L’année 2019 touche à sa fin ! Un coup d’œil dans le rétro s’impose sur les activités culturelles qui ont marqué ces douze mois, que cela soit de la part des institutions culturelles étatiques ou privées. En effet, ce secteur n’a pas été épargné par les évènements politiques qui ont ébranlé le pays et chamboulé la scène culturelle à l’intérieur du pays et même à l’international, que cela soit le cinéma, théâtre, concert ou encore en littérature, même si nous avons comptabilisé quelques activités. Mais ce qui marquera les mémoires et restera gravé d’une pierre ensanglantée, c’est le décès de cinq jeunes Algériens dont la plus jeune avait à peine douze ans, à l’entrée du stade 20-Août, lors du concert événement de Soolking au mois d’août passé.

Après avoir été célèbre en Europe, en particulier en France, le rappeur algérien Abdel Raouf Draghi, connu sous le nom de Soolking, a organisé une énorme fête artistique à Alger le 22 août dernier au stade 20-Août à Alger, ayant drainé 30 000 fans.

La tragédie du concert de Soolking
Mais, le concert événement s’est transformé en un véritable cauchemar et a entraîné le décès de cinq jeunes personnes et une vingtaine de blessés pour des raisons d’organisation. L’affaire a précipité la démission de la ministre de la Culture, Meriem Merdaci, ainsi que l’emprisonnement du directeur général de l’Office national des droits d’auteur et droits voisins (ONDA) Samy Ben Cheikh El Hocine et, avec lui, d’autres responsables.
A l’instar de tous les autres secteurs, l’année 2019 a aussi été impactée par les évènements politiques qui ont secoué l’Algérie et les Festivals ont été le plus touchés. Le mouvement populaire «Hirak» a fait qu’un certain nombre de grandes manifestations cinématographiques et théâtrales soient absentes pour cette année 2019, à l’instar des deux plus importants rendez-vous cinématographiques, à savoir le Festival arabes du film d’Oran et le Festival d’Annaba du film méditerranéen qui ont été les premiers à être éjectés de la scène du septième art.
Il faut aussi mentionner, le changement subit des commissaires à la tête de plusieurs festivals, dès le mois de juin passé par l’ex-ministre de la Culture Meriem Merdaci, à leur tête le Salon international du livre d’Alger (Sila), en nommant Mohamed Ikreb en remplacement de Hamidou Messaoudi ainsi que la désignation du réalisateur Djamel Eddine Hazourli en tant que commissaire du Festival d’Annaba du film méditerranéen en remplacement du réalisateur Saïd Ould Khalifa. Il y aura également l’installation de Ahmed Bensebane comme nouveau commissaire du Festival du film arabe d’Oran, qui a pris la place de Brahim Seddiki.
Il a été procédé, également, au changement de lieux d’organisation de certains festivals, à l’image du Festival international de Samaâ soufi, transféré à la wilaya de Laghouat avec la désignation de Ben H’med Mohcer en tant que commissaire. Meriem Merdaci aura aussi annoncé que le Festival international de la musique andalouse et des musiques anciennes (FestivAlgérie) sera organisé, à la fin de cette année, dans la wilaya de Aïn Defla au lieu d’Alger, avec comme commissaire Youcef Azaizia en remplacement de Aïssa Rahmaoui. Il s’agit aussi de la nomination de Hamoud Amerzagh en tant que commissaire du Festival international d’Abalessa-TinHinan. Chose mise aux oubliettes. Ces importants rendez-vous n’ont pas eu lieu et sans aucune explication de la part du nouveau ministre de la Culture par intérim, Hassan Rabhi.
Néanmoins, le seul festival cinématographique qui a tenu le coup est le Festival international du cinéma d’Alger, resté fidèle à sa fréquentation cette année, malgré un léger changement de date et une baisse de budget. Ce dernier a su se démarquer et donner le meilleur sur l’écran avec peu de moyens. Citons aussi le Festival international de bande dessinée qui a mis, pour son édition 2019, les supers héros à l’honneur en gardant le cap de proposer une manifestation de qualité malgré des restrictions budgétaires drastiques. Toutefois, l’événement le plus réussi était l’organisation de la 11e édition du Festival de la musique symphonique, qui a vu défiler des orchestres internationaux des plus renommés. Son commissaire Abdelkader Bouazara a aussi pour cette édition octroyé une chance aux jeunes, qui se sont démarqués en donnant le meilleur d’eux-mêmes.

Report du FNTP et activités de remplacement
Le Festival national du théâtre professionnel (FNTP), dont la date coïncidait avec la campagne de l’élection présidentielle de 2019, a été reporté, mais il annoncera bientôt sa nouvelle édition. Son commissaire Mohamed Yahiaoui nous a confié que ce rendez-vous, le plus important du quatrième art algérien, aura bien lieu au mois de février ou plutôt en mars de l’année prochaine.
Le Théâtre national algérien (TNA), qui organise chaque année le FNTP, n’a pas fermé ses portes, bien au contraire. Plusieurs activités ont été abritées ce mois de décembre à l’instar des Journées du théâtre amazigh ou du théâtre pour enfants, qui s’achèveront aujourd’hui.

Des films fantômes, ovationnés sans être vus
La production cinématographique algérienne de 2019 a été marquée par le film «Papicha», de Mounia Meddour, qui a déclenché un tollé médiatique, que cela soit en Algérie ou à l’étranger. Il a été présenté en premier dans la catégorie «un certain regard» du Festival de Cannes. Ce dernier qui est considéré comme un film fantôme a fait le Buzz en Algérie, sans être projeté en salle.
En effet, «Papicha» a été interdit de projection dans les salles algériennes. Aucune explication n’a été donnée, à ce jour, par les responsables de la culture. Alors qu’en France, ce dernier a connu une médiatisation hors norme, il a été montré dans plus de 60 salles de cinéma ainsi que dans d’autres pays. Présenté en sélection officielle au dernier Festival de Cannes dans la section «Un certain regard», Papicha a depuis accumulé 24 récompenses, incluant le Prix du meilleur film arabe décerné lors du Festival du film d’El Gouna, en Egypte.
Ajoutons à cela, le film «Abou Leila» de Amin Sidi Boumediène, qui revient lui aussi sur l’époque de la décennie noire, et qui a été aussi distingué par plusieurs prix à l’international, dont quatre nominations au Festival de Cannes, dont le Prix SACD, le Prix Fondation Louis-Roederer de la Révélation, Grand Prix Nespresso et le Prix Fondation Gan à la diffusion. Malheureusement, «Abou Leila» n’a pas encore été montré en Algérie et les raisons sont également inconnues.

Sila 2019, place aux jeunes mais contenu vide
Cette année, l’événement littéraire le plus important du monde arabe et du continent africain a bien eu lieu. Plusieurs exposants nationaux et internationaux y ont pris part. Le public aussi était au rendez-vous, malgré son infériorité par rapport aux années précédentes. Ce qui a caractérisé cette 24e édition du Salon international du livre est l’espace consacré aux jeunes. Malgré cela, les rencontres abritées par ce dernier n’ont pas été aussi riches pour certains invités qui se sont plaints de leur «contenu vide et pas recherché».

Quatre romanciers au prix Booker
Quatre romans algériens sont entrés en lice pour le Prix international 2020 de la fiction arabe (IPAF), parmi 16 autres romans, il s’agit de Samir Kacimi, Saïd Khatibi, Abdelwahab Aïssaoui et Bachir Mefti, leurs œuvres ont été publiées par trois maisons d’édition, à savoir El-Ikhtilaf, Barzakh et Mime. La liste restreinte devra être dévoilée au début de la nouvelle année, qui comprendra six noms.
Il s’agit du roman, «Echelles de trolard» de Samir Kacimi publié à Barzakh, sur l’histoire politique de l’Algérie, y compris l’histoire arabe de manière sarcastique. Saïd Khatibi participera avec «Hatabo Sarajevo» (Le bois de Sarajevo) paru aux éditions El Ikhtilef, mais aussi à celles de Difaf, à Beyrouth. Quant à Abdelwahab Aïssaoui, il sera en lice avec «El Diwan El Isbarti», et parle de cinq personnalités entrelacées dans un espace temporel entre 1815 et 1833 dans la ville d’El Mahrousa, en Algérie. Il y aura aussi dans cette compétition, l’auteur Bachir Mefti avec «Ikhtilat El Mawassim».

Le Hirak en livres et en chants
Depuis le mois de mai dernier, le paysage littéraire s’est distingué par plusieurs publications en rapport avec le mouvement populaire et pacifique des Algériens ou le Hirak. D’ailleurs ces livres ont même été exposés au Salon international du livre d’Alger. Nous avons par exemple le dernier roman de Mohamed Benchicou, «Casa del Mouradia», sorti aux éditions Koukou, «Libertés, dignité, algérianité», écrit à partir de six mois d’observation de terrain par Mohamed Mebtoul, sociologue, fondateur du département d’anthropologie de la santé à l’université d’Oran. Les ouvrages, «Aux sources du Hirak», de Rachid Sidi Boumediene, et «La Révolution du 22 février», de Mahdi Boukhalfa. Abdel Razzak Boukeba a publié «Réflexions sur le Hirak algérien», suivi de près par les observations du poète Azraj Omar en juillet «le Journal intime du mouvement populaire». Certains journalistes comme Mohammed Allal se sont intéressés à l’un des facteurs directs du mouvement dans «Bouteflika et la cellule n°5», alors que d’autres ont suivi comme «Vendredire en Algérie» de l’universitaire Karima Aït Dahmane ou le visuel du Hirak à travers les photos et dessins remarqués chaque vendredi, «La Reconquête» du romancier Salah Guemriche. Les ouvrages collectifs ont aussi réuni activistes, journalistes et poètes comme dans la collection «Marcher !», dirigée par Amin Khan, ainsi que les voix de la diaspora dans «La révolution du sourire» aux éditions Frantz-Fanon.
Parmi d’autres écrivains, Mahieddine Amimour a présenté son livre «Rabea El-Ghazab», et Arezki Farad a publié «Dans l’ombre du mouvement populaire» par Dar El Khayal, qui ont présenté de nombreuses approches et visions liées à la recherche. Hors littérature, les chanteurs ont aussi apporté leurs contributions au Hirak, notamment la star des réseaux sociaux, Raja Meziane, dont le clip «Allo système», mis en ligne début mars, a été visionné plus de 40 millions de fois. D’autre part, le rappeur Soolking, sa chanson «Liberté» a récolté plus de 183 millions de vues (183 295 378), elle est l’un des hymnes du mouvement populaire, scandé par des milliers de manifestants à travers tout le pays.
Le chanteur de rap égyptien, Khalid Gad, a aussi sorti une nouvelle chanson en guise de solidarité avec le Hirak en Algérie. Sa chanson «Viva l’Algérie», sorti le 21 juin passé, a déjà atteint la barre des 507 000 vues sur Youtube. Elle contient des passages extraits de l’hymne national «Qassaman» et d’autres sur la souffrance du peuple algérien. n