Après plusieurs années d’instruction, l’audition de plus de 110 témoins et 6 mois d’audience, le verdict dans l’affaire de l’assassinat, en 1987, du président burkinabé Thomas Sankara est enfin tombé, hier. Son successeur Blaise Compaoré a été reconnu coupable de participation au meurtre par le tribunal militaire de Ouagadougou et condamné par contumace à la prison à perpétuité.
Synthèse Kahina Terki
Le commandant de sa garde Hyacinthe Kafando et le général Gilbert Diendéré, un des chefs de l’armée lors du putsch de 1987, ont également écopé de la prison à vie. Aucune circonstance atténuante n’a été retenue pour ces trois accusés, reconnus coupables d’« atteinte à la sécurité de l’Etat », de « complicité d’assassinat « et de « recel de cadavre». Les condamnés perdent également toutes leurs distinctions militaires. Le général Diendéré purge déjà une peine de 20 ans de prison pour sa participation à une tentative de coup d’Etat en 2015, un an après la chute de Blaise Compaoré suite à une insurrection populaire. Ils ont quinze jours pour faire appel de ces lourdes sentences. Les juges sont allés au-delà des réquisitions du Parquet militaire qui avait demandé 30 ans de prison contre MM. Compaoré et Kafando et 20 ans contre M. Diendéré. M. Compaoré, en exil en Côte d’Ivoire depuis sa chute, et Hyacinthe Kafando, en fuite depuis 2016, étaient les grands absents de ce procès fleuve qui a débuté il y a six mois. « Le juge a donné son verdict selon la loi et tout le monde apprécie », s’est réjouie la veuve du président assassiné, Mariam Sankara, présente presque tout au long du procès. « C’est quelque chose qu’on a demandé, la justice et la vérité », a-t-elle ajouté à l’AFP, affirmant : « Notre but était que les violences politiques qu’il y a au Burkina finissent. Ce verdict va donner à réfléchir à beaucoup de personnes. » L’avocat de la famille Sankara, Guy Hervé Kam, a également fait part de son « sentiment de satisfaction ». « Aujourd’hui, je peux dire que je suis fier d’être Burkinabè et avocat. Je suis fier de voir l’aboutissement d’un combat judiciaire de près de 30 ans », a-t-il ajouté. Le défenseur du général Diendéré, Mathieu Somé, a en revanche jugé la condamnation de son client à la perpétuité, « excessive ». « En étant accusé présent, il a la même peine que ceux qui étaient absents. Ce qui n’est pas tout à fait juste car il est venu apporter sa contribution », a-t-il relevé. Huit autres accusés ont été condamnés à des peines allant de 3 à 20 ans de prison. Trois accusés, enfin, ont été acquittés. Ce procès historique s’est ouvert en octobre 2021, 34 ans après la mort de Sankara, icône panafricaine, assassiné lors d’un coup d’Etat qui a porté au pouvoir Blaise Compaoré. Ses avocats avaient, dès le début, dénoncé « un procès politique » devant « une juridiction d’exception », estimant que la procédure « ne vaut rien ». M. Compaoré était soupçonné d’être le commanditaire de l’assassinat de son ancien compagnon d’armes et ami arrivé au pouvoir par un putsch en 1983, ce qu’il a toujours nié. La plupart des douze accusés présents, dont le général Diendéré, avaient plaidé non coupable. Le procès a été perturbé par le coup d’Etat du 24 janvier du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba qui a renversé le président élu Roch Marc Christian Kaboré. Il a été une première fois suspendu au lendemain du putsch, puis le 31 janvier, « jusqu’au rétablissement de la Constitution » mise en sommeil lors du coup d’Etat, puis rétablie par la junte au pouvoir, permettant sa reprise. Mais de nouvelles interruptions sont intervenues, dont une à la suite de la prestation de serment de M. Damiba devant le Conseil constitutionnel, le 16 février. La défense a alors introduit une requête en soulignant qu’on demandait des condamnations pour « attentat à la sûreté de l’Etat », alors que le putsch du lieutenant-colonel Damiba, validé par le Conseil constitutionnel, constituait en lui-même un « attentat à la sûreté de l’Etat ». Cela « consacre la prise de pouvoir par la force comme un mode constitutionnel de dévolution du pouvoir », avaient soutenu les avocats de la défense. Un argument « non fondé », rejeté par le Conseil constitutionnel, permettant la reprise du procès. Arrivé au pouvoir par un coup d’Etat en 1983, Thomas Sankara a été tué avec 12 de ses compagnons par un commando lors d’une réunion au siège du Conseil national de la révolution (CNR) à Ouagadougou. Il avait 37 ans. La mort de Thomas Sankara, qui voulait « décoloniser les mentalités » a été un sujet tabou pendant les 27 ans de pouvoir de M. Compaoré, contraint de partir après une insurrection populaire en 2014. n