Par Feriel Nourine
L’Algérie s’apprête à commémorer, ce samedi, le 76e anniversaire des massacres du 8 mai 1945, perpétrés par la France coloniale contre des Algériens.
Le 8 mai 1945, alors que les Français célébraient la victoire des alliés sur l’Allemagne nazie, marquant la fin de la Seconde Guerre mondiale, des dizaines de milliers d’Algériens sont sortis dans les rues de Sétif, Guelma, Kherrata et d’autres villes du pays pour revendiquer pacifiquement l’indépendance de l’Algérie, comme l’avait promis la France s’ils la soutenaient dans son combat contre le nazisme. La réponse du gouvernement français d’alors fut sanglante et conduira au massacre de 45 000 Algériens dont le seul tort était d’espérer s’affranchir du joug colonial et avoir droit à la dignité en se débarrassant du statut avilissant «d’indigènes».
Ces crimes contre l’humanité constituent l’un des plus horribles épisodes que la France coloniale ait signé de son arsenal criminel dont le degré de barbarie n’avait d’égal que la haine et le mépris que nourrissaient à l’égard des Algériens les forces coloniales et leur milices venues participer à des crimes qui n’ont épargné ni enfants, ni femmes, ni personnes âgées.
Des personnes désarmées abattues à bout portant, d’autres transportées dans des camions pour être précipitées dans des ravins, ou emmenées en dehors des villes et exécutées, avant que leurs corps ne soient brûlés, puis ensevelis dans des fosses communes. Des fours à chaux étaient également utilisés par l’armée française pour se débarrasser des cadavres des victimes.
C’est pourquoi, chaque année, la date du 8 mai revient dans les mêmes circonstances de commémoration, réveillant les mémoires et convoquant l’histoire tragique écrite par la France coloniale. Il en sera de même, et plus encore, pour ce 8 mai 2021, qui arrive dans une étape marquée par le retour de la question mémorielle au-devant des relations algéro-françaises, notamment depuis que le rapport de l’historien Benjamin Stora sur la colonisation française en Algérie, commandé par le Président Macron, ne vienne, en janvier dernier, produire l’effet contraire à l’apaisement attendu, jetant la crispation dans les relations entre les deux pays. Pendant ce temps, Abdelmadjid Chikhi, Directeur général des Archives nationales, qui a traité le travail réalisé par Stora de «rapport franco-français» n’a toujours pas remis son propre rapport, dont il a été chargé par Abdelmadjid Tebboune. S’étant imposée comme dossier incontournable aux rapports bien particuliers entre les deux pays depuis la loi de février 2005 sur les bienfaits de la colonisation, votée puis abrogée par le président Chirac, après avoir été dénoncée par des historiens, la question mémorielle a été remise d’actualité brûlante par Emmanuel Macron, une douzaine d’années plus tard, en février 2017.
Lors de sa campagne électorale, en février 2017, le candidat à la présidentielle française n’avait pas hésité à lancer sa fameuse phrase «la colonisation était un crime contre l’humanité», s’engageant même à inscrire sa démarche vis-à-vis de l’histoire dans la logique de cette sentence susceptible d’être interprétée comme le début d’un changement qui mènera la France à reconnaître ses crimes commis en Algérie.
Ouvrant la voie à l’une des pressions exercées par de nombreux intellectuels et historiens algériens, mais aussi français, dans le but de pousser la France au repentir et à formuler des excuses pour les crimes commis, l’engagement du chef d’Etat ne pouvait se faire sans risque de déclencher une volée de réactions hostiles de la part de la droite et de l’extrême droite françaises. Macron a, certes, opéré quelques actes qui peuvent être versés à son compte de «bonne foi», mais le traitement de la question mémorielle mérite assurément bien plus que ce qui a été fait, ou encore de ce que propose de faire le rapport de Benjamin Stora, accueilli d’un «pas de repentance ni excuses» par l’Elysée.
Pour la partie algérienne, il mérite, entre autres, que la France sort de son silence concernant les massacres du 8 mai 1945 et qu’elle reconnaisse ses crimes, comme l’attendent les descendants des victimes. Sauf que ce silence est toujours de mise chez la France officielle. Pour preuve, en réaction au rapport de Stora, en janvier dernier, l’Elysée avait souligné que «le chef de l’Etat participera à trois journées de commémoration dans le cadre du 60e anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie en 1962, la Journée nationale des harkis le 25 septembre, la répression d’une manifestation d’Algériens le 17 octobre 1961 et les Accords d’Evian du 19 mars 1962.
Du coup, la date du 8 mai 1945 semble avoir été éludée pour toute la charge historico-symbolique qu’elle porte en ses entrailles et dans la mémoire du peuple algérien. Ce n’est pas d’ailleurs par le seul souci de repère de calendrier que le président de la République a décidé, l’année dernière, d’inscrire cette date parmi les célébrations nationales, en décrétant le
8 mai «Journée nationale de la mémoire», soulignant que
«notre Histoire demeurera toujours au premier plan des préoccupations de l’Algérie nouvelle et de celles de sa jeunesse, une Histoire que nous ne saurions, en aucun cas, omettre dans nos relations étrangères».