Rencontré à l’occasion de la Foire de la production nationale, le responsable de Tosyali Algérie présente, dans cet entretien, le projet du complexe d’acier plat à Oran qui connaît un taux d’avancement appréciable. Selon les prévisions de cette entreprise, l’usine de laminage à chaud, dont les produits sont destinés aux usines algériennes de production de tubes, de panneaux sandwiches, ainsi qu’à à la construction navale, sera mise en service en 2024. L’usine de laminage à froid sera prête, elle, en 2025. L’acier plat produit sera alors destiné aux entreprises de la filière électroménager et à l’industrie automobile locale. Le complexe d’acier plat, fruit d’un investissement de 1,5 milliard de dollars, produira 2 millions de tonnes/an d’aciers plats et permettra de créer 2 500 nouveaux emplois directs.

Entretien réalisé par Khaled Remouche
Reporters : Quels sont les résultats de Tosyali Algérie en matière de production, d’exportation et de chiffre d’affaires en 2022 ?
Alp Topcuoglu :
C’est une excellente année en dépit d’un environnement international difficile avec les effets de la guerre Russie-Ukraine. On a terminé l’année sur un revenu qui dépasse les 800 millions de dollars d’exportation. C’est un record. Tosyali Algérie a dépassé le chiffre de l’année dernière, plus de 700 millions de dollars. On pouvait faire plus que les 800 millions de dollars, mais la demande locale a connu une hausse. On a commencé à sentir la relance économique en Algérie et Tosyali Algérie a enregistré une augmentation de la demande domestique. Comme notre stratégie est d’assurer d’abord la demande locale, on a orienté nos produits qui devaient être exportés vers la satisfaction de cette demande locale en hausse.
Nous exportons vers 50 pays, principalement vers l’Europe, l’Afrique de l’Ouest, l’Amérique du Nord et l’Amérique latine. En 2022, nous avons eu un nouveau client, à savoir la Guyane française. Notre chiffre d’affaires, en 2022, atteint les 2 milliards de dollars. Nous sommes le leader actuellement en Algérie en matière de production de rond à béton, de fil machine et de tubes spirales en acier. Nous avons produit, en 2022, 3 millions de tonnes de produits sidérurgiques et nous en avons exporté environ 1,250 million tonnes. Tosyali Algérie terminera l’année 2022 avec un niveau d’exportation de 1,3 million tonnes de produits sidérurgiques. Ces exportations, à hauteur de plus 800 millions de dollars, sont le résultat de l’Algérie. Nous devons également ce résultat à nos prestataires de services, de matières premières et de transport qui nous rendent des services et des biens de meilleure qualité, moins chers et plus compétitifs. Ce qui nous rend plus compétitifs sur les marchés internationaux.

Où en est le projet de production d’acier plat prévu dans le complexe sidérurgique de Tosyali ?
Le projet avance. C’est un complexe de production d’acier plat qui est projeté au sein du complexe sidérurgique d’Oran. Une méga usine. Il y a certaines usines qui sont en phase de montage des équipements, d’autres en phase de génie civil et d’autres encore en phase d’ingénierie. L’année prochaine, à partir du premier trimestre 2024, Tosyali compte mettre en service ces usines. Nous commencerons par l’usine de laminage à chaud, ensuite, nous commencerons à mettre en service, au courant de l’année 2024, la partie intégration, c’est-à-dire l’aciérie, l’unité DRI, l’usine de pelletisation, l’usine d’enrichissement du minerai. Tout cela constitue la partie up stream.
En 2025, ce sera au tour de la partie down stream, avec les unités de laminage à froid, de galvanisation. Les laminés à chaud, qui seront produits selon nos prévisions en 2024, serviront à l’industrie de fabrication des tubes, à l’industrie charpente métallique, de panneaux sandwiches ainsi qu’à l’industrie navale. Les usines de production de tubes en Algérie pourront utiliser l’acier plat de Tosyali Algérie au lieu de l’importer. Ce qui les rendra plus compétitifs. En 2025, les aciers plats avec la mise en service de l’usine de production de laminés à froid seront destinés à la filière de l’électroménager et à l’industrie automobile locale. Le complexe d’aciers plats produira 2 millions de tonnes/an de produits plats (ndlr notamment la tôle) et permettra de créer 2 500 emplois directs. Je rappelle que l’acier plat est actuellement importé.
Tosyali Algérie emploiera au total 6 500 salariés à la mise en service de l’ensemble des unités du complexe d’acier plat.

Tosyali Algérie compte-t-il transformer à moyen terme le minerai de fer de Gara Djebilet dans son complexe sidérurgique ?
L’objectif de Tosyali Algérie est d’utiliser et de valoriser les produits locaux. Tant qu’il y a une disponibilité de matière première sur le marché local, c’est notre priorité de l’acquérir. Pour le gisement de Gara Djebilet, c’est une matière première locale. Notre priorité est d’utiliser au maximum le produit local. Le minerai de fer extrait du gisement de Gara Djebilet nécessite un pré traitement avant de le transformer à Oran. On a besoin d’abord de réaliser une unité de pré traitement avant de le transporter vers Bethioua.
Nous sommes en discutions avec la société Feral, propriétaire du gisement de Gara Djebilet, en vue de réaliser une unité de pré traitement en commun. Cette unité de pré traitement doit être réalisée à proximité des gisements de minerai de fer de Gara Djebilet. Lorsque Feral sera prête, nous sommes disposés à discuter de tout ce partenariat avec cette entreprise pour utiliser ce minerai de fer au profit de l’économie nationale.

Le problème technique, teneur en phosphore de ce minerai de fer, est-il réglé ?
Nous avons commencé à utiliser ce minerai de fer dans le blending avec un certain pourcentage. Tosyali Algérie tentera d’augmenter ce taux d’utilisation avec l’expérience acquise avec sa transformation. Ce sera progressif. Notre objectif est d’augmenter l’utilisation du minerai de fer de Gara Djebilet par le complexe sidérurgique d’Oran. Les techniques existent pour régler ce problème technique.

Quel a été l’objectif de votre présence à la Foire de la production nationale ?
Nous avons constaté la présence dans ce pavillon de beaucoup d’utilisateurs d’aciers plats. Nous sommes entourés (ndlr, le stand de Tosyali à la Foire) d’utilisateurs d’aciers plats (ndlr, les stands des entreprises nationales de la filière électroménager). Ce sont nos futurs clients. Cela me fait plaisir de pouvoir leur fournir nos produits dans les années à venir. Nous allons leur fournir dans un futur proche les matières premières (ndlr, les aciers plats) pour une meilleure qualité de leurs produits.

Tosyali a-t-il noué plusieurs contacts au cours de cette manifestation ?
Nous avons noué beaucoup de contacts et nous leur avons présenté nos produits. Nous leur avons expliqué l’avantage de faire plus d’assemblage que de montage grâce à nos produits, et cela à moindre prix et pour une meilleure qualité. Il y a eu plusieurs manifestations d’intérêt pour l’acier plat de Tosyali Algérie qui sera produit dans deux ans. Dans les années à venir, les réfrigérateurs, les cuisinières, les téléviseurs seront produits avec le minerai de fer de Gara Djebilet transformé dans le complexe d’acier plats à Oran.

Quelle est la proportion de salariés algériens dans les effectifs de Tosyali Algérie et la part de managers algériens dans l’effectif des gestionnaires du complexe sidérurgique d’Oran ?
Le personnel du complexe d’Oran est composé à 85% d’Algériens et 15% d’expatriés. On a commencé en 2013, date de fonctionnement des premières usines du complexe d’Oran, avec 60% de personnel algérien et 40% d’expatriés. Dans l’administration, tous les managers sont algériens. Dans la partie technique, des managers algériens ont commencé à prendre le relais. Le personnel algérien maîtrise actuellement les process de production de produits sidérurgiques.
Pour le projet de réalisation du complexe de production d’aciers, nous n’allons plus recruter d’expatriés sauf quelques experts clés. Aujourd’hui, nous employons 3 300 salariés algériens et 700 expatriés, contre respectivement 600 collaborateurs algériens et 400 expatriés en 2013. Le complexe d’Oran emploie actuellement plus de 4 000 salariés.

Quel est le nombre de PME algériennes qui transforment les produits sidérurgiques de Tosyali Algérie ?
Une centaine de PME transforment le fil machine produit par Tosyali Algérie à Oran. Plus de 1 000 PME avec la mise en service du complexe d’acier plat commenceront à transformer les produits plats du complexe d’Oran. C’est de l’industrie industrialisante que compte introduire dans le pays Tosyali Algérie. Le nombre d’emplois qui seront créés par ces 1 000 PME est estimé à plus de 50 000.

Comment situez-vous actuellement le degré de satisfaction des besoins nationaux en produits sidérurgiques ?
L’Algérie n’importe plus de rond à béton, de fil machine et de profilés grâce aux productions de Tosyali Algérie, d’AQS (complexe de Bellara) et du complexe sidérurgique d’El Hadjar.

Tosyali Algérie réinvestit-elle ses bénéfices ou les transfère-t-elle vers la maison mère ?
La société Tosyali Algérie est à 100% de droit algérien. Depuis la création de l’entreprise, Tosyali Algérie n’a distribué aucun dividende. Tous les dividendes ont été réinvestis en Algérie. Tosyali Algérie n’a pas de politique de distribution des dividendes et ne compte pas distribuer des dividendes dans les années à venir. Tosyali Algérie n’a qu’une stratégie, investir en Algérie les bénéfices.
Pendant cette période de développement des activités du complexe d’Oran, les actionnaires de Tosyali sont devenus algériens. La société mère n’a pas besoin de ces fonds. Les actionnaires de Tosyali Algérie vivent en Algérie et c’est notre pays aussi. Tosyali Algérie continuera à investir en Algérie. C’est avec ces bénéfices que nous réalisons nos investissements en Algérie, que nous pouvons investir en Algérie, en particulier investir dans la réalisation de ce complexe de production d’aciers plats.

Les exportations des produits sidérurgiques de Tosyali Algérie vers l’Union européenne connaissent-elles des contraintes ?
L’Union européenne impose des quotas à l’importation de produits sidérurgiques appliquée à des pays tiers. Je considère que pour l’Algérie, c’est une inégalité. En clair, l’Union européenne (UE) exporte des produits sidérurgiques vers l’Algérie sans tarifs douaniers (ndlr, zéro droit de douane, en vertu des dispositions de l’accord d’association conclu entre l’Algérie et l’Union européenne). Mais quand une société algérienne exporte vers la zone UE, on lui impose une barrière. Au-delà de ce quota, Tosyali Algérie devra payer des droits de douane importants. Nous demandons que ces quotas soient supprimés ou qu’un quota spécifique soit accordé à l’Algérie. Le ministère du Commerce travaille en vue de supprimer ces quotas ou à défaut qu’un quota spécifique soit accordé à l’Algérie parce que cette barrière à l’exportation de produits sidérurgiques algériens en Europe n’est pas juste. L’Algérie est listée comme pays tiers, comme la Turquie, la Chine qui doit donc bénéficier d’un quota limité.
Vous pouvez par exemple exporter jusqu’à 200 000 tonnes de produits sidérurgiques sans droit de douane. Mais au-delà, vous payez des droits de douane importants. La société algérienne ne peut vendre ses produits au-delà de ce quota imposé à l’Algérie. Nous souhaitons donc un quota spécifique pour l’Algérie, pour les sociétés algériennes qui produisent des produits sidérurgiques. Parce que l’Algérie constitue une priorité, par rapport aux autres pays tiers, en vertu des dispositions de l’accord d’association conclu avec l’Union européenne.

Les contraintes logistiques à l’importation de minerai de fer et l’exportation de produits sidérurgiques persistent-elles ?
L’Algérie a d’abord une position géographique extraordinaire. On peut dire que dans notre cas, nous sommes un fournisseur au milieu des clients. Dans le marché sidérurgique international, les fournisseurs sont à l’est, à savoir principalement la Chine, la Russie, l’Inde et la Turquie, et à l’Ouest, l’Union européenne, les Etats-Unis, l’Afrique de l’Ouest. On a un avantage de fret très important.
Par contre, pour pouvoir profiter de cet avantage, il convient d’avoir une organisation logistique. En matière d’approvisionnement, avec le quai minéralier que nous avons réalisé, Tosyali Algérie a commencé à profiter de cet avantage. On réceptionne des navires de 200 000 tonnes et on transfère le produit importé par des bandes convoyeuses vers le complexe d’Oran à des prix très compétitifs. Pour pouvoir profiter des ventes, le port d’Arzew réalise une extension pour les produits industriels. Il entame la réalisation d’un nouvel investissement. C’était nécessaire. Nous allons utiliser l’extension du port d’Arzew.
Ce nouvel investissement consiste en la réalisation d’un quai sidérurgique au port d’Arzew pour mieux commercialiser nos produits à l’export. Le projet vient d’être lancé et devrait être prêt dans deux ans. Nous importons à travers des navires de 200 000 tonnes, mais nous exportons à travers des navires de capacité de transport entre 10 000 et 40 000 tonnes. Tosyali a invité, en ce sens, les ports d’Arzew, d’Oran et de Mostaganem à disposer de moyens et d’équipes nécessaires pour l’export.
Les ports algériens étaient conçus et équipés pour l’importation. L’Algérie a maintenant changé. Les ports nationaux doivent disposer de moyens pour l’exportation. Tosyali Algérie a invité ces ports à augmenter leur tirant d’eau pour réceptionner des navires de plus grand tonnage parce que le coût de fret d’un navire de 10 000 tonnes et celui de 40 000 tonnes s’avère différent. Pour pouvoir répondre aux besoins de nos clients internationaux, nous devons charger des bateaux dans les mêmes conditions que nos concurrents espagnols, italiens, chinois, turcs. Le groupe Serport, conscient de ces enjeux logistiques, réalise des investissements pour augmenter les tirants d’eau.
Il faut également que les ports nationaux travaillent 24H/24. C’est important. Serport a commencé à prendre des dispositions pour que les infrastructures portuaires fonctionnent de cette manière. Aujourd’hui, quand un navire accoste dans un port algérien, il subit des attentes à quai, faute d’un fonctionnement portuaire H24. Ce qui fait augmenter les surestaries ou les surcoûts. Dans l’approvisionnement, Tosyali Algérie est très compétitive. Dans l’export, nous saluons les mesures prises par le gouvernement et Serport pour améliorer la situation. Il reste à augmenter le tirant d’eau et faire fonctionner les ports nationaux 24H/24. Ils sont en train de prendre des mesures pour y parvenir.

Quel est l’apport du holding privé turc Tosyali sur les performances de sa filiale Tosyali Algérie ?
Les managers algériens de Tosyali Algérie sont formés en Turquie, premier producteur d’acier en Europe selon les chiffres de 2021. Tout ce savoir-faire dans la sidérurgie est transféré vers l’Algérie.

L’usine de production de tubes spirales connaît-elle des problèmes de commercialisation de ses produits sur le marché domestique et à l’étranger ?
Non, avec la mise en service de l’usine de laminage à chaud, les usines de tubes algériennes utilisent l’acier plat du complexe d’Oran et seront plus compétitives. Nous avons des clients dans les secteurs de l’hydraulique, des travaux publics, nous avons conclu des contrats notamment avec Cosider. Nous avons réalisé les premières exportations de tubes spirales produits par Tosyali Algérie vers l’Angola, le Congo. Nous avons récemment fourni les pieux pour le projet de pont qui relie la Guyane française au Brésil.

Un dernier mot…
L’objectif de Tosyali Algérie est de produire plus, satisfaire le marché national et exporter davantage. Notre objectif est de contribuer au développement de l’économie nationale avec une plus grande production. n