L’affaire Bouraoui a provoqué une nouvelle et inattendue mésentente politique et diplomatique entre Alger et Paris, suscitant de vives discussions et des commentaires symptomatiques de la difficulté et de la singularité des relations entre les parties algérienne et française. Vers quoi cette brouille va-t-elle conduire ? En attente d’une réponse, les regards sont braqués sur El Mouradia et l’Elysée…
Par Kahina Sidhoum
«L’indicateur serait l’entretien téléphonique.» Celui qui parle est un cadre dirigeant d’un parti politique algérien lors d’un dîner où l’on commente la « sévère » brouille que l’affaire Amira Bouraoui a provoquée entre Alger et Paris. L’usage du conditionnel chez cet homme politique est d’une fausse prudence. Il est persuadé en vérité que « c’est le coup de fil que tout le monde attend » des présidents Tebboune et Macron qui sera le baromètre du bilatéral entre Alger et Paris.
« Attendre combien de temps ? Des semaines ou des mois ?». La question posée à l’unisson vaut surtout pour le projet de voyage que le président Tebboune devait effectuer à Paris pour relancer une relation prise de froid durant l’automne 2021 et balisée en guise de réchauffement par la « Déclaration d’Alger pour un partenariat renouvelé » signée fin août 2022 par les deux chefs d’Etats.
Ce document ambitieux a d’ailleurs servi de fil d’Ariane à la visite à Alger de la Première ministre Elisabeth Borne en octobre 2022. Il est constitué de six grands axes que les gouvernements algérien et français ont identifiés et choisis pour travailler ensemble.
Il s’agit du «dialogue politique», de «l’histoire et mémoire» pour «assurer une prise en charge intelligente et courageuse des problématiques liées à la mémoire », de la «dimension humaine et mobilité», du «partenariat économique et pour la transition énergétique », de la «coopération éducative, scientifique, culturelle et sportive » et, enfin, de la « jeunesse ».
Des dossiers pour lesquels il y a eu déjà de nombreux échanges et visites de part et d’autre de la Méditerranée, dont celle effectuée, fin janvier 2023 à Paris, par le chef d’état-major de l’ANP Said Chanegriha, une première depuis dix-sept ans pour un officier algérien de très haut rang.
Celui consacré par exemple à la question mémorielle a vu la mise en place d’une commission mixte composée d’historiens des deux pays et dont la partie française a été désignée par l’Elysée, fin janvier 2023, quelques semaines après l’installation par le président Tebboune de la partie algérienne, début décembre 2022. Celui consacré à la « coopération éducative et scientifique » ainsi qu’à la jeunesse a permis l’organisation réussie à Alger d’un forum sur les enjeux climatiques, « Ensemble pour la nature, Notre futur » avec la participation d’associations africaines et européennes.
Celui consacré à l’économie, s’il ne sera pas annulé ou reporté, devrait être marqué le 16 mars prochain, « comme début », d’une nouvelle édition par Business France des « rencontres Algérie » sur la «dynamique économique à l’œuvre en Algérie » et « les opportunités partenariales » entre opérateurs algériens et français.
L’ambassadeur de France, un départ à la retraite prévu de longue date
Tous sont des « sujets » pour lesquels les parties algérienne et française ont travaillé – «dans le sens de leurs intérêts réciproques » – et dont le calendrier dans l’immédiat reste dépendant du projet de visite en France du chef de l’Etat, M. Tebboune.
Ira, n’ira pas ? Son séjour à Paris, selon un communiqué de la présidence de la République, le 15 janvier dernier, était programmé pour mai prochain. La mésentente causée par l’affaire Bouraoui semble l’avoir compromis, mais El Mouradia qui a rappelé son ambassadeur à Paris, Saïd Moussi, s’est abstenu de toute formule officielle sur le sort réservé à cette future visite.
Même silence à l’Elysée, alors qu’un porte-parole du Quai d’Orsay a déclaré, jeudi 9 février, que « la France continue à travailler à l’approfondissement de sa relation bilatérale avec l’Algérie, dans l’esprit de la Déclaration d’Alger». Un dessein que s’est formé l’ambassadeur de France, M. Gouyette, depuis son arrivée en poste à Alger et avant sa retraite en août prochain.
Le départ du diplomate, « ministre plénipotentiaire », était prévu de longue date, selon une loi de la Fonction publique française de 2011 qui fixe la limite d’âge des hauts fonctionnaires à 67 ans (elle était de 65 ans auparavant). Il a été annoncé, selon la procédure, sur le JORF six mois avant qu’il ne devienne effectif. n