Dans cet entretien, Amal Bouchareb revient sur son roman «Thabet edholma», paru en septembre dernier aux éditions Chihab et qu’elle a présenté à Alger lors des premières Rencontres annuelles Méditerranée-Afrique des jeunes écrivaines (Ramaje). L’auteure n’est pas présente cette année au Sila mais son roman y est, et elle nous en parle ici.
Reporters : Quelle a été l’idée première du roman «Thabet edholma» ?
Amal Bouchareb : Je voulais surmonter mon angoisse par rapport à la notion de «l’obscur». En écrivant «Thabet Edholma», je me délivrais tous les jours à un courant linguistique d’intensité variable lié à ce terme atterrant. C’était un genre de sismothérapie littéraire, qui me faisait baigner dans un champ sémantique ayant une relation avec ce mot chargé de connotation lugubre : noirceur, injustice, ténèbres, obscurantisme… Avec «Sakarat Nedjma» j’ai effleuré la question. Ainsi, j’ai créé un récit carrément noir ! Mais je tremblais, et je faisais appel constamment à Nedjma : Alger la blanche que je mettais en juxtaposition avec Turin la noire là où je suis allée habiter, mais pas encore oser y vivre. Dans «Thabet Edholma», en revanche, je voulais affronter toute seule le noir «l’absence de couleur», et je lui ai donné même un allié effarouchant du Sahara algérien «Kel Essouf» : les gens du vide.
Thabet edholma (obscurité constante ou constance de l’obscurité/énergie noire) est un thème scientifique qui n’est pas forcément facile d’accès. Pourquoi cette thématique (scientifique donc) ? Est-ce pour ouvrir de nouvelles perspectives au roman qui est devenu très/trop narratif et descriptif ?
En fait, le thème scientifique se voulait un échappatoire contre tout le noir dans lequel je me suis entourée, j’avais besoin quand même d’un sillon de lumière. Quoi de mieux que la science pour prétendre nous donner des réponses claires et rationnelles pour apaiser nos tourments par rapport à ce monde ? Ainsi, je me suis faite aidée par le scientifique Gianluca Ferro, pour me seconder à comprendre l’obscur. A-t-il réussi dans cette entreprise ?! Je ne vais pas spoiler. Mais le genre de science fiction me semblait le moule parfait pour neutraliser cette idée extrêmement mélancolique. Cet état d’esprit lié souvent aux poètes est aussi un thème débattu en long et en large au sein de la communauté scientifique qui ne cesse pas de poser des questions sur la vraie nature de la matière sombre qui domine l’univers. N’est-ce pas magnifique de pouvoir marier enfin les états d’esprit des poètes et les recherches scientifiques dans un seul livre ! Poetica ou science ? Y a-t-il en fin de compte une opposition entre les deux ?
Votre texte mêle aussi science et légendes/mythes notamment…
A première vue on ne dirait pas, mais on est toujours dans ce concept de dualité des contraires qui règnent dans le monde : mythe/science, femme/homme, noir/blanc, occident/orient… Y a-t-il vraiment des lignes aussi claires et décisives qui séparent tous ces éléments ? C’est la question que je me pose au quotidien.
Après le polar avec «Sakarat Nedjma», vous signez un roman fantastique où le lien avec le premier est peut-être dans la mise en place d’une énigme, d’un puzzle à reconstituer, d’une quête/enquête pour la vérité. Pourriez-vous nous parler de votre intérêt pour le fait de raconter des histoires où se mêlent histoire, action et évasion ?
C’est un intérêt qui semble plutôt suicidaire dans une scène littéraire qui favorise la narration «réflective» souvent mono-vocale. Moi, par contre, je me trouve dans la multi-vocalité, et je ne vois aucun mal dans ma quête d’impliquer le lecteur dans le jeu de la narration espiègle, en profitant de tous les atouts du thriller. Je me rends compte que j’ai choisi un chemin à contre-courant, car ce genre bien que difficile, est toujours lié à la légèreté, au divertissement, à l’amusement…
Divertir le lecteur est presque vu comme un péché dans la tradition littéraire algérienne, et c’est pour ça qu’on se trouve souvent devant une littérature masturbatoire où le seul à y prendre plaisir est l’écrivain. Moi en revanche, j’aime les péchés parfaits où se mêlent profondeur et légèreté!
Ce qui n’est pas dit, ce qui est caché semble être une préoccupation littéraire pour vous.
Tout à fait, le côté invisible des choses m’intrigue. Est-il vraiment caché ou n’est-on pas juste pas bien positionné pour le voir ? L’idée de la mono dimensionnalité m’effraie. Les vérités plates m’inquiètent. La terre est plutôt ronde, sa topographie est complexe. J’aime découvrir les tonalités les moins visibles de ce monde beaucoup plus coloré qu’on l’imagine.
Dérouter le lecteur est-il un des enjeux de votre écriture ?
C’est plutôt le ramener dans un voyage inattendu, faire des acrobaties intellectuelles ensemble, aller sur les montagnes russes de la narration. J’aime les chemins non prévus dans l’écriture. Evidemment c’est un jeu que je fais avec le lecteur. C’est tout à fait consenti !
Ecrivez-vous les livres que vous auriez aimés lire ?
J’écris peut-être les livres que j’ai peur de lire. Les livres qui taquinent, qui lutinent qu’on trouve séduisants, mais qu’on fait semblant de ne pas s’y intéresser. Des livres qui nous excitent à mourir, mais qu’on n’a pas assez de courage pour les aborder. On a peur d’en tomber amoureux !
L’Italie où vous vivez est présente dans votre roman. Comment pensez-vous l’écriture ?
Ce sont plutôt les Italiens qui sont présents dans mes écrits, mais pas encore l’Italie ! En réalité, j’ai le sentiment de vivre toujours en Algérie. Quant à l’Italie, il me semble de vivre une histoire d’amour ardente avec quelqu’un dont je ne connais pas encore la mère !
Devrais-je la connaître ? Je ne suis pas pressée. L’Algérie, pour le moment, remplit merveilleusement mes textes.
Vous sortez en italien un livre intitulé «L’Odore», pourriez-vous nous en parler ?
Tout à fait. Il semble que le moment est arrivé ! «L’Odore» sort ce mois de novembre en Italie. Buendia Books a choisi de m’introduire en Italie en toute beauté, en choisissant un texte qui a gagné le prix FELIV 2008 en Algérie.
Il s’agit d’une nouvelle – Vous savez il ne faut jamais trop bavarder lors de la première rencontre ! Mais là, je me suis retrouvée encore une fois devant une autre dichotomie à déconstruire : écrivain/traducteur. Une problématique à suivre.