« Il est toujours loisible aux deux parties de modifier leur accord si elles le souhaitent », a déclaré hier à Alger l’ambassadeur de l’Union européenne (UE) à propos du traité d’association qui lie les pays des Vingt-sept à l’Algérie. John O’Rourke a, cependant, ajouté qu’il n’y avait pas de « souhait » officiel algérien dans ce sens et que les Européens sont «toujours prêts à discuter pour accompagner la diversification » de l’économie algérienne.

Le chef de la délégation de l’UE s’exprimait dans le cadre d’une rencontre informelle avec la presse à l’occasion des 40 ans et quelques mois de la coopération entre l’Algérie et l’UE (1979-2020). Il répondait précisément à une question d’un confrère qui lui demandait ce qu’il pensait du déséquilibre d’intérêt occasionné par l’accord d’association signé en 2002, entré en vigueur en 2005 et dont souffre actuellement notre pays. Pas de demande officielle à réviser ce traité pour l’instant, a-t-il dit, mais cela ne devrait tarder si l’on tient compte des déclarations algériennes depuis le début du mois de janvier dernier.
Dès le début de son investiture, le Président de la République a, en effet, fait mention selon son programme de campagne de son souhait de revoir les accords de libre-échange, accord d’association compris, signés par l’Algérie. A l’installation du gouvernement Djerad, la mention à cet accord et à la nécessité de le réviser est devenue plus explicite. Elle figurera ensuite, en bonne place, dans le « Plan d’action » de l’Exécutif avant qu’elle ne soit « motivée », disons, par les statistiques des Douanes algériennes.
A la mi-janvier, leur direction du recouvrement avait communiqué que les pertes algériennes en droits de douane étaient de 1, 1 milliard d’euros en 2015, d’1 milliard en 2016 et que le manque à gagner sur une période de onze ans a avoisiné les six milliards d’euros. Une alerte que la directrice de la Chambre algérienne de commerce et d’industrie (CACI), Wahiba Bahloul, a relayée en estimant, le 27 janvier dernier, qu’«en raison d’une mauvaise application de l’Accord, l’Algérie a accusé une perte fiscale de plus de deux milliards de dollars » et que la raison est de reconnaître le besoin de le revoir.
S’il n’y a, donc, pas, pour l’instant, eu de requête publique algérienne au sujet de l’accord d’association et à celui de la question de ses avantages pour la partie européenne, les annonces algériennes destinées à la consommation interne en font une urgence. Elles préparent en tout cas le terrain à la formulation par Alger d’une réclamation d’ouverture de négociations devenues indispensables en raison de l’état actuel de notre économie.
Le rétablissement de l’équilibre de la balance des paiements constitue une
« exigence vitale », a prévenu tout récemment à ce propos le Premier ministre Abdelaziz Djerad. Il a précisé qu’il sera procédé à la définition des critères pour la conclusion de nouveaux accords commerciaux préférentiels, à l’évaluation des accords multilatéraux et bilatéraux (accord d’association avec l’Union européenne, grande zone arabe de libre-échange et accord préférentiel avec la Tunisie), la finalisation de l’adhésion de l’Algérie à la zone africaine, ainsi que l’évaluation du processus d’accession de l’Algérie à l’OMC…
Cette déclaration du Premier ministre, selon les observateurs, manifeste l’inquiétude de l’Algérie à voir s’aggraver le déséquilibre d’intérêt constaté pour son économie. Une réaction que le diplomate européen, l’ambassadeur O’Rourke dit « comprendre », mais il joint à son sentiment le vœu que « l’Algérie poursuive son processus de réforme économique et d’ouverture ». Certes, il existe entre la partie européenne et algérienne des différends commerciaux, « mais il n’est pas très utile de les étaler sur la place publique », a-t-il souligné.

2020, une bonne année ?
Les négociations, quand elles auront lieu, ne seront pas faciles pour autant et l’ambassadeur O’Rourke ne manque pas de glisser le préalable de l’« ouverture », inenvisageable à la lecture de la littérature officielle de notre gouvernement, difficilement soutenable en l’état de santé actuelle de notre économie, ajoute des observateurs. « On est dans un processus de coopération et de partenariat qui a pour caractéristique 40 milliards de dollars d’échanges présentement, qui dure depuis quarante ans, qui a connu des hauts et des bas, mais qui a créé aussi par la concertation et les discussions permanentes une relation suffisamment solide (entre Alger et Bruxelles ndlr) pour qu’elle se poursuive et se renforce. Celle-ci peut atteindre des niveaux d’ambition considérable si les réformes en Algérie s’accélèrent et que le pays s’ouvre », a dit le chef de la délégation de l’UE dans une déclaration à Reporters en marge de la rencontre.
« 2020 sera une bonne année pour la relation Algérie-UE », estime pour sa part le ministre-conseiller, chef de la section politique, information et presse à la délégation de l’UE. Stéphane Mechati, présent à la rencontre informelle, affirme que les parties européenne et algérienne sont engagées ensemble (notamment via l’accord d’association, la politique européenne de voisinage et l’instrument européen de voisinage) sur des dossiers cruciaux pour qu’elles parviennent à surmonter les différences de vision qui peuvent surgir. Et de citer ceux de « l’énergie, de la transition énergétique, la diversification économique et la mobilité » entre autres, thème sensible autour duquel il a été relevé que 384.000 visas Schengen ont été délivrés en 2018 à des ressortissants algériens sur une demande totale qui n’a pas été précisée même si certains évoquent une estimation proche de 600.000 dossiers.
Toutefois, M. Mechati, quand il parle de l’accord d’association, ne manque pas de parler de « traité contraignant » pour les parties européenne et algérienne, laissant comprendre que la levée de la contrainte va devoir passer par un effort politique et diplomatique considérable.
Bruxelles y sera-t-elle prête ? Selon un sondage 2019 réalisé par l’UE, évoqué hier lors de la rencontre, 19% des Algériens perçoivent négativement l’UE, 6% sont « sans avis », 38% en ont un regard « positif », tandis que 37% d’entre eux sont « neutres ». Il s’agit de faire en sorte que l’image de l’Europe aux yeux des Algériens soit meilleure, a dit le ministre conseiller. A suivre, donc.

La rencontre informelle entre le chef de la délégation de l’UE en Algérie et les médias a vu la participation, outre celle du ministre conseiller Stéphane Mechati, celle de Serena Vitale (à ne pas confondre avec la septuagénaire et femme de lettres italienne) de la «section des opérations ». La responsable a estimé que les projets lancés par les parties européenne et algérienne, notamment dans le cadre du programme SPRING (Soutien au Partenariat, à la Réforme et à la Croissance inclusive) ont « prouvé leur utilité dans les domaines de gouvernance politique et économique ».
Pour sa part, l’ambassadeur John O’Rourke a eu à répondre à certaines interrogations de journalistes sur la médiation algérienne en Libye, soulignant «l’habilité et la détermination avec laquelle agit Alger diplomatiquement en vue de trouver une issue à la crise » dans le pays voisin. En réponse à la question relative à l’aide que pourrait apporter l’UE pour le rapatriement des « avoirs et des biens spoliés transférés vers des pays européens », l’ambassadeur a signifié que cela procède d’un processus «extrêmement difficile » et lent, citant le cas de la Tunisie qui avait initié au lendemain de la révolution de 2011 la même démarche.
Le ministre conseiller, M. Mechati, a cependant indiqué que dans les cas où il y a des preuves sur l’existence de tels biens et avoirs détournés, les Etats membres de l’UE « se mettront à la disposition des pays plaignants » dans la mesure où la délinquance économique est combattue en Europe. Il a ajouté que de telles démarches « seront longues et prendront beaucoup de temps ».