A la veille du 1er Novembre, l’universitaire et intellectuel Ali El Kenz nous quittait au terme d’une maladie qui l’a emporté, alors qu’il avait encore beaucoup de choses à dire et à écrire sur le monde et son pays, l’Algérie, qu’il n’a jamais cessé de questionner au cours de son long itinéraire universitaire et de recherche en sociologie, en sciences humaines et en économie. Pour poursuivre notre hommage à cette figure attachante et incontournable du champ universitaire maghrébin et méditerranéen, on est allé interroger le journaliste, et surtout l’universitaire, Ahmed Cheniki qui a croisé M. El Kenz à plusieurs occasions avant de connaître ses textes et son œuvre…

Reporters : Ali El Kenz vient de nous quitter. Que représente-t-il vraiment au sein de l’intelligentsia et du monde universitaire algérien et maghrébin ?
Ahmed Cheniki : El Kenz était un intellectuel ouvert, qui cherchait à saisir les bruissements de la société et à interroger le monde des idées, en épousant les contours d’un regard fait d’une altérité non prisonnière des espaces conceptuels dominants et d’un européocentrisme qui réduit le monde à l’Europe. Il était très engagé dans les questions intéressant la cité. Déjà, début des années 1980, il publie un ouvrage très critique sur l’économie de l’Algérie, signé d’un pseudonyme, paru chez Maspero. Il avait ses principes. Il a beaucoup travaillé sur l’univers intellectuel dans les pays arabes et entretenait d’excellentes relations avec de nombreux intellectuels arabes comme Tizini, Jalal Al Adam, Hichem Djait, Mehdi Amel et bien d’autres. Il voulait contribuer à la mise en œuvre d’un discours permettant le questionnement sérieux de la machinerie conceptuelle dominante.

Le défunt s’est intéressé aussi bien au système économique algérien et à l’industrie naissante, qu’il a abordé par le biais de son travail sur la sidérurgie ou sur les hydrocarbures avec Mahfoud Bennoune et le fameux livre entretien avec Belaïd Abdesselam, qu’à la production des idées. D’où lui venait cet éclectisme, si on peut désigner ainsi son intérêt pour des champs d’étude si différents ?
On ne peut aujourd’hui travailler en dehors du terrain et de la mise en rapport de toutes les disciplines des sciences humaines et sociales. Il faut ajouter à cela qu’El Kenz a toujours été séduit par les jeux de la politique, de la culture et de la sociologie. C’est vrai que son terrain de départ était la sociologie industrielle. Il avait beaucoup travaillé sur la SNS d’El Hadjar. Il écrivait et lisait beaucoup. Il aimait énormément la littérature. Il animait, à la fin des années 1970, une page consacrée aux grands écrivains et philosophes du siècle sous le pseudonyme de Hocine Lotfi. Le livre-entretien avec Belaïd Abdeslam et fait avec Mahfoud Bennoune était né surtout du désir de Belaïd Abdeslam, qui était proche de Bennoune, de parler de son parcours, surtout qu’il était, à l’époque, l’objet de nombreuses critiques. Ce texte a permis de révéler de nombreuses choses, au niveau de l’économie et de la gestion du pouvoir. Pour lui, un intellectuel devait être partie prenante de sa société tout en prenant une certaine distance avec son objet au niveau de l’analyse.

Que restera-t-il de l’héritage d’Ali El Kenz en tant qu’universitaire et intellectuel ? Et quel usage en faire ?
J’aime beaucoup le travail qu’il a entrepris sur la SNS, un travail de terrain qui a permis de mieux saisir les contours de cette entreprise et de l’industrie algérienne. La lecture de ses travaux est primordiale. On ne sait jamais ce que laisse tel ou tel intellectuel ou tel ou tel penseur parce que le savoir d’aujourd’hui est fait d’accumulation. Mais ce que je sais, c’est qu’il a énormément apporté à la réflexion et au débat social et politique. <