Par géopolitique, il faut évidemment comprendre la guerre en Ukraine et les développements qu’elle pourrait avoir dans les prochaines semaines, voire les prochains mois si le conflit perdure sur les relations entre l’Algérie et les Etats-Unis.
Par Lyes Sakhi
Sur le papier, les deux pays ont depuis des décennies des liens politiques et sécuritaires importants. Mais ils ont connu durant ces derniers temps une évolution négative, loin de ce qu’ils étaient durant les années 1990, période de conflictualité politique et diplomatique pourtant en raison de la situation interne en Algérie ; loin, également, de ce qu’ils étaient durant la première décennie 2000 durant laquelle on ne comptait pas les visites publiques et non publiques que les deux parties se sont rendues sur différents sujets politiques et économiques, même si les questions de défense et de sécurité ont toujours dominé l’agenda algéro-américain. Les relations entre Alger et Washington ont été sérieusement malmenés durant le règne du républicain Donald Trump à la Maison Blanche (2017-2021) et de sa politique étrangère en Afrique d’une manière générale et en Afrique du Nord d’une manière particulière. L’ancien président US a considéré en décembre 2020, presque à la fin de son mandat pour le moins inédit dans l’histoire contemporaine des Etats-Unis et de son establishment, que le Sahara occidental était marocain, tournant le dos à la légalité internationale, aux Nations unies et à ses résolutions sur ce dossier depuis 1975. Il a surtout créé un précédent géopolitique et géostratégique dans la sous-région en permettant à Israël de devenir un acteur nouveau dans l’espace maghrébin en normalisant ses relations avec le Maroc moyennant la reconnaissance des Etats-Unis de la «souveraineté» de Rabat sur un territoire éligible à la décolonisation suivant les grandes décisions du Conseil de sécurité de l’ONU depuis près d’un demi-siècle maintenant. Si l’ex-président Trump s’est retiré dans sa résidence de Mar-a-lago en Floride et s’active à remobiliser ses troupes pour une éventuelle nouvelle candidature à la Maison Blanche en 2024, la séquence géopolitique qu’il a ouvert en Afrique du Nord ne s’est pas fermée. Le chef de la diplomatie algérienne Ramtane Lamamra a, dans une déclaration récente à des médias français, parlé de «nuances» nouvelles dans le bilatéral algéro-US, la réalité est que le Département d’Etat américain ne semble pas réellement pressé de revenir à la période d’avant décembre 2020. Le statu quo qu’il cultive sur le projet de l’ancienne administration Trump de créer des représentations consulaires au Sahara occidental témoigne de cet atermoiement américain vis-à-vis de ce dossier dont on sait toutefois qu’il est synonyme depuis novembre 2020 de rupture du cessez-le-feu entre le Maroc et les indépendantistes sahraouis en vigueur depuis 1991 et de reprise des hostilités entre Rabat, considéré par le droit international comme puissance occupante, et le Polisario qui lutte pour «l’autodétermination du peuple sahraoui».
Statu quo
Pourquoi cet atermoiement ? Deux réponses possibles à cette interrogation : le Maghreb, hormis les questions sécuritaires, n’est pas une priorité pour la politique étrangère des Etats-Unis aussi bien en Afrique qu’en ce qui concerne le continuum Afrique du Nord-Moyen-Orient (Mena). Les Etats-Unis ont, avec le Maroc, une relation qualifiée de «stratégique» qui, outre la question d’Israël et autres, recouvre des domaines militaires qu’ils ne partagent pas avec l’Algérie qui achète le principal de son armement en Russie. On suppose alors que la Maison Blanche et le Département d’Etat ne veulent pas s’aliéner un Etat maghrébin, le Maroc, qu’il considère comme un partenaire avec lequel il existe un programme de coopération important dans le domaine militaire et de Défense. Les lignes peuvent-elles bouger ? Les relations entre l’Algérie et les Etats Unis sont «fortes» et «importantes», a dit, le 5 mars dernier, l’ambassadeure des Etats-Unis à Alger, Mme Elisabeth Moore Aubin. La perspective, at-elle ajouté, est de les consolider en approfondissant «le dialogue stratégique bilatéral» entre les deux Etats. Tout dépend du crédit qu’on peut accorder aux déclarations d’une diplomate qui a déjà travaillé en Algérie à un poste subalterne, mais important au sein de l’ambassade des Etats-Unis à Alger – des déclarations qui sont toujours d’usage rassurant et positif – mais on peut considérer que, outre les domaines de coopération régulés depuis longtemps entre le pays, le sursis que son pays maintient sur le dossier du Sahara occidental (ni dénonciation réelle de l’initiative Trump ni position franche et tranchée sur la nécessité de revenir à la légalité international même si Washington soutient l’effort onusien de renvoyer dans la région un nouvel émissaire spécial en la personne de Staffan De Mistura depuis sa nomination à ce poste par le secrétaire général Antonio Guterres en octobre 2021) peut être compris comme un signe de nouvelle inflexion à venir. Mais ce n’est pour l’instant qu’une hypothèse. Celle-ci pourrait connaitre un début de vérification à l’aune de la guerre en Ukraine et du chambardement géopolitique qu’elle produit sous nos yeux et à l’occasion de la tournée régionale qu’effectue la secrétaire d’Etat adjointe Wendy Sherman depuis le vendredi 4 mars dans plusieurs pays à commencer par la Turquie et l’Egypte et qui devrait la conduire en Algérie les 9 et 10 mars courant après une escale au Maroc les 8 et 9 mars. L’arrivée de la numéro deux du département d’Etat intervient après le vote à l’Assemblée générale des Nations unies, le 2 mars 2022, de la résolution condamnant «l’invasion russe de l’Ukraine». Si l’abstention de l’Algérie durant ce vote a du sens et peut se comprendre aisément, celle du Maroc (qui ne n’est pas présenté au vote) incite à se poser, pour les raisons en cours au moins depuis la normalisation de ses relations avec Israël, de nombreuses questions sur l’état actuel de sa relation avec Washington et ses alliés occidentaux et de sa stabilité vis-à-vis de partenaires traditionnels qui, dans leur confrontation avec la Russie, comptent leurs alliés au chiffre près. A suivre donc, avec ce rappel important, que le prochain vote onusien sur le Sahara occidental est prévu en avril prochain. <