Le chancelier allemand se rend demain vendredi en Chine pour une visite mal perçue en Allemagne ainsi que par ses partenaires européens, notamment français qui auraient souhaité jouer en collectif face à Pékin.

Synthèse Anis Remane
Olaf Scholz, qui ne jure plus que par les intérêts des entreprises et des groupes allemands, rencontrera le président Xi Jinping et son Premier ministre Li Keqiang sur une seule journée (en raison de la politique zéro Covid drastique sur place) dans une logique de business et de contrats à arracher. De ces consultations, Pékin attend «un nouvel élan» dans ses «relations étroites» avec l’Allemagne, a indiqué mardi un porte-parole du ministère des Affaires étrangères.
Zhao Lijian a ajouté que «la situation internationale» serait aussi au menu. Côté chancellerie, ce déplacement, le premier d’un dirigeant européen depuis 2019, est présenté comme une «visite d’entrée en fonction» d’Olaf Scholz, au pouvoir depuis près d’un an.
Le responsable allemand sera accompagné d’industriels, comme les patrons de Volkswagen et BASF, la Chine étant le premier partenaire économique de l’Allemagne et un marché vital pour son puissant secteur automobile. Leur présence a suscité de vives critiques de toutes parts en Allemagne.
«Les Allemands s’envolent vers Pékin dans l’espoir de faire du +business as usual+», s’est notamment insurgé le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung dans un éditorial au vitriol. Le chancelier a décidé d’aller à Pékin et «de rendre hommage à Xi Jinping au mépris des souffrances endurées par des millions de personnes», a fustigé Dolkun Isa, président du congrès mondial des Ouïghours, devant la presse mardi à Berlin.
La date du déplacement est jugée de surcroît malheureuse, car elle intervient peu de temps après la reconduction de Xi Jinping à la tête du parti communiste chinois et du pays tout entier. «Naturellement, les pouvoirs politiques chinois vont pouvoir présenter la visite du chancelier comme une justification de leur politique» autocratique, décrypte pour l’AFP Heribert Dieter, politologue à l’institut de géopolitique allemand SWP. Olaf Scholz aurait tout aussi bien pu attendre la réunion des chefs d’Etats du G20 en Indonésie à la mi-novembre pour consulter le président chinois avec ses partenaires occidentaux. «Nous avons donc un conflit géopolitique entre la Chine et les pays occidentaux, en particulier les Etats-Unis. Et la partie allemande montre clairement qu’elle veut poursuivre ses relations intensives avec la Chine», poursuit M. Dieter.
Berlin choisit de suivre «son propre chemin», juge le politologue. Le chancelier s’en défend toutefois. Son porte-parole Stefan Hebestreit a fait état lundi de consultations en amont de la visite avec ses principaux alliés européens. Et les sujets des droits de l’homme seront aussi abordés, a-t-il assuré. Pour Olaf Scholz, la Chine sera l’un des grands centres d’influence dans le monde multipolaire en émergence dont on ne peut pas se détourner. Une façon de réduire la dépendance économique consiste à diversifier les sources d’approvisionnement et les investissements directs, a récemment rappelé Stefan Hebestreit. Une voie que les grands groupes très engagés en Chine rechignent à suivre à ce stade.
Le patron du groupe chimique BASF Martin Brudermüller a récemment mis en garde contre le «China bashing». Le chancelier marche sur la corde raide entre le lobbying des grands patrons et les pressions exercées dans sa coalition. Les ministres écologistes des Affaires étrangères et de l’Economie exhortent à une plus grande fermeté avec la Chine, notamment sur la question des droits humains. «Nous ne devons plus dépendre d’un pays qui ne partage pas nos valeurs», au risque de se rendre «politiquement vulnérables au chantage», a plaidé récemment la cheffe de la diplomatie Annalena Baerbock, appelant à ne pas commettre les mêmes «erreurs» qu’avec la Russie.
Côté européen, dans un entretien accordé à l’agence de presse Reuters, mardi 1er novembre, le Commissaire au Marché intérieur, a critiqué ouvertement la stratégie de Berlin vis-à-vis de la Chine. «Il est très important que les Etats fassent évoluer leur comportement vis-à-vis de la Chine, dans un cadre beaucoup plus coordonné plutôt qu’individuel, comme la Chine évidemment ne cesse de vouloir le faire», a déclaré Thierry Breton. Pour lui, Pékin a exploité la dépendance des Européens vis-à-vis de la Chine pendant la pandémie de Covid, à travers ce qu’il nomme «la diplomatie des masques». «Tous ces éléments, nous ne pouvons pas les oublier. L’ère de la naïveté, c’est terminé. Le marché européen est ouvert, sous conditions», a-t-il dit.
Thierry Breton a également lancé un avertissement aux entreprises européennes qui voulaient augmenter leurs investissements dans un pays de plus en plus «autocratique» selon lui. «Il y a des incertitudes pour les entreprises qui vont faire ce pari, a-t-il estimé. Il y a un avantage très important à être basé en Europe : l’état de droit, la protection des entreprises et la visibilité», a-t-il ajouté.
Les déclarations critiques du Commissaire européen interviennent à un moment où plusieurs pays européens, dont la France, ont mal digéré la décision récente de l’Allemagne d’autoriser la vente d’une participation de 25 % dans une partie du port de Hambourg au groupe chinois, Cosco. Cette cession d’actif stratégique a été désapprouvée jusqu’au sein de la coalition au pouvoir à Berlin, mais Olaf Scholz lui a néanmoins donné son feu vert.
Thierry Breton a admis dans l’entretien avec Reuters qu’il «préférait» la décision de vendre seulement 25 % du terminal portuaire en question, plutôt que le projet initial de céder 35 %. Mais il a fait part de ses réticences, ajoutant qu’«il que nous soyons extrêmement vigilants […]. Les Etats membres de l’Union européenne ne peuvent plus dire : cela a déjà été fait avant, donc je vais continuer à le faire». Et de rappeler que l’UE a le pouvoir de bloquer les investissements d’entreprises chinoises dans les infrastructures jugées stratégiques, depuis que la Chine a été officiellement qualifiée de «rival systémique» des Vingt-Sept en 2019. Des mesures en ce sens sont autorisées. «Il appartient aux Etats membres de s’en saisir et de faire évoluer leurs comportements», a-t-il poursuivi.
Selon Reuters, le président français Emmanuel Macron avait suggéré à Olaf Scholz qu’ils se rendent ensemble à Pékin pour envoyer un signal d’unité européenne, mais le chancelier allemand a décliné l’offre du président français. n