A l’ordre du jour du sommet de l’Union africaine (UA) qui s’est achevé dimanche dernier, la gravité du dossier de la crise en Libye et l’incapacité pour l’instant de ses courants politiques dominants et concurrents à s’entendre sur un calendrier électoral comme seule sortie de l’impasse dans laquelle se trouve leur pays font bouger l’organisation panafricaine.
Le Comité de haut niveau que préside depuis novembre 2016 le président congolais Denis Sassou Nguesso va tenter une nouvelle médiation entre direction des belligérants libyens afin de baliser la route vers la tenue d’élections considérées comme seul moyen d’éviter le pire pour le pays voisin.

Par Lyes Sakhi
Nouvelle conférence internationale sur la Libye ! Elle sera africaine cette fois, a annoncé dimanche 19 février le président de la Commission exécutive de l’UA, alors que le dossier libyen était à l’ordre du jour du 36e sommet de l’organisation panafricaine, qui s’est achevé dimanche 19 février.
«Nous avons réuni les différentes parties et nous sommes en train de travailler avec eux sur la date et le lieu de la conférence nationale » qui se tiendra « sous l’égide du comité de haut niveau de l’Union africaine », a indiqué Moussa Faki Mahamat à l’issue du sommet de l’Union.
Le chef de l’Exécutif de l’UA a ajouté que le comité sera présidé par le chef de l’Etat congolais Denis Sassou Nguesso qui a présenté un rapport aux Etats membres de l’Union à ce sujet. M. Faki n’a pas donné d’indication sur quand et où aura lieu cette conférence. « Une réunion préparatoire a eu lieu il y a quelques semaines à Tripoli », la capitale libyenne, a-t-il cependant indiqué.
La conférence nationale annoncée doit « être le point de ralliement de toutes les parties libyennes » pour ouvrir la voie à « des élections libre et équitable », a ajouté pour sa part Bankole Adeoye, le commissaire paix et sécurité de l’Union africaine.

Initiative africaine et regain d’inquiétude
L’annonce par le chef de la Commission de l’UA d’une initiative africaine pour une solution politique en Libye intervient dans un contexte d’inquiétude international et d’appels à un retour rapide à la normalisation institutionnelle et politique dans ce pays voisin.
« Des progrès sont absolument nécessaires pour organiser des élections et faire progresser les gains en matière de sécurité, de réconciliation nationale et de droits de l’homme », a ainsi estimé vendredi 17 février à Addis-Abeba, le chef de l’ONU, avant l’ouverture du sommet de l’UA.
« Les Nations unies et l’Union africaine – ainsi que d’autres acteurs et organisations régionaux clés – doivent travailler ensemble pour aider le peuple libyen à réaliser ses aspirations légitimes à un avenir plus pacifique et prospère », a souligné Antonio Guterres.
« Ce dont nous avons besoin de toute urgence, c’est de la volonté politique pour sortir de l’impasse politique prolongée et réaliser des progrès sur plusieurs fronts », a-t-il encore dit lors d’une réunion du Comité de haut niveau sur la Libye.
Une position partagée par le président algérien Abdelmadjid Tebboune qui a affiché un optimisme pour le moins surprenant au vu de l’évolution du terrain libyen. « En dépit des inquiétudes concernant la situation de crise, l’optimisme demeure de mise au regard de la bonne volonté affichée par les parties libyennes pour surmonter les épreuves et faire prévaloir l’intérêt suprême de la patrie », a soutenu le chef de l’Etat.
Dans son allocution lue au sommet de l’UA par le Premier ministre Aïmene Benabderrahmane, M. Tebboune a toutefois formé le vœu de voir « la conjugaison des efforts africains et internationaux laisser un impact sur le terrain ». « L’Algérie ne ménagera aucun effort, dans le cadre du Groupe des pays voisins de la Libye, en collaboration avec les organisations régionales et internationales concernées », s’est-il encore engagé. Il s’agit de permettre aux Libyens « de concrétiser les priorités de cette étape importante afin de préserver la sécurité et la stabilité des pays du voisinage, directement impactés par la situation dans ce pays », a-t-il précisé.

« L’Algérie ne ménagera aucun effort »
Vendredi 17 février, le chargé d’affaires de l’ambassade des États-Unis en Libye, Leslie Ordman, qui s’était exprimé le jour anniversaire de la « révolution de février », qui précipita la chute de l’ancien dictateur et « guide » Mouammar Kadhafi, a déclaré qu’« après des années de progrès hésitants, le moment est venu pour les dirigeants libyens de mettre les intérêts des Libyens d’abord ».
Par un twitt, le diplomate américain a souligné qu’un « gouvernement démocratiquement élu est nécessaire pour réaliser l’unité nationale, globale et juste, le développement et la restauration par la Libye de sa souveraineté sur son sol et ses frontières ». Les élections, si elles sont nécessaire, « ne représentent pas un objectif en lui-même, mais c’est une étape importante vers la réalisation de progrès dans la transition politique de la Libye», a-t-il ajoute.
Le réalisme du chargé d’affaires américain en Libye est significatif de la complexité du terrain libyen marqué par les rivalités inter libyennes nourries par des belligérants soutenus explicitement ou en coulisses par des acteurs régionaux et internationaux. Une réalité qui fait dire aux observateurs les plus optimistes qu’il n’y aura d’élections et encore moins d’entente entre les frères ennemis libyens sur un calendrier électoral avant plusieurs mois. D’autres affirment que la tenue de ces élections dans le contexte libyen actuel relèverait du miracle, tant les fractures sont importantes entre le gouvernement de Benghazi et de Tripoli qui est lui-même gagné par des dissensions de toutes sortes, liées principalement à la base constitutionnelle devant encadrer les élections en suspens depuis leur annulation en décembre 2021, ainsi qu’à l’action du chef du gouvernement intérimaire Abdelhamid Dbeibah. Celui-ci est reconnu par les instances internationales mais il est considéré par ses concurrents libyens comme le problème à résoudre.

Dissensions et rivalités
Dimanche 19 février, les présidents de la Chambre des représentants et du Conseil d’État ont convenu à l’unanimité de refuser de tenir les élections présidentielles et parlementaires reportées sous le gouvernement Dbeibah ». Ces développements sont survenus lorsque Mohammed Al-Menfi, le chef du Conseil présidentiel, a profité de sa rencontre (dimanche) avec des courants politiques pour dire qu’en cas de blocage prolongé, il s’agira de trouver une alternative au gouvernement Dbeibah. Khaled Al-Meshri, chef du Conseil d’État, a estimé que « Dbeibah est la dernière personne en Libye à penser à organiser des élections, et que sa présence à la tête du gouvernement est le facteur le plus important de l’échec du processus électoral », a-t-il dit. Il a ajouté, dans des déclarations télévisées (samedi soir), que Dbeibah a perdu toute crédibilité à diriger un gouvernement.
Au sommet de l’UA, « le départ des mercenaires a été demandé, (…) il faut nécessairement que les Libyens se parlent, je crois que c’est une condition préalable pour aller à des élections dans un pays apaisé », a indiqué le président de la Commission exécution Moussa Mahamat Faki. Quid des forces déployées par des Etats comme la Turquie pour porter soutien et assistance au gouvernement Dbeibah à Tripoli ? Selon Jalel Harchaoui, spécialiste de la Libye et chercheur associé au Royal United Services Institute, la présence militaire de la Turquie en Libye « demeure redoutable ». «La rigidité et la confiance affichées par la Turquie en Libye amplifient sans doute la crise politique croissante. » « La mission actuelle de la Turquie en Libye se compose de centaines d’officiers militaires, d’espions et d’autres effectifs turcs, de 2 000 à 3 000 mercenaires syriens ainsi que d’un large éventail de matériel », a-t-il indiqué au média en ligne Middle East Eye (MEE), le 31 janvier 2023.