Une simple balade au niveau de la Casbah d’Alger nous renseigne sur la décrépitude dans laquelle, celle qui était autrefois la Blanche, se trouve. Des bâtisses éventrées, des pavés mal replacés, des égouts à ciel ouvert et, au détour d’un chemin de tristesse, Dar Khdaouj El Amya, Khdaouj l’aveugle. Une exception à la règle qui veut que tout ce qui est ancien a pour vocation de disparaître.
Par Hamid Bellagha
Il fallait trancher, il y a quelques années, sur le sort réservé à la maison de cette fille d’un dignitaire ottoman. La détruire, après qu’elle eut servi à des recasements de familles de la Casbah, ou essayer de la restaurer ?
La seconde solution fut retenue et Dar Khdaouj El Amya est aujourd’hui un des musées du patrimoine qu’englobe la Casbah d’Alger.
Plus bas, c’est le Bastion 23 qui a failli passer par la case démolition, mais grâce à des âmes de bonne volonté, il se pavane au bord de la mer, en tant que musée aussi. C’est dire que les solutions de restauration ou de reconstruction, au pire, existent. Il faut seulement avoir la volonté de le faire, même si au passage des «gens de l’art» pillent tout ce qui est mobile.
Ces demeures ou monuments prestigieux ont toujours été la proie de «marchands d’art» sans scrupules qui n’hésitent pas à s’accaparer des trésors de l’humanité. Cela ne date pas d’hier et a même commencé avec le bey Ahmed de Constantine, héros de la résistance face à l’armée française. Pour les besoins de son palais éponyme, il n’hésitera pas à s’offrir les plus beaux marbres, bois, et faïences de la vieille ville datant de plusieurs siècles avant l’arrivée des Turcs. Ce même palais sera encore pillé dès que les premiers soldats auront franchi la brèche pour prendre possession de la ville.
Il sera encore livré à la prédation dans les années 1990, celles du sombre terrorisme, ou surveiller un palais n’était pas la priorité à l’époque. Portes, fenêtres, zelaidje, lustres et autres meubles et ornements finiront dans les maisons des connaisseurs qui «défendaient» la culture, ou carrément dans des malles pour traverser la Méditerranée. Tous ces apparats sont toujours visibles chez des nantis-voleurs au vu et au su de tout le monde.
La course à la prédation
En 2005, c’est une véritable opération de destruction de plusieurs Dars de l’époque de l’ancienne Constantine qui a été organisée. L’administration, sous la conduite du chef de daïra, n’a pas fait dans la dentelle. Dar el M’harsi, dar Beloucif, dar Bentchakar, plus connue par dar Daïkha, fille d’Ahmed Bey, et bien d’autres maisons ont été mises à terre avec comme argument la sécurité des habitants sous des logis menaçant ruine.
Pourtant, la vieille ville de Constantine classée patrimoine national ne peut faire l’objet de construction, de démolition qu’avec l’assentiment du ministère de la Culture et un œil scrutateur de l’Unesco. Il a fallu la présence forte de la société civile et un article de presse rédigé par nos soins sur d’autres colonnes pour que le massacre cesse et qu’une délégation du ministère de tutelle et de l’Unesco vienne mettre le holà au massacre programmé. Là aussi des «choses» disparaîtront pour aller orner les maisons cossues des ordonnateurs de la démolition des maisons.
Il faut signaler aussi que même les pavés de l’ex-rue Nationale, aujourd’hui Larbi-Ben Mhidi, trik jdida, ont été volés après l’opération de goudronnage de plusieurs rues qui n’avaient rien demandé. A Oum el Bouaghi, ce sont des escargotières, des dolmens et autres vestiges historiques dans le village romain de Sigus qui sont en attente de transfert vers un lieu sûr depuis quelques années, et dont le nombre ne cesse de diminuer, sur une «grande surface» ou tout le monde peut se servir.
Les Dolmens de Bounouara à Constantine ont failli aussi disparaître après des milliers d’années d’existence pour être transformés en caillasses et agrégats. Le site en question englobe une nécropole mégalithique qui abrite le versant ouest et le sommet du djebel Mazela près du village de Bounouara. Le site, dont le nombre de dolmens avoisine les 3 000, serait l’un des plus importants vestiges dans le domaine de tout le Maghreb. Les blocs de ces constructions funéraires vont jusqu’à 2 m de long, 1 m de large et 50 cm environ de hauteur. Et les exemples sont légion avec Timgad, Djemila, Tipasa, Cherchell, Tigzirt, Tiddis, en ne citant que des cités romaines qui font de l’Algérie le second site le plus important des cités romaines après Rome. C’est dire la richesse culturelle millénaire du pays mais aussi les vols et saccages d’une mémoire à préserver.
Et malheureusement, cette fois, ce sont les gravures rupestres du Tassili N’ajjer qui font l’objet d’attaques bien orchestrées pour dépouiller la région de ces trésors considérables.
Des dessins sur les rochers et sur les murs des grottes, justifiant d’une présence humaine il y a des milliers d’années, ainsi que d’une flore et d’une faune aujourd’hui disparues, alertent sur une disparition prochaine de siècles de témoignages anthropologiques.
Le pillage des lieux qui était à un stade artisanal, avec plus de dégradations du fait d’ignares, semble prendre une tournure professionnelle, et c’est là le plus inquiétant.
La ministre de la Culture a pris acte de ce dernier vol et de ce vandalisme et promet de retrouver les coupables et surtout de protéger tous les sites du pays des prédations avec une meilleure politique de protection et de préservation. n