La rencontre organisée, dimanche dernier, par quelques jeunes convaincus du Hirak, prônant la création d’une coordination composée d’une vingtaine de membres, révocables à tout moment, n’a pas suscité le débat escompté au sein du Hirak, rassemblé pour sa 48e marche consécutive. Les groupes, réunis çà et là sur la place de la Liberté et dans l’allée attenante de ficus, du côté nord, discutent de tout sauf de l’opportunité d’une telle initiative. Les jeunes à l’origine de l’idée sont pourtant là…
Les Hirakistes, interrogés sur le sujet, affichent des positions contrastées, allant des plus favorables aux plus hostiles, des plus tranchées aux plus nuancées, un éventail d’opinions qu’ils déploient avec enthousiasme pour convaincre de la justesse de leur vision. De quoi provoquer des débats passionnés qui ne peuvent que renforcer la cohésion du mouvement populaire.
M.B., un des pionniers du Hirak à Blida, pense que «le mouvement populaire n’a besoin ni d’encadrement ni de structures». «Il va très bien», dit-il. H. G., lui, très au fait des antagonismes qui accompagnent ce genre de mouvement, est convaincu du contraire. «Si nous ne faisons rien, le Hirak mourra.». Entre ces deux extrêmes, vient s’intercaler une infinité de possibilités qui s’opposent les unes aux autres, se complètent, s’acceptent ou se récusent. Elles s’accordent cependant toutes sur le même point, maintenir le mouvement populaire en vie tout en le préservant des dangers qui le guettent de l’intérieur et de l’extérieur.
«Que celui ou celle qui désire prendre part à une quelconque opération politique de rapprochement avec le pouvoir, le fasse en son nom personnel», semble être le message de la tendance prépondérante au sein du Hirak.
Sollicités pour donner leur avis sur le fléchissement observé au sein du mouvement populaire durant la période qui a suivi l’élection présidentielle du 12 décembre, certains Hirakistes considèrent que «ce qui arrive est tout à fait naturel». Ils pensent, en effet, que «le mouvement populaire a droit à un peu de répit au regard de la longue mobilisation, onze mois sans interruption, des manœuvres de division dont il a fait – et fait toujours- l’objet, des arrestations de ses membres les plus influents et les plus actifs». Ils sont convaincus que «le Hirak réussira à s’en sortir», qu’«il survivra à la situation» et qu’«il reviendra plus fort qu’avant». Il l’a déjà fait par le passé, l’été dernier précisément lorsque ses détracteurs l’avaient donné pour mort. Le Hirak a effectivement vécu des moments difficiles lors de la saison estivale mais il s’en est sorti avec panache.
D’autres, moins optimistes, pensent que ce dernier «devrait faire attention» parce qu’il «est en danger». Pour eux, en effet, «les conditions actuelles ne sont plus celles de l’été dernier et les Hirakistes se doivent de réfléchir à d’autres moyens pour le préserver». Plus inquiet encore, A. H., se demande «s’il ne serait pas plus judicieux pour le Hirak, dont les revendications sont connues et répertoriées, de décider d’une période de trêve afin de donner une chance au nouveau Président de répondre aux revendications du mouvement populaire et de tester par la même occasion ses véritables intentions».
Il est 14H10. Les discussions se poursuivent, s’allongent, s’étalent, touchent de nouveaux groupes… La placette grouille de femmes, d’hommes, d’enfants. Les inconditionnels sont là. L’homme emblème est revenu de son voyage. Il se porte bien. Tarek et d’autres veillent sur la nouvelle acquisition du Hirak, un drapeau de plus de 20 mètres que des enfants émerveillés déroulent avec l’aide de quelques adultes. Le Hirak se prépare, il affûte ses armes. Kamel, le porte-drapeau, arrange le mât (une canne à pêche, en fait) sur lequel sera hissé son fameux drapeau orné de roses, d’autres sortent leurs pancartes et leurs slogans… Beaucoup de monde aujourd’hui. Beaucoup plus que la dernière fois. Les Hirakistes se sont instinctivement mobilisés. Ils ne veulent pas que le Hirak meure, ils tiennent trop à leur mouvement pour le laisser dépérir. 14H19. Les regards se tournent soudain vers le sud, où un cortège nuptial a fait son apparition. Un couple de jeunes mariés, figures connues du Hirak, entouré de leurs amis et suivi d’adultes et d’enfants en liesse, s’est présenté à l’entrée Est. Arrivé en haut des escaliers qui donnent accès à la placette,
le couple est contraint d’arrêter sa procession, assailli par une nuée de Hirakistes, accourus lui présenter leurs vœux de bonheur. L’heureux époux, un burnous sur les épaules, souriant aux anges et l’heureuse épouse la tête et le visage recouverts d’une capuche, comme le veut la tradition, se fraient difficilement leur chemin au milieu de la foule qui les entoure, les suit, les devance, leur barrant parfois la route, les empêchant d’avancer pour quelques photos ou quelques vidéos à envoyer sur Facebook… Ils descendent les escaliers sous les youyous des femmes, longent la placette jusqu’au pied de la stèle érigée en hommage aux martyrs de la guerre de libération nationale, montent les escaliers et s’arrêtent. Nouvelle série de photos et de vidéos, embrassades, étreintes et vœux de bonheur. Un air de fête règne sur la place de la Liberté avant le début de la 48e marche. Félicitations aux deux époux, merci à Mohamed Flici et à Sara H. de nous avoir donné l’occasion de partager ces instants de bonheur en leur compagnie.
Il est temps d’y aller, le Hirak est en retard sur l’horaire mais c’est pour la bonne cause. Deux des siens ont concrétisé un de leurs rêves, le mariage. Ils ne marcheront pas aujourd’hui… A leurs frères et soeurs du Hirak de réaliser le rêve qui les a fait rencontrer et permis leur union…
14H45. Les rangs se forment. Les manifestants descendent sur la chaussée. Les encadreurs bénévoles sont là. Plus de deux mille personnes prendront part à ce 48e Hirak. Le signal du départ est donné, le cortège prend le boulevard Larbi-Tébessi au chant de «Abane a laissé un testament : Etat civil et non militaire», la cadence n’est pas aussi rapide que celle des dernières semaines, nous avançons à un rythme de procession, des citoyens qui attendaient notre passage, rejoignent le Hirak, d’autres le feront tout au long de l’itinéraire. Nous nous engageons rue Saïb-Ali pour déboucher avenue Mostefa-Benboulaïd. Le cortège s’arrête devant le siège de wilaya, chante son «refus des résultats du scrutin présidentiel», «dénie une quelconque légitimité au Président» puis continue sa progression jusqu’au boulevard Mohamed-Boudiaf. Il s’arrête devant la Sûreté de wilaya, rappelle ses positions et ses revendications d’une nouvelle Algérie, plus démocratique, d’une presse et d’une justice plus libres, et poursuit son chemin jusqu’aux gradins de la Caar. On y prend place, on chante le nouveau répertoire puis, au bout de 5 minutes, on reprend la marche, avenue Amara-Youcef et retour à Bab Essebt, mais au lieu de se disperser, les manifestants rejoignent la place de la Liberté où les attend une surprise. Des jeunes Hirakistes ont prévu de rendre hommage à certains manifestants, Monsieur Benyoucef Mellouk, des avocats, des femmes et quelques personnes âgées du Hirak… Avec les pâtisseries, des attestations de reconnaissance sont délivrées par les initiateurs de l’action…
Si certains ont apprécié le geste, beaucoup ont dénoncé la pratique et ont exprimé de manière véhémente leur opposition. Le 48e Hirak qui a commencé dans la joie a failli dégénérer en dispute. n