Vendredi 30 octobre, nouveau putsch au Burkina Faso, le deuxième en huit mois après l’arrivée au pouvoir, dans les mêmes conditions, du lieutenant-colonel Paul Henri Sandaogo Damiba, désormais démis de ses fonctions.
Après les deux putschs au Mali et en Guinée, le renversement par la force de M. Damiba est le cinquième coup d’Etat en Afrique de l’Ouest depuis 2010. Il confirme la dangereuse instabilité politico-institutionnelle qui caractérise cette partie du continent africain où différents Etats ploient sous le poids des crises politiques, économiques et sécuritaires à répétition et sur fond
de rivalités et d’enjeux internationaux.
Par Lyes Sakhi
La journée du coup de force, qui a éjecté le lieutenant-colonel Damiba, arrivé au pouvoir le 24 janvier dernier après avoir renversé l’impopulaire Roch Marc Christian Kaboré, a été marquée par des tirs dans le quartier de la présidence à Ouagadougou. Plusieurs axes de la capitale ont été barrés toute la journée par des militaires postés sur les principaux carrefours. Dans l’après-midi, plusieurs centaines de personnes, dont certaines brandissaient des drapeaux russes, se sont rassemblées sur la grande place de la Nation à Ouagadougou pour réclamer une coopération militaire avec la Russie, rejeter la présence militaire française au Sahel et exiger le départ du lieutenant-colonel Damiba.
Cette situation de tension et d’incertitude s’est poursuivie jusqu’à ce qu’une quinzaine de soldats en treillis et pour certains encagoulés ont pris la parole, peu avant 20H00 (GMT et locale) sur le plateau de la radiotélévision nationale. «Le lieutenant-colonel Damiba est démis de ses fonctions de président du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration» (MPSR, organe dirigeant de la junte), ont déclaré les militaires dans un communiqué lu par un capitaine. Les putschistes ont également annoncé la fermeture des frontières terrestres et aériennes du pays à partir de minuit, ainsi que la suspension de la Constitution et la dissolution du gouvernement et de l’Assemblée législative de transition. Un couvre-feu de 21H00 à 05H00 est aussi mis en place.
Le nouvel homme fort du pays, désigné président du MPSR, le capitaine Ibrahim Traoré, 34 ans, était jusqu’à présent le chef de l’unité des forces spéciales antijihadistes «Cobra» dans la région de Kaya (nord). Le groupe d’officiers qui ont pris avec lui le pouvoir invoquent «la dégradation continue de la situation sécuritaire» dans le pays. A son arrivée au pouvoir, le 24 janvier, lui aussi par un communiqué lu par des hommes en armes à la télévision, M. Damiba avait promis de faire de la sécurité sa priorité, dans ce pays miné depuis des années par de sanglantes attaques djihadistes. Mais celles-ci se sont multipliées ces derniers mois, notamment dans le Nord où des villes sont désormais soumises à un blocus des djihadistes, qui font sauter des ponts à la dynamite et attaquent les convois de ravitaillement qui circulent dans la zone.
Deux de ces convois ont notamment été attaqués en septembre, avec à chaque fois un bilan lourd. Trente-cinq civils, dont de nombreux enfants, sont morts dans l’explosion d’un engin improvisé le 5 septembre. Le 13 septembre, le lieutenant-colonel Damiba avait limogé son ministre de la Défense pour assumer lui-même ce rôle. Lundi 26 septembre, 11 soldats ont été tués et 50 civils portés disparus dans l’attaque de leur convoi à Gaskindé dans le Soum, poussant.
D’autres attaques ont particulièrement marqué l’opinion publique, comme le massacre de Seytenga (nord) en juin, au cours duquel 86 civils ont été tués. Toutes ont confirmé la gravité des incessantes attaques djihadistes et l’échec de l’ancien homme fort, M. Damiba, à contenir la menace des groupes armés avec certains desquels il a tenté un processus de dialogue au cours désormais incertain. Sur le terrain, les soldats burkinabés manquent de matériel et d’équipement nécessaires pour faire face à la situation.
Inquiétude
«Nous avons décidé de prendre nos responsabilités, animés d’un seul idéal, la restauration de la sécurité et de l’intégrité de notre territoire», ont déclaré à ce sujet les putschistes à l’annonce de leur prise du pouvoir. «Notre idéal commun de départ a été trahi par notre leader en qui nous avions placé toute notre confiance. Loin de libérer les territoires occupés, les zones jadis paisibles sont passées sous contrôle terroriste», ont-ils encore affirmé. Les putschistes ont promis de convoquer «incessamment les forces vives de la Nation» afin de désigner un «nouveau président du Faso, civil ou militaire».
D’après des observateurs burkinabés, certains militaires reprochaient au Président renversé, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, d’avoir favorisé ses proches en leur offrant notamment des postes clefs dans l’administration. Pour ces mêmes observateurs, le retour au pays de l’ancien président Blaise Compaoré a également été très mal vécu par certains jeunes officiers. Dans la journée, peu avant le putsch, le porte-parole du gouvernement déchu Lionel Bilgo avait évoqué «une crise militaire» sur des «revendications liées à des primes».
Après le Mali et la Guinée, deux pays sous transition militaire et avec lesquels les relations sont au plus bas, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) se retrouve confrontée à l’instabilité du Burkina, déjà suspendu de ses instances depuis le coup d’Etat de janvier. Dans un communiqué, la Cedeao a «condamné avec la plus grande fermeté la prise de pouvoir par la force qui vient de s’opérer». Elle trouve «inopportun ce nouveau coup de force au moment où des progrès ont été réalisés (…) pour un retour à l’ordre constitutionnel au plus tard le 1er juillet 2024». L’Union Africaine ( UA) a également condamné le coup de force tandis que l’Union européenne et les Etats-Unis ont exprimé leurs «inquiétudes». Les Etats-Unis se sont dits «extrêmement inquiets» par la situation. Ils appellent « à un retour au calme et à la retenue de la part de toutes les parties», a indiqué un porte-parole du Département d’Etat.
Le Burkina, pays pauvre du Sahel et cible des groupes armésPays enclavé au Sahel
Le Burkina Faso, qui a connu vendredi 30 septembre un second coup d’Etat en huit mois, est un pays du Sahel parmi les plus pauvres au monde, en proie depuis 2015 à des attaques jihadistes. Dépourvu d’accès à la mer, le Burkina est frontalier de la Côte d’Ivoire, du Mali, du Niger, du Bénin, du Togo et du Ghana. Avec 21,5 millions d’habitants (Banque mondiale, 2021), il comprend une soixantaine d’ethnies dont les Mossi, majoritaires. 60% des habitants sont musulmans et près d’un quart chrétiens.
- Thomas Sankara, «père de la révolution»
Ancienne colonie française, la Haute-Volta devient indépendante le 5 août 1960. En 1966, un soulèvement populaire renverse le premier président Maurice Yaméogo, avant sept coups d’Etat militaires successifs. En 1983, de jeunes officiers révolutionnaires prennent le pouvoir, dirigés par Thomas Sankara qui rebaptise le pays Burkina Faso («pays des hommes intègres»). Il tente de conduire son pays sur la voie du développement économique, mais sa politique est menée d’une main de fer. Le 15 octobre 1987, Blaise Compaoré prend le pouvoir par un coup d’Etat lors duquel est tué le «père de la révolution». Renversé à son tour, il sera condamné par contumace à perpétuité en 2022 pour l’assassinat de Thomas Sankara, qui fait toujours l’objet d’un culte. - Blaise Compaoré, 27 ans de pouvoir
En 1991, Blaise Compaoré rétablit le multipartisme, après onze ans de régime militaire. Il est élu Président en 1991, réélu en 1998, 2005 et 2010. Le 31 octobre 2014, Blaise Compaoré est chassé par la rue pour avoir voulu modifier la Constitution et se maintenir au pouvoir. Il demandera «pardon» en 2022 au «peuple burkinabè» pour «les souffrances» endurées pendant ses 27 années au pouvoir. Le 29 novembre 2015, Roch Marc Christian Kaboré, longtemps baron du régime de Compaoré, est élu Président, puis réélu en 2020. Il est renversé par un putsch le 24 janvier 2022. Le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, nouvel homme fort du pays, engage un processus de transition qui doit durer jusqu’à l’été 2024. Il a été lui-même renversé vendredi par des militaires. - Attaques djihadistes
Depuis 2015, le Burkina Faso connaît régulièrement des enlèvements et attaques perpétrés par des groupes djihadistes, affiliés à Al-Qaïda ou à l’Etat islamique. Le 15 janvier 2016, un raid contre l’hôtel Splendid et le restaurant Cappuccino à Ouagadougou fait 30 morts, majoritairement des Occidentaux. L’attentat, le premier de ce type au Burkina, provoque un choc. Les violences djihadistes, qui se sont intensifiées en 2019, entremêlées à des conflits intercommunautaires, ont fait des milliers de morts et environ 2 millions de déplacés. L’ancien Président nigérien Mahamadou Issoufou, médiateur ouest-africain dans le cadre d’une transition, a estimé en juin que près de la moitié du territoire échappait au contrôle de l’Etat.La présence de la France, au Sahel depuis 2013 pour lutter contre les djihadistes, suscite également un vent de contestation.
Or et insécurité alimentaire
Le Burkina figure parmi les pays les plus pauvres au monde (classé 184e sur 191 par le Pnud en 2021). Quelque 2,3 millions de personnes sont menacées par la crise alimentaire, un chiffre qui pourrait approcher les 3,5 millions pendant la période de soudure entre les récoltes, selon un rapport du ministère de l’Agriculture publié en mars. L’or a détrôné en 2009 le coton comme premier produit d’exportation. Le Burkina a produit 66,9 tonnes du précieux métal en 2021 et les recettes profitent des cours mondiaux élevés. Le secteur représentait 13,13% du PIB en 2019. Le marché du travail burkinabè est en pleine mutation. L’agriculture, qui représentait encore 80% des emplois en 2000, n’en concentre plus que 26%, tandis que les services sont passés de 13% à 50%, selon l’Organisation internationale du travail (OIT). Auparavant prisé des touristes, le pays est déserté par les Occidentaux en raison des attaques djihadistes. Le Fespaco, principal festival de cinéma en Afrique, se tient tous les deux ans à Ouagadougou. Source AFP