Au-delà de l’analyse purement juridique des résultats du référendum sur la révision de la Constitution, l’analyse politique peut donner lieu à d’autres interprétations qui ont abouti à la demande pure et simple de l’annulation de la consultation populaire. Le professeur en droit constitutionnel, Ahmed Dkhinissa, tout en relevant que sur le plan juridique tout s’est passé correctement, estime que la décision pourrait éventuellement émaner d’une démarche politique.
Des partis politiques et des personnalités ont appelé au lendemain de la l’annonce des résultats du référendum à l’annulation de cette consultation. Y a-t-il des instruments juridiques pour ce faire ? M. Dkhinissa estime que «si on prend la Constitution à la lettre, le Président n’a pas le droit d’obstruer une expression souveraine et n’a que la latitude de la publier et pas l’annuler». En revanche, «il peut y avoir peut-être une démarche politique, prendre en charge les questionnements, etc., car il y a eu un début de débat qui n’a pas été épuisé». A ce titre, a-t-il suggéré, il faut «tirer les enseignements en termes politique et social et, pourquoi pas, relancer le débat, car le taux enregistré est un taux qui interpelle les pouvoirs publics à répondre aux questionnements légitimes de la classe politique, de la société et aller vers l’explication de la refonte de la vie politique, de la vie sociale et économique».
Selon le juriste, «relancer les débats sur ces questionnements légitimes est une opportunité pour mieux faire comprendre les points qui ont suscité des craintes et des polémiques. C’est le début d’un processus peut-être laborieux mais qui pourrait permettre d’aboutir à des consensus fertiles et utiles». Donc «juridiquement, il ne peut pas y avoir annulation, mais politiquement, c’est toujours légitime et utile d’interpeler et de susciter un débat. C’est normal que les acteurs politiques régissent de la sorte», a déclaré notre interlocuteur.
Il estime que les pouvoirs publics seront à l’écoute que les débats restent un chantier ouvert pour aboutir à un résultat de consensus. «C’est un processus long mais qui pourrait apporter ses fruits. Il faudra alors renouveler, négocier et finaliser. Maintenant, même si le référendum est passé, les résultats provisoires connus, ce n’est pas pour autant que le débat est clos, au contraire, il faudra des efforts de part et d’autre pour arriver à un consensus», a-t-il souligné.
Quant au taux de 23,72%, il l’estime «modeste», notant qu’il doit être interprété d’une «façon scientifique». Pour ce faire, il lance des questionnements. «Il nous faut répondre à la question ‘’pourquoi ce taux faible’’ pour avancer les facteurs qui en sont peut-être été à l’origine», a-t-il déclaré, indiquant que «le scrutin a été à plusieurs enjeux qui ne sont pas dans le texte-même soumis à référendum mais qu’il faudra rapporter au contexte dans lequel il s’est déroulé». Donc la participation faible est-elle «due au contexte de la campagne, de la sensibilisation, au contexte de la crise sanitaire ?». La réponse à ces questions n’est pas aussi simple qu’elle pourrait paraitre de l’avis de M. Dkhinissa puisqu’il «faut faire presque un audit, une étude approfondie pour comprendre pourquoi ce résultat de faible participation et déterminer quelles sont les raisons» qui ont poussé les électeurs à ne pas se diriger massivement aux urnes. «Sont-elles des raisons politiques, sont-elles dues au coronavirus ? Il faut donc déterminer avec exactitude quelles sont les raisons, les motivations… Bref, déterminer quels sont les différents facteurs objectifs pour ne pas aller dans une simple hypothèse et dire, par exemple, que c’est le contexte sanitaire qui a pesé lourdement car, là aussi, il faudra déterminer dans quelle mesure et quelles proportions», a argumenté notre interlocuteur. Ce qui l’emmène à dire qu’il faut pondérer les facteurs et ne pas privilégier l’un par rapport à l’autre, mais privilégier plutôt une démarche plurifactorielle pour comprendre ce qui a influé sur le déroulement du scrutin et son résultat. Pour lui, «même s’il s’est déroulé dans un contexte exceptionnel à cause de la situation sanitaire, ce n’est pas le seul facteur et il faut en explorer d’autres». D’où, il réitère que «cela nécessite une étude approfondie car si on a juste des impressions, ce n’est pas comme lorsqu’on a des données. Les analystes que nous sommes devons avoir des données fiables».
Pour une démarche de sociologie électorale
Les données fiables, selon lui, ne sont «pas des remarques, des impressions ou des chiffres bruts». Il préconise une approche scientifique pour aller au détail, avec des chiffres, des statistiques, des sondages d’opinion, voire une démarche de sociologie électorale. «Il faut développer les instruments et des institutions qui auscultent la société, car nous sommes dans un système presque opaque même sur le plan social et pas seulement sur le plan politique. On est dans l’opacité, dans une société qui agit sur l’informel et dont on ne connait parfois pas les raisons exactes et les motivations profondes», a-t-il indiqué.
«Personnellement, je pense qu’il y a des facteurs exogènes, loin de la teneur, des dispositions et de la philosophie du texte (de la Constitution, ndlr) lui-même, mais parfois liés au contexte, à la démarche, aux motivations des facteurs politiques… c’est-à-dire le scrutin a été l’otage d’enjeux qui le dépassent. Cette complexité rend difficile un déchiffrement et une explication simple. En résumé, on peut avancer que le contexte était exceptionnel et difficile et beaucoup de facteurs et de motivations et d’enjeux ont joué en faveur de ce taux modeste».
Sur le plan procédural après la tenue du référendum, le professeur Ahmed Dkhinissa a, par ailleurs, indiqué que le Conseil constitutionnel devra rendre son verdict sur les résultats définitifs au maximum dix jours après les résultats provisoires. Le texte de la Constitution doit ensuite être signé par le président de la République avant sa publication. <