable». Une annonce également pour ses détracteurs qui le qualifient de «communiste» pour son alliance avec le Parti communiste chilien dans la grande coalition de gauche, qui inclut aussi le centre-gauche, qui l’a mené au pouvoir. L’activité économique au Chili devrait par ailleurs connaître des lendemains difficiles.
Après une baisse de 5,8% en 2020 en raison des mesures de confinement imposées par la pandémie, le PIB du Chili a rebondi pour terminer l’année 2021 avec une croissance de 11,5%.
Mais une grande partie de cette croissance a été alimentée par des subventions gouvernementales (3 milliards de dollars) pour stimuler une économie ravagée par la pandémie, et par des retraits individuels dans les fonds de pension privés (50 milliards de dollars).
Dans un contexte d’inflation, la Banque centrale devrait en 2022 relever encore son taux d’intérêt directeur, passé de 1,5 à 4% en deux augmentations depuis octobre, pour passer à 6%, soit plus du double de la fourchette cible.
D’autant que le nouveau président de 35 ans n’a pas de majorité au Parlement lui laissant les coudées franches.
Des experts ont affirmé à un journaliste de l’AFP qu’il «lui sera difficile de satisfaire l’agenda social» et qu’«il ne pourra pas réaliser l’intégralité de son programme si de larges accords ne sont pas conclus».