Le ministère des Affaires étrangères et de la Communauté nationale à l’étranger a annoncé hier la prochaine réouverture de l’ambassade d’Algérie en Ukraine. Cette annonce intervient trois jours après l’annonce faite par le chef de l’Etat, vendredi 24 février, de sa décision de relancer les activités diplomatiques et consulaires de notre représentation dans ce pays. Elle se veut comme un geste de rappel officiel de la neutralité algérienne en direction de Kiev et de ses puissants soutiens occidentaux par rapport à la guerre déclenchée il y a une année par la Russie. Elle se lit aussi comme une marque de clarification et de pragmatisme face aux enjeux considérables de ce conflit à l’issue incertaine et inquiétante…

Par Halim Midouni
En effet, le ministère des Affaires étrangères explique la réouverture de l’ambassade par «la sauvegarde des intérêts de l’Etat algérien (…) ainsi que ceux de la communauté nationale» en Ukraine». Il ajoute que la reprise des activités de l’ambassade se fera dans «les plus brefs délais».
Les raisons de la fermeture de l’ambassade d’Algérie en Ukraine, selon le département de Ramtane Lamamra, sont la «détérioration des conditions de sécurité» en Ukraine. Un ressortissant algérien, Mohamed Talbi, un étudiant à Kharkiv, a, en effet, perdu la vie, alors que d’autres, dont le nombre est estimé à plus de 16.000, ont été contraints de quitter le pays gagné par la guerre.
Toutefois, on peut considérer qu’à la question sécuritaire, il serait raisonnable d’ajouter celle relative à l’attitude de distance adoptée par Alger à l’égard des «opérations spéciales» déclenchées par la Russie en Ukraine. Officiellement, l’Algérie s’est abstenue en mars 2022, comme de nombreux autres pays africains et du sud de manière globale, lors du vote à l’ONU de la résolution condamnant l’intervention militaire russe en Ukraine. Elle avait alors réaffirmé son «attachement» à la Charte des Nations-Unis et avait appelé à «l’apaisement des tensions», ainsi qu’à «privilégier» le dialogue.
Cependant, son renvoi aux fondamentaux de la politique étrangère algérienne, le non-alignement en premier lieu, incessamment rappelés au plus haut niveau de l’Etat algérien, n’a souvent pas trouvé l’écho souhaité. Les raisons sont bien évidemment géopolitiques et sont à lire en fonction du regain du grand jeu de puissance et de compétition auquel on assiste actuellement et que se livrent les Etats-Unis, ses alliés occidentaux, la Russie et, bien entendu, la Chine. Elles sont surtout à voir à travers la relation historique de l’Algérie avec la Russie.
Le partage par les deux pays d’une entente sur diverses questions internationales et d’une coopération militaire importante, qui se chiffre à plusieurs milliards de dollars chaque année, a généré avec le conflit ukrainien une méfiance accompagnée d’une pression réelle de la part de certains grands partenaires occidentaux, les Etats-Unis en premier lieu. En témoignent les visites à Alger de responsables américains chargés des questions stratégiques et de défense, à l’exemple de celle effectuée en décembre dernier par le Coordinateur du Conseil de sécurité nationale pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord Brett McGurk.
Méfiance ? De «l’incompréhension et un semblant d’intimidation», dira à Reporters un ancien diplomate algérien, qu’Alger cherche «plus que jamais» à repousser. L’expression de cette riposte, dira-t-il, est dans le communiqué des Affaires étrangères qui informe que la réouverture de l’ambassade d’Algérie s’effectue au nom des «intérêts» du pays. Elle est dans la formule du chef de l’Etat qui a précédé l’annonce des Affaires étrangères et déclaré, vendredi dernier, que l’Algérie a des «relations normales avec l’Ukraine».
Baliser le voyage de Moscou
La formule du président Tebboune est à nuancer certes, mais elle n’est pas exagérée non plus. Car, en définitive, il n’y a pas eu de rupture réelle entre Alger et Kiev, dont les relations, au demeurant, restent modestes quand on les compare à celles qui existent entre l’Algérie et d’autres pays d’Europe de l’Est.
A moins d’une erreur et sans minimiser le peu de convergences entre l’Algérie et l’Ukraine du président Zelenski, l’ambassadeur Maksym Subkh a quitté Alger en juin 2022 dans les conditions normales que dicte toute fin de mission pour un diplomate de son rang. Il a été reçu par M. Tebboune et a discuté avec le chef de l’APN. Après son départ, l’ambassade ukrainienne est restée dirigée par un chargé d’affaires. C’est ce qui explique la précision de la diplomatie algérienne que la réouverture de l’ambassade d’Algérie à Kiev se fera sous la conduite d’un «chargé d’affaires», un signe à la fois de réciprocité et d’indication que la normalité a été surtout dans la poursuite des relations commerciales qui, malgré la guerre, n’ont pas cessé entre les deux pays.
Ainsi, un communiqué de l’ambassade d’Ukraine en Algérie indiquait en date du 22 octobre 2022 que «selon la partie algérienne, l’Ukraine a toujours été, est et sera perçue par l’Algérie comme un fournisseur fiable non seulement de céréales, mais aussi de tous les autres biens…». Ce communiqué a été publié alors que l’Ukraine livrait à l’Algérie au port de Djendjen une cargaison de 31,5 mille tonnes de blé.
Ceci rappelé, quelle réaction attendre de Moscou après l’annonce de la réouverture de l’ambassade d’Algérie à Kiev ? «Nos relations avec la Russie sont connues de tous», a dit le président Tebboune, vendredi 24 février, lors de son intervention télévisée. Il est en conséquence permis de penser après sa déclaration – une assurance destinée aux Occidentaux et peut-être une confirmation subtile qu’il va se rendre à Moscou sans que cette visite ne devrait les inquiéter outre mesure – que la décision algérienne de rouvrir son ambassade à Kiev a dû être précédée par un travail de balisage diplomatique destiné à rassurer le partenaire russe. Mercredi 22 février, le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, Ammar Belani, a, en effet, reçu, l’ambassadeur russe, Valerian Shuvaev, pour des «échanges approfondis et fructueux sur les moyens de renforcer les relations algéro-russes et de faire progresser la coopération bilatérale».
Selon le communiqué du ministère des Affaires étrangères, «les deux parties ont souligné la nécessité de bien préparer les prochains événements bilatéraux importants, au premier rang desquels la visite d’Etat que le Président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune, compte effectuer en Russie en mai prochain, pour donner un contenu plus solide et plus diversifié au partenariat stratégique global que les deux pays aspirent à établir». On peut toutefois supposer sans grand risque que M. Belani a dû informer le diplomate russe de la décision d’Alger de relancer l’activité de son ambassade en Ukraine. A quelques mois du voyage annoncé du chef de l’Etat à Moscou, c’est la moindre des précautions diplomatiques à prendre pour rappeler aussi que l’Algérie, selon le communiqué qui a suivi l’entrevue entre M. Belani et l’ambassadeur de Russie, comprend «l’urgence aujourd’hui plus que jamais de renforcer le système d’action multilatérale» et d’«encourager une culture du dialogue, la négociation et le règlement pacifique des différends». n