La Centrafrique montre encore une fois des signes de fragilité inquiétante et d’incapacité à stabiliser ses institutions de pouvoir et de gouvernance susceptible de le délivrer du climat de violences imposé par les milices et les conflits interconfessionnels et ethniques. Mercredi et jeudi derniers, ce sont ces milices qui ont à nouveau fait parler d’elles en s’attaquant dans la capitale Bangui à un quartier de commerçants majoritairement musulmans, le PK5, devenu l’une des zones les plus dangereuses de la ville depuis 2014, selon les agences et les correspondants de presse.
Synthèse Salim Benour
«33 corps ont été apportés à la mosquée», a affirmé à l’AFP Awad Al Karim, imam de la mosquée Ali Babolo, selon lequel les commerçants ont pris les armes pour s’opposer à la taxation imposée par les groupes d’autodéfense qui règnent dans le quartier. . De son côté, le président de la Croix-Rouge centrafricaine, Antoine Mbaobogo, a déclaré que beaucoup sont morts après l’attaque, faisant le décompte d’une trentaine de victimes.
Ni la Mission des Nations unies en Centrafrique (Minusca), ni les autorités centrafricaines ne contrôlent le PK5, et aucun bilan officiel des affrontements n’était disponible i, la Minusca se contentant d’évoquer «des dizaines de victimes». De nombreuses boutiques ont été pillées, a constaté un journaliste de l’AFP. Selon des témoins, les milices pratiquent le racket sur des commerçants qui refusent désormais de payer. «Y en a marre! A chaque fois, (les miliciens nous) demandent de l’argent», a déclaré à l’agence de presse un commerçant, propriétaire de plusieurs boutiques Comme plusieurs de ses confrères, il monte la garde dans la rue, armé d’une kalachnikov. Des explosions de grenades et des rafales d’armes automatiques étaient encore audibles dans l’après-midi, après avoir retenti dans la capitale centrafricaine dès mercredi soir. La détermination des commerçants a pris les miliciens de court, eux qui s’étaient habitués à les «taxer» depuis qu’ils avaient pris le contrôle du quartier, en 2013. «On veut faire un vrai travail», affirme désormais un jeune milicien de 19 ans. Il faisait jusqu’à présent le guet pour un des groupes armés du quartier mais déclare à présent vouloir se ranger, blâmant «les grands» de son groupe pour les violences. «Nous avons dépêché sur place une force de réaction rapide» a indiqué Bili Aminou Alao, porte-parole de la Minusca. «Une partie du marché a été brûlée, ainsi que quelques véhicules», a-t-il ajouté. «Entre 40 et 50 boutiques ont été brûlées, ainsi que quatre à cinq maisons», a précisé à l’AFP le colonel Patrick Bidilou Niabode, directeur général de la Protection civile centrafricaine. Le PK5 est en proie à des violences sporadiques depuis 2014. C’est dans ce quartier commerçant que s’étaient réfugiés beaucoup de musulmans de Bangui après les affrontements entre rebelles de la Séléka et groupes anti-balaka qui ont ravagé la capitale après la chute du président François Bozizé en 2013. Depuis, les ruelles du PK5 sont tenues par une myriade de groupes autoproclamés d’autodéfense constitués depuis 2013. En avril 2018, la Minusca avait lancé l’opération Sukula (Nettoyage en sängö, la langue nationale) pour arrêter un chef de milice. Cette opération répondait à un appel lancé par l’association des commerçants du PK5 qui avait fixé un ultimatum à la Minusca pour qu’elle démantèle ces groupes armés, accusés de violences, d’exactions et d’extorsions de fonds.
L’opération s’était soldée par un échec, avec une trentaine de morts et une centaine de blessés.
Riche en ressources naturelles, la Centrafrique est déchirée par la guerre, qui a forcé près d’un quart des 4,5 millions d’habitants à fuir leur domicile. Un accord de paix a été signé à Bangui début février entre le gouvernement et quatorze groupes armés. Il est le huitième signé depuis le début de la crise mais la situation sécuritaire reste particulièrement fragile dans ce pays qui compte parmi les plus pauvres au monde. n