L’Union Africaine (UA), qui déplore que des pays européens sont coupables de maltraitance vis-à-vis des Africains fuyant la guerre en Ukraine, dénonce des pratiques inacceptables et en violation du droit international.
PAR INES DALI
La discrimination a plusieurs facettes. L’une d’elle est la discrimination raciale qui a éclaté au grand jour contre ceux qu’on dit «différents» et qui tentent de fuir l’Ukraine en guerre. Ce sont les ressortissants africains qui sont touchés selon les différents témoignages depuis les frontières ukrainiennes, où l’organisation du passage vers des pays voisins s’effectue selon un tri de… couleur !
Nombreux sont les Africains tentant de fuir l’Ukraine, majoritairement des étudiants, à dire avoir été «victimes de comportements racistes, la priorité aux frontières étant donnée à l’évacuation des Ukrainiens et des blancs en général». Ils appuient leurs dires par des vidéos postés sur les réseaux sociaux révélant la montée des accusations racistes de ceux en charge de faire passer les ressortissants étrangers. Ces vidéos montrent les forces ukrainiennes empêchant les ressortissants africains de monter dans les bus ou les trains les menant vers les pays voisins, notamment la Pologne. D’autres vidéos montrent les Africains à pied aux frontières, levant les deux mains et criant «nous sommes des étudiants !» face aux forces qui les empêchaient de dépasser la limite admise.
La situation fort désolante de traitement à deux vitesses procédant par catégorisation de ceux qui ont le droit d’être sauvés et ceux qui n’ont pas ce «droit» normalement consacré à l’«international» a fait réagir de nombreux pays africains d’abord, dont le Nigeria et l’Afrique du Sud, avant que l’Union africaine (UA) ne réagisse à son tour. Devant les témoignages qui se sont multipliés montrant des Africains maltraités et bloqués au passage des frontières, surtout avec la Pologne très sollicitée par la majorité de ceux qui tentent de fuir, l’UA a décidé de réagir officiellement avant-hier.
L’UA préoccupée
Elle s’est dit «particulièrement préoccupée par les informations rapportées selon lesquelles les citoyens africains, se trouvant du côté ukrainien de la frontière, se verraient refuser le droit de traverser la frontière pour se mettre en sécurité».
Le chef de l’Etat sénégalais et président en exercice de l’UA, Macky Sall, et le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, ont rappelé que «toute personne a le droit de franchir les frontières internationales pendant un conflit et, à ce titre, devrait bénéficier des mêmes droits à traverser la frontière pour se mettre à l’abri du conflit, quelle que soit sa nationalité ou son identité raciale». De ce fait, appliquer un «traitement différent inacceptable» aux Africains serait «choquant et raciste» et «violerait le droit international», ont souligné les deux responsables à l’UA, en référence aux multiples images, vidéos et témoignages montrant des Africains bloqués aux frontières, alors que d’autres sont autorisés à passer. Le président en exercice de l’UA et le président de la Commission de l’UA ont donc demandé à tous les Etats de «faire preuve d’empathie et du même soutien, peu importe la race».
Le Nigeria a exhorté lundi les autorités frontalières d’Ukraine et des pays voisins à traiter «avec dignité» ses citoyens. «Des informations regrettables» indiquent que «la police ukrainienne et le personnel de sécurité refusent de laisser les Nigérians monter dans les bus et les trains» vers la Pologne, a déclaré le porte-parole de la présidence nigériane Garba Shehu. «Dans une vidéo qui circule largement sur les réseaux sociaux, une mère nigériane avec son jeune bébé a été filmée en train d’être forcée physiquement de céder son siège», a-t-il poursuivi, ajoutant que selon d’autres informations, des fonctionnaires polonais ont refusé l’entrée en Pologne à des Nigérians venant d’Ukraine. «Tous ceux qui fuient une situation de conflit ont le même droit au passage en toute sécurité en vertu de la convention des Nations unies, et la couleur de leur passeport ou de leur peau ne devrait faire aucune différence», a-t-il insisté, cité par des agences de presse.
Le porte-parole du ministère sud-africain des Affaires étrangères, Clayson Monyela, a, selon les mêmes sources, lui aussi affirmé que les Africains étaient victimes de «mauvais traitements» à la frontière entre l’Ukraine et la Pologne et que l’ambassadeur d’Afrique du Sud s’y était rendu pour aider un groupe de Sud-Africains, majoritairement des étudiants, coincés, à entrer en Pologne.
Ces accusations de racisme ont été rejetées, notamment par l’ambassadrice de Pologne au Nigeria, Joanna Tarnawska. «Tout le monde reçoit un traitement égal. Je peux vous assurer que, selon les informations dont je dispose, certains ressortissants nigérians ont déjà franchi la frontière avec la Pologne», a-t-elle déclaré à des médias locaux, ajoutant que «les documents d’identité invalides sont acceptés pour franchir la frontière et les restrictions liées au Covid-19 ont été levées» et que «les Nigérians disposent d’un délai de 15 jours pour ensuite quitter le pays». Certains Nigérians qui ont franchi la frontière ont décrit leur voyage dans l’obscurité jusqu’aux frontières bondées, où des fonctionnaires donnaient la priorité aux femmes et enfants ukrainiens.
Selon les Nations unies, plus de 500.000 Ukrainiens ont gagné des pays frontaliers, dont la moitié a rejoint la Pologne. Pour l’heure, plus de 260 Nigérians ont été accueillis par les ambassades, éparpillés entre Roumanie, Hongrie et Pologne.
D’autres pays, comme la Côte d’Ivoire qui compte environ 500 ressortissants en Ukraine, la République démocratique du Congo (200 ressortissants) ou encore le Kenya (201 ressortissants) ont déploré rencontrer les mêmes problèmes pour l’évacuation de leurs compatriotes.
Faire quitter à ses ressortissants le territoire ukrainien s’avère une tâche ardue pour les pays africains. L’Algérie compte environ un millier de ressortissants étudiants en Ukraine et déplore le décès d’un étudiant, Talbi Mohammed Abdel Monaim, qui a succombé après avoir été atteint par une balle à la tête, samedi dernier, dans la ville de Kharkiv (nord-est de l’Ukraine). Le ministère des Affaires étrangères et de la Communauté nationale à l’étranger a indiqué, lundi, avoir tenu une réunion avec les diplomates polonais, hongrois et roumain en poste à Alger, pour coordonner l’organisation du passage des frontières vers leurs pays de nos ressortissants avant l’étape de leur rapatriement.
Entretemps, en Tunisie, un premier groupe de 106 étudiants est arrivé hier à Tunis, à bord d’un avion militaire spécialement affrété en provenance de Bucarest, selon l’AFP. Ils ont été accueillis à leur arrivée par des parents émus et visiblement soulagés après avoir connu plusieurs jours d’angoisse. Selon le ministre tunisien des Affaires étrangères, Othman Jarandi, venu les accueillir à l’aéroport, 480 autres étudiants tunisiens doivent être rapatriés dans les prochains jours à bord d’avions en provenance de Roumanie et de Pologne. Quelque 1.700 Tunisiens vivent en Ukraine, parmi lesquels 80% d’étudiants.
Les parents des étudiants algériens bloqués en Ukraine doivent prendre leur mal en patience avant de les voir arriver au pays. Pour l’heure, aucune date n’a encore été annoncée pour leur rapatriement.