A Ouaga, seul le matin est beau et presque frais. Il faut se lever très tôt. De ma fenêtre, à l’hôtel Indépendance, je voyais de grands corbeaux noirs planer au-dessus des arbres. Le soleil apparaissait lentement. Et d’heure en heure la fournaise s’installait.

Par Azzedine Mabrouki
C’est le matin très tôt qu’il faut filer vers le Centre Mélies pour rattraper en vidéo les documentaires passés la veille, alors qu’on assistait au programme fiction. Au Mélies, un beau matin, j’ai croisé Mahamet Salah Haroun, cinéaste tchadien ; il deviendra célèbre et même ministre de la Culture à N’Djamena. Haroun m’avait tendu le bulletin de La Guilde Africaine des Réalisateurs et des Producteurs (GARP) dont il était membre actif. Cet organisme cherchait visiblement à remplacer la Fepaci (Fédération panafricaine des cinéastes). En guise de devise, la Garp avait choisi un beau vers du poète nigérian Ben Okri : « We only want to increase the light and to spread the illumination » (nous voulons seulement augmenter l’intensité afin de répandre la lumière). La Garp ambitionnait de changer carrément la donne du cinéma africain dans tous les domaines. Il fallait stopper les palabres inutiles et s’occuper des problèmes urgents, filmer l’Afrique autrement. Dans les festivals, la Garp refusait de voir les cinéastes africains mis dans un ghetto, du genre « Cannes Junior ». C’est la compétition officielle ou rien du tout. Il fallait que ça bouge. Haroun et ses copains étaient passés à l’action à Ouaga, organisant des fêtes nocturnes rassemblant cinéastes et médias afin de sortir de « la déprime. D’où le choix du vers de Ben Okri. L’offensive de la Garp n’a pas résisté longtemps à la réalité du terrain. Les maux du continent ne sont pas faciles à régler. Ni ceux du cinéma. La Fepaci pour sa part continuait ses travaux, ses joutes oratoires, ses palabres tous azimuts. D’autres colloques étaient organisés à Ouaga. C’est la Pnud (Programme Nations unies pour le développement) qui promettait de l’argent aux femmes cinéastes qui ont trouvé l’idée de se réunir autour d’un thème « Femmes cinéastes contre la pauvreté ». Vaste programme. Mais le grand succès du Fespaco depuis sa création, ce ne sont pas les colloques, les beaux discours, ce sont les films, réunis et montrés convenablement, de tout le continent. C’est aussi l’amélioration constante de l’accueil et des conditions de séjour de milliers de participants. De nombreux journalistes, venus même du Japon, couvraient le Fespaco. Vestes multipoches de reporters internationaux, sueur au front rougi par un soleil implacable, ils sillonnaient les larges avenues de Ouaga – la principale, l’avenue Houari-Boumediène – avec à leur trousse de drôles de petits commerçants teigneux, baratineurs en plusieurs langues, féroces négociants de bracelets en argent, de tee-shirts fatigués, de minivélos en fil de fer, de cartes postales du Burkina… Ces petits malins comptaient et recomptaient leurs liasses de billets en francs CFA. Impossible d’y échapper. Tout porteur de badge Fespaco était immédiatement assailli. n