Au moment où la révision des statuts de la santé publique, censée améliorer les conditions socioprofessionnelles du personnel de la santé, est toujours au niveau de la Fonction publique depuis près de deux mois, le débat sur l’exode des médecins algériens vers l’étranger revient sur le devant de la scène avec l’accélération, ces dernières semaines, du nombre des départs.
Par Sihem Bounabi
En effet, le docteur Mohamed Bekkat-Berkani, président du Conseil de l’Ordre national des médecins, a affirmé, hier sur les ondes de la Chaîne III de la Radio nationale, qu’il y a «une accélération ces dernières semaines de l’émigration des médecins algériens vers l’étranger».
Face à ce constat alarmant, Dr Mohamed Bekkat-Berkani a appelé les pouvoirs publics à trouver rapidement des solutions : «Les pouvoirs publics doivent absolument essayer de trouver des solutions et faire évoluer les conditions matérielles et l’exercice de la médecine qui sont devenus de plus en plus techniques.» Il estime également qu’il est aussi important «de faire évoluer les conditions socioprofessionnelles et faire évoluer la progression de carrière des jeunes médecins pour essayer de garder le maximum de médecins algériens».
Concernant l’adoption d’une nouvelle législation au courant de ce mois de février, en France, facilitant l’installation des médecins étrangers dans ce pays, dont notamment des cartes de séjour pour les médecins et leurs familles, même s’il estime que «c’est de bonne guerre du fait que la France est dans une situation de difficultés médicales par rapport à leur numérus clausus et que les médecins étrangers deviennent essentiels au fonctionnement de leur système de santé», il tient néanmoins à dénoncer le fait que «ces pays-là n’ont probablement pas le droit, après avoir pillé les ressources naturelles en tout genre, de piller les ressources humaines». Il commente à ce sujet que «ces pays devraient réfléchir à l’éthique des relations internationales, parce qu’un exode de l’intelligentsia se fera au détriment des pays émergents et rejaillira sur les pays qui ont reçu cette main-d’œuvre spécialisée et intellectuelle». En insistant sur le fait que «dans l’équilibre du monde et dans l’équilibre des nations ces pays, ne devraient pas faire ce genre d’appel d’air car ce n’est pas très éthique ni très convenable par rapport aux relations internationales».
Tout en reconnaissant que l’émigration des cerveaux a de tout temps existé de la part des pays émergents vers d’autres pays développés, qui ont des moyens et des situations professionnelles plus valorisantes, Dr Bekkat-Berkani se désole que «ce n’est pas très éthique d’adapter leur législation pour accueillir cette émigration choisie qui est une espèce de philosophie coloniale pour pouvoir pallier une situation donnée dans leur pays et ensuite les jeter comme un kleenex».
«Le nationalisme ne suffit pas»
Le constat amer que fait le président du Conseil de l’Ordre national des médecins est que «l’Algérie forme des médecins, sachant que cette formation coûte cher à l’Etat, qui sont prêts à l’emploi et aptes à évoluer et qui, finalement, vont évoluer à l’étranger».
Il enchaîne en soulevant encore une fois l’urgence de trouver des solutions internes, en soulignant qu’«en matière de médecine, le nationalisme ne suffit pas, il faut faire un véritable retour sur soi et voir ce qui n’a pas fonctionné». Martelant qu’«en tant qu’Etat, je suis responsable de retenir les médecins que j’ai formés. Il faudrait que je discute avec eux et que j’améliore leurs conditions socioprofessionnelles ; il n’y a pas d’autres solutions.»
Le président du Conseil de l’Ordre national des médecins réitère encore une fois son appel pour trouver des solutions notamment à travers un véritable dialogue avec les jeunes médecins pour trouver un remède efficace contre ce malaise profond qui touche la santé publique. Il affirme à ce propos que «nos jeunes médecins se sentent abandonnés. Nous avons un sentiment de la part des jeunes collègues de désespérance concernant leur situation sociale et leur statut professionnel». Affirmant qu’«il faudrait que les pouvoirs publics, en particulier, mais également les institutions et les associations, analysent les raisons profondes du départ massif des médecins algériens vers l’étranger pour trouver en urgence des solutions rapides et immédiates».
Pour rappel, l’année 2022 a été marquée par de nombreuses alertes lancées par les syndicats de la santé sur le départ massif des médecins algériens du secteur public vers l’étranger, qualifié de «véritable hémorragie». Dr Mohamed Yousfi, président du Syndicat national des praticiens spécialistes de la santé publique (SNPSSP), avait affirmé à Reporters que «durant ces vingt dernières années, il y a plus de 20 000 médecins qui ont quitté le secteur de la santé publique. C’est une véritable saignée que nous avons dénoncée depuis des années», estimant que «le phénomène de l’exode des médecins est beaucoup plus profond et plus grave que l’on pense, parce que le système de santé publique est en train de se vider de ses compétences et entre-temps, les dysfonctionnements s’aggravent».