Entretien réalisé par Sihem Bounabi
Reporters : Les opérateurs de la filière lait et produits laitiers ont lancé, jeudi dernier, un énième appel pour la levée du gel sur l’importation de la poudre de lait, affirmant que les chaînes de production de certains producteurs, comme Candia, sont déjà à l’arrêt et d’autres, comme Soummam, sont à 50% de leur capacité de production. Pourtant, vous et d’autres organisations avez adressé des courriers au Premier ministre et au ministre de l’Agriculture, mais vraisemblablement sans écho. Quel commentaire ?
Ali Hamani : Cela fait longtemps que l’on a alerté les pouvoirs publics sur ces risques. Dès le mois de septembre dernier, soit dès le gel des Dérogations sanitaires à l’importation (DSI) par les services du ministère de l’Agriculture, nous avons attiré l’attention des responsables concernés en leur disant que nous allons droit vers le mur, avec une perturbation du marché de lait et des risques de pénurie de ce produit de base.
Actuellement, nous sommes en plein dedans, la cadence de production de lait et produits laitiers a beaucoup diminué. Il y a des chaînes de production qui sont à l’arrêt et il risque d’y avoir un arrêt total de la majorité d’entre elles, que ce soit pour les producteurs de lait en Tetra Pak ou ceux de yaourt et de fromage. Nous avons fait des réunions avec les entreprises concernées et c’est en fonction de leurs stocks que nous avons tiré la sonnette d’alarme pour dire : attention toutes les entreprises ont un besoin criant en poudre de lait. Et la majorité, pour ne pas dire toutes, risque de s’arrêter, mais il n’y a eu aucun écho à nos appels !
Concrètement, quelles sont les conséquences si le gel de l’importation de la poudre de lait perdure ?
Les conséquences au niveau des producteurs se font déjà ressentir avec des usines à l’arrêt et des milliers d’employés mis au chômage technique. L’autre conséquence, c’est une population algérienne dans l’expectative qui n’arrivera plus à trouver le lait UHT et les produits laitiers sur le marché. Sachant que le lait est un produit de base et de large consommation et non pas un produit de luxe.
Il faut que les responsables de cette décision prennent conscience de cela, car il y a beaucoup d’Algériens, pour ne pas dire plus de la moitié de la population, qui s’oriente vers le lait en Tetra Pack, faute de disponibilité du lait en sachet où des longues files d’attente sont signalées chaque jour. C’est pour cela que les industriels ont investi dans les usines de production de lait en Tetra Pak pour répondre à la demande des consommateurs algériens.
De plus, les Algériens risquent d’être privés également de produits laitiers comme les yaourts et les fromages. Tout cela à cause d’une décision du blocage des DSI.
Dans une déclaration à Reporters, le ministre de l’Agriculture a expliqué que ce gel avait pour objectif de connaitre avec «exactitude» les besoins, en établissant un fichier pour chaque importateur mentionnant les capacités de production et les besoins d’importation et ainsi «importer le strict nécessaire». Avez-vous eu de votre côté des explications quant au blocage des DSI ?
Pour le moment, le ministre de l’Agriculture n’a donné aucune explication sur ce blocage ni aucun argument pour la justifier, ce qui risque de mettre en faillite toute la chaîne de production de lait et des produits laitiers. Selon certains bruits, mais qui ne sont pas confirmés, il semblerait que c’est une mesure pour faire baisser la facture d’importation. Même si cela est vrai, cela reste irrationnel, car la poudre de lait n’est pas un produit de luxe que l’on peut sacrifier, sauf si on veut priver les Algériens d’un élément essentiel à leur alimentation.
Il faudrait que le responsable de cette décision assume ses actes et réponde de cela devant le peuple et qu’il ait le courage d’expliquer pourquoi il a bloqué l’importation d’un aliment de base qui n’est pas produit en quantité suffisante en Algérie et que l’on arrête de jeter les producteurs en pâture en les accusant de spéculations. Il faudrait aussi que le ministre de l’Agriculture prenne ses responsabilités, puisque c’est son département qui est chargé de délivrer les DSI.
Justement, vous avez alerté, il y a plus de deux mois, dans une correspondance officielle, le ministre de l’Agriculture et le Premier ministre sur les risques de la situation actuelle, avez-vous eu des réponses à vos appels ?
Nous n’avons eu aucune réponse, c’est la fuite en avant. Cela fait des mois que nous demandons une audience aux deux ministères, mais là aussi, il n’y a aucune réponse. Dans la logique des choses, suite à nos alertes et à nos doléances, la moindre des choses est que l’on daigne nous répondre, ne serait-ce qu’en expliquant dans quel cadre cette décision a été prise pour que l’on puisse l’admettre et trouver des solutions. L’Etat est souverain dans ses décisions, et il se pourrait qu’il y ait des éléments qui nous échappent ou des arguments que nous n’avons pas. Mais ce que l’on demande, c’est qu’on nous le dise et qu’on arrête de mépriser les industriels et les producteurs. Ce qui fait mal, ce n’est pas le fait que cette décision ait été prise sans aucune concertation avec des professionnels, mais plutôt qu’elle a été prise à l’aveuglette, sans connaître la réalité du terrain. On ne comprend toujours pas sur quelle base.
Le pire ou le problème aujourd’hui, c’est que même si le gel des DSI est levé en janvier, les délais d’approvisionnement sont, au minimum, de deux à trois mois pour recevoir la poudre de lait. Les services concernés ont-ils conscience de cela à travers une décision purement bureaucratique ? Je rappelle que le Président lui-même a dit qu’il faut lutter contre la bureaucratie, c’est qu’il est conscient de son impact négatif, puisque ses propres instructions ne sont pas appliquées. Le constat face à cette situation est que toute la filière lait et produits laitiers est menacée de faillite en mettant au chômage des dizaines de milliers d’Algériens, en plus d’une inéluctable pénurie de lait.
C’est toute l’industrie laitière et celle des produits laitiers qui sont en danger de fermeture et de mise au chômage technique des effectifs suite à une décision, j’insiste, bureaucratique du blocage des DSI.
Et quelle est la situation par rapport au lait infantile et le lait spécial pour nourrissons ?
Pour le lait infantile, le ministère des Finances a donné des instructions pour que le blocage au niveau des banques puisse être levé. Ce qui est déjà un grand soulagement. Mais, il y a une seule entreprise qui avait la DSI qui a réussi à faire des commandes. Les autres entreprises qui importent le lait infantile et le lait spécial nourrissons ont toujours leur DSI gelée.
Là aussi, on demande au ministère de l’Agriculture, qui a pris la responsabilité de bloquer les dérogations sanitaires, qu’il ait le courage de faire un communiqué et de dire sur quelle base légale il a décidé de bloquer les DSI. Nous sommes des industriels et des citoyens algériens et nous avons droit à l’information.
Quelles solutions préconisez-vous et est-ce que l’Apab prévoit de nouvelles actions pour résoudre cette situation épineuse ?
Si c’est un problème d’argent, nous avons proposé comme solution de négocier avec nos fournisseurs pour des délais de paiement qui peuvent aller de six mois à une année. Les solutions techniques existent, qu’on laisse les opérateurs professionnels négocier avec leurs fournisseurs, c’est leur métier.
Aujourd’hui, on est face à une incompréhension qui s’est installée entre les producteurs et le ministère de l’Agriculture qui ne veut donner aucun argument sur ce blocage. Une chose est sûre, c’est que si la situation perdure au mois de janvier, nous allons saisir le président de la République à travers son médiateur pour trouver une solution à une situation qui n’a trop perduré sans aucune explication et qui pénalise autant les consommateurs que les industriels.
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