Dans les zones touchées par le double séisme de lundi dernier en Turquie et en Syrie, les secours continuent de s’activer pour sauver des vies. Et des miracles, il y en a eu ! On les aurait souhaités plus nombreux, on continue d’espérer davantage de survivants, mais cela ne fera pas oublier ce bilan humain effroyable et toujours provisoire : plus de 25 000 morts à déplorer dans les deux pays et des coûts économiques et politiques massifs à supporter par l’homme fort d’Ankara à la veille d’une nouvelle course électorale.

Par Lyes Sakhi
En Turquie, qui connaît des difficultés économiques, il s’agit de répondre aux besoins de 13,5 millions de personnes touchées (plus de 15% de la population du pays) et de procéder à la reconstruction des régions dévastées.
Les 10 provinces touchées représentent environ 9 % du PIB de la Turquie. La plus industrialisée d’entre elles est Gaziantep, à la frontière syrienne, qui a contribué pour 0,25 point de pourcentage au taux de croissance de 11,4 % de la Turquie en 2021, se classant huitième sur 81 provinces. 7 000 bâtiments, pour la plupart des immeubles résidentiels, ont été détruits. Ce bilan matériel non encore exhaustif implique des dépenses publiques très importantes avec de nouvelles pressions inflationnistes et un coup porté à son produit intérieur brut (PIB). Selon des estimations, le déficit budgétaire du gouvernement, projeté à 3,5 % du PIB en 2023, devrait atteindre 5 % du PIB, menaçant d’exacerber le déficit du compte courant du pays.
Ceci, sans compter d’autres fragilités économiques d’autant que la catastrophe menace d’impacter la production agricole des régions dévastées – 15% du total du pays – ainsi que la chaîne d’approvisionnement des produits de la terre, alors qu’en janvier 2023, l’inflation alimentaire y était de l’ordre de 71%.
En 2022, selon les données officielles, les exportations des 10 provinces frappées par le double séisme ont atteint 21,5 milliards de dollars, plus de 8% de l’ensemble des exportations turques. La région de Gaziantep représentait la moitié de ces exportations, suivie de la province de Hatay – qui abrite un port maritime ouvert sur le Moyen-Orient – avec 4,1 milliards de dollars d’exportations et Adana avec 3,1 milliards de dollars.
Cela veut dire que le volume du commerce extérieur de la Turquie risque de souffrir durement, aggravant le déficit du compte courant du pays : 45 milliards de dollars l’an dernier. En 2022, les 10 provinces concernées ont contribué à 7,5 % des recettes fiscales de la Turquie, soit 2 300 milliards de lires (122,1 milliards de dollars). Toutes leurs dettes fiscales ont été reportées à fin juillet 2023.
C’est dans ce contexte que le président turc Recep Tayyip Erdogan fera la course à sa réélection en mai prochain : l’épreuve électorale la plus difficile depuis qu’il est à la tête du pays voilà deux décennies. En tournée dans les zones touchées par le séisme depuis mercredi 8 avril, il a annoncé une aide financière de 10 000 livres turques (531 dollars) pour chaque famille touchée et s’est engagé à ce que le gouvernement construise de nouvelles maisons pour les victimes d’ici un an et paie les loyers de ceux qui ne veulent pas rester dans des tentes.
La pression sur lui demeure toutefois énorme. La projection de croissance de son gouvernement pour 2023 est de 5 % (3% selon de nombreux experts qui pointent les fragilités économiques turques et les mesures d’austérité attendues). Mais ce taux est susceptible de s’affaisser sous les ruines du tremblement de terre. Il s’agira en outre de prendre rapidement en charge les rescapés, pour éviter une contraction économique plus sévère et une colère populaire qui pourrait lui coûter cher.
Parmi les 10 provinces turques qui se trouvent dans la zone sinistrée, sept (Adiyaman, Malatya, Kilis, Gaziantep, Kahramanmaras, Osmaniye, Sanliurfa) sont contrôlées par des maires du Parti de la justice et du développement (AKP) d’Erdogan ; Diyarbakir est contrôlée par un administrateur nommé par le gouvernement ; et seulement deux (Adana et Hatay) sont administrées par le parti d’opposition. n