La Turquie a décidé dimanche, quatorze jours après le séisme du 6 février, d’arrêter les recherches sauf dans les deux provinces les plus touchées, Kahramanmaras et Hatay, a annoncé l’agence gouvernementale de secours (Afad).
«Dans bon nombre de provinces les efforts de recherches sont terminés. Ils se poursuivent dans les provinces de Kahramanmaras et Hatay, dans une quarantaine de bâtiments», a déclaré Yunus Sezer, le patron de l’Afad. Le tremblement de terre d’une magnitude de 7.8 qui a dévasté le sud du pays et la Syrie a fait 40.689 morts en Turquie, selon le dernier bilan officiel communiqué dimanche par l’Afad. Le vice-président turc Fuat Oktay a rapporté que 105.000 bâtiments se sont effondrés ou ont été sévèrement endommagés et seront démolis. La Turquie qui comptait sur la générosité de quelques riches partenaires pour se remettre à flots doit désormais encaisser les conséquences du séisme du 6 février qui a rasé des dizaines de villes et laissé des millions de personnes sans abri ni emploi. Elle va devoir maintenant consacrer des milliards de dollars à la reconstruction des onze provinces du sud et du sud-est ravagées par la pire catastrophe de son histoire contemporaine. Le président Recep Tayyip Erdogan a également promis des millions de livres turques aux populations affectées à l’approche des élections présidentielle et législatives – toujours prévues à ce stade pour le 14 mai. Tout cet argent pourrait stimuler la consommation et la production industrielle, deux indicateurs clés de la croissance économique. Mais la Turquie est à court de fonds. Les réserves de la banque centrale, pratiquement réduites à néant, ont pu être reconstituées grâce à l’aide de la Russie et des États pétroliers du Golfe. Mais pour les économistes, cet argent sera tout juste suffisant pour maintenir les finances de la Turquie à flots et empêcher la livre turque en difficulté de s’effondrer – jusqu’aux élections de mai si elles sont confirmées. Or, M.Erdogan doit désormais réparer quelque 78,9 milliards d’euros de dégâts, selon l’estimation d’un groupe de chefs d’entreprises de premier plan. Les estimations d’autres experts sont plus conservatrices, proches de 9,4 milliards de dollars.
Coup de pouce à la reconstruction
En prévision des élections, Erdogan a déjà promis de fournir de nouveaux logements d’ici un an aux millions de personnes touchées. S’il trouve l’argent grâce à de nouveaux versements de donateurs étrangers, le chef de l’Etat devra en allouer une grande partie au secteur du bâtiment pour reconstruire des pans entiers du pays réduits à néant. Le président a toujours compté sur ce secteur aujourd’hui montré du doigt et désigné responsable des effondrements massifs d’immeubles résidentiels pour avoir triché avec les normes anti-sismiques. Il a ainsi pu moderniser une grande partie du pays, ouvrir des aéroports, des routes, des hôpitaux. «Les travaux de reconstruction pourraient largement compenser l’impact négatif (du séisme) sur l’activité économique», a estimé la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). Avant le séisme, la région affectée contribuait à l’économie turque à hauteur du 9% du produit intérieur brut (PIB), notamment par le biais d’importantes zones industrielles à Gaziantep et le port d’Iskenderun par lequel les produits de la région sont achéminés vers le monde. La production agricole va aussi encaisser le choc: selon Unay Tamgac, professeure agrégée d’économie à l’Université TOBB-ETU d’Ankara, la région assure 14,3% de la production agricole turque, pêche et foresterie comprises. L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a mis en garde contre les perturbations de la production alimentaire de base en Turquie et en Syrie.
Mieux qu’en 1999
Le séisme a aussi affecté les infrastructures de l’énergie, du transport, les canaux d’irrigation, poursuit Mme Tamgac. Certains regardent en arrière pour essayer de trouver un modèle à suivre. Mahmoud Mohieldin, directeur exécutif du Fonds monétaire international (FMI), a pourtant estimé que ce tremblement de terre, d’une magnitude de 7,8, serait moins dommegable à l’économie que celui de 1999 (7,6) qui avait fait 17.000 morts – le FMI s’est empressé de préciser que ce responsable ne s’exprimait qu’en son nom propre. L’économie turque avait perdu de 0,5 à 1,0% du PIB en 1999, mais le séisme avait alors touché le coeur industriel du pays, y compris sa capitale économique, Istanbul. Elle avait toutefois rapidement rebondi et engrangé une croissance de 1,5% du PIB l’année suivante grâce aux efforts de reconstruction, selon la BERD. Le tourisme, «devenu l’une des principales sources de devises de la Turquie», devrait être relativement épargné, la région frappée par le séisme n’étant pas la première destination des touristes étrangers, selon une note partagée par Wolfango Piccoli, analyste au cabinet de conseil Teneo
«Il est clair qu’il y aura un besoin de devises étrangères», insiste à ce propos Baki Demirel, professeur agrégé d’économie à l’Université de Yalova qui relève que la Turquie devra importer davantage. Heureusement la dette souveraine du pays est relativement faible, ce qui laisse une certaine latitude au gouvernement. D’un autre côté, les investisseurs étrangers boudent le pays en raison de la politique très peu orthodoxe de M. Erdogan qui a fait flamber l’inflation en abaissant régulièrement les taux d’intérêt. Quand la catastrophe s’est produite, la Turquie venait d’annoncer un taux officiel d’inflation de 58%, contre plus de 85% fin 2022. Mais la Turquie est soumise à des vents contraires qui risquent de bloquer sa croissance dans l’année à venir, s’accordent les experts.
Blinken en Turquie pour afficher le soutien des Etats-Unis
Le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken est arrivé en Turquie dimanche afin d’afficher le soutien des Etats-Unis à son allié, dévasté par un séisme qui a fait près de 45.000 morts dans le pays et en Syrie voisine. M. Blinken, qui arrivait de Munich, en Allemagne, où il a participé à une conférence sur la sécurité, a atterri sur la base aérienne d’Incirlik dans le sud-est du pays. C’est de là qu’est acheminée une partie de l’aide humanitaire, notamment américaine, vers les zones sinistrées par le séisme de magnitude 7,8 survenu le 6 février. Il s’agit de la pire catastrophe pour la Turquie contemporaine qui a fait, selon un dernier bilan, 40.689 morts dans ce seul pays. Le secrétaire d’Etat devait rencontrer dans l’après-midi responsables militaires et humanitaires qui coordonnent l’aide américaine aux sinistrés et se rendre compte de l’effort humanitaire en cours dans la province de Hatay, selon des sources américaines. Les Etats-Unis ont déployé dès le lendemain du séisme, qui a également frappé le nord de la Syrie, plusieurs équipes de recherche et secours en Turquie soit environ 200 personnes, et débloqué une première tranche de 85 millions de dollars en aide humanitaire. Ils ont également fourni des hélicoptères Black Hawk et Chinook pour transférer les fournitures. Les Nations unies ont lancé un appel à l’aide internationale afin de récolter un milliard de dollars pour la Turquie. M. Blinken devait gagner dans la soirée Ankara où il rencontrera lundi le président Recep Tayyip Erdogan notamment. Il s’agit du premier déplacement du secrétaire d’Etat américain en Turquie depuis sa prise de fonction il y a deux ans. Cette visite avait été programmée avant le séisme du 6 février qui en a bousculé l’agenda. Les deux pays, alliés dans l’Otan, entretiennent des relations parfois tumultueuses. Mais les Etats-Unis reconnaissent à leur allié un rôle constructif s’agissant notamment de la guerre en Ukraine. Parmi les litiges, figurent la vente potentielle d’avions de chasse F-16 promis par le président Joe Biden à la Turquie mais qui reste bloquée par l’opposition du Congrès; et le blocage turc de l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’Otan. Après la Turquie, M. Blinken achèvera sa tournée européenne à Athènes où il aura lundi soir et mardi une série d’entretiens avec les autorités de ce pays, rival historique de la Turquie mais également partenaire dans l’Otan. Le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis a affirmé jeudi que le séisme «pourrait être une occasion» de redéfinir les relations jusqu’ici orageuses entre Athènes et Ankara. La Grèce a été l’un des tout premiers pays européens à dépêcher des équipes de sauveteurs dans les régions touchées par le séisme.
(Source AFP)