Reporters : Le mouvement de grève mené par la coordination nationale des enseignants du primaire se poursuit toujours. La manière dont il se déploie sur le terrain laisse penser qu’il déborde le paysage traditionnel des syndicats de l’éducation nationale, n’est-ce pas ?
Boualem Amoura : Ce que je peux dire personnellement est que depuis le début, cette coordination est globalement dans le rejet de l’appui des syndicats traditionnels du secteur même si elle a des contacts informels avec certains d’entre eux.
Que pensez-vous de cette attitude ? Est-ce de la méfiance ?
Derrière cette attitude, il y a peut-être l’intention de se constituer en une nouvelle organisation syndicale orientée exclusivement vers les préoccupations des enseignants du cycle du primaire.
Est-ce une bonne nouvelle pour le champ syndical ?
Je ne le pense pas. Toute initiative de création d’un nouveau syndicat affaiblit le champ syndical en l’état actuel des choses. Cela équivaut à un signe de division, alors que les syndicalistes du champ de l’éducation nationale ont besoin de rassemblement et d’union. Si la coordination persiste dans cette logique, il est à craindre qu’elle ne parviendra à aucun résultat.
Pourquoi un tel constat?
Il est dicté par la réalité du terrain. Les mots d’ordre de grève lancés par la coordination sont rarement suivis avec un taux d’adhésion important. Je dis même qu’à chacun de ses appels à la grève de très nombreux établissements du primaire ne leur répondent pas favorablement. De très nombreux établissements, parce que leur personnel ne fait pas la grève, ont fait les examens à leurs élèves dans des conditions normales. Ce personnel craint la division ou se méfie des revendications contradictoires de la coordination.
C’est-à-dire ?
Certaines revendications sont en contradiction avec les lois. Je parle de celles relatives à l’augmentation de salaires, en contradiction avec la loi 03- 06 de la fonction publique ainsi que la loi 240 – 12 liée aux fonctionnaires du secteur de l’éducation. De plus, les camarades de la coordination veulent unifier leur classification avec celles des enseignants des autres cycles et en même temps ils veulent l’application du décret présidentiel 14- 266 alors que son application veut dire qu’ils seront bloqués à l’échelon 14.
Y a-t-il risque que la grève du primaire s’étende aux autres cycles ?
Je ne le pense pas. Au cycle du primaire, je l’ai dit, le mot d’ordre de grève n’est pas suivi par tous. Au niveau des syndicats de l’éducation nationale, nous avons passé trois ans entre 2015 et 2018 à travailler à la révision de nombreux textes de loi pour défendre les droits des enseignants et du personnel de l’éducation nationale. Cela n’a pas été facile pour diverses raisons dont la difficulté de s’entendre entre nous sur les priorités. Par ailleurs, durant ces années-là, les enseignants du primaire n’ont pas bougé.
Avouez-vous tout de même que quelque chose de nouveau est en train de se passer dans le champ syndical de votre secteur…
Absolument. Le personnel enseignant du cycle primaire change rapidement de génération et de profil. La majorité de ses enseignants sont maintenant des universitaires qui ont fait le choix du métier d’instituteur ou qui ont été obligés de le faire parce qu’on ne recrute plus dans le moyen et le secondaire. Ils viennent avec un bagage intellectuel plus important et des revendications qui changent de nature. C’est quelque chose d’important et d’intéressant à suivre et à prendre en charge.
Le Premier ministre Abdelaziz Djerad a appelé récemment à des concertations avec les partenaires sociaux et notamment avec ceux du secteur de l’éducation. Qu’en pensez-vous ?
Le Premier ministre sait que les syndicats du secteur de l’éducation nationale sont les plus actifs sur la scène des luttes pour les droits des travailleurs et des salariés. Il sait aussi qu’une majorité d’enseignants a rejoint le mouvement populaire, le Hirak, et qu’il est naturel d’ouvrir des canaux pour le dialogue. Pour ce qui nous concerne, nous somme avec le principe du dialogue si on assiste à de nouvelles mesures d’apaisement qui incluent entres autres la libération de tous les détenus politiques, l’ouverture des médias ainsi que le libre exercice syndical dans notre pays.