Journaliste de profession et écrivain bilingue, amoureux de la lecture et de l’écriture, Abdelkader Harichane est auteur de nombreux ouvrages et fictions sur l’actualité politique du pays durant ces trois dernières décennies, « le FIS et le Pouvoir », « la Tragédie algérienne et ses hommes », « le Thé chez le FLN », « Stèle », « Quand Moscou couvrait l’élite militaire arabe », « Journal du Hirak, le sursaut algérien ». « Boufarik fi zaman el corona » est son dernier récit de fiction en langue arabe sur la pandémie mondiale vue sous un angle local. Verbatim.

Propos recueillis par Leila ZAIMI
Reporters : Vous avez édité un récit sur le coronavirus dans la ville de Boufarik. D’où vous est venue cette idée pour un journaliste politique comme vous ?
Abdelkader Harichane :
C’est la ville où est apparu le premier cas de contamination de la Covid-19 en Algérie. Cela m’a inspiré pour parler de cette ville qui fut le premier village colonial créé par les colons en 1836, qui se sont partagé les terres fertiles après avoir exterminé les habitants de la Mitidja. Comme elle est devenue ville morte au temps du terrorisme et à ses particularités que je reprends dans le roman.

Abdelghafour est le protagoniste de votre histoire. Il est très observateur et curieux. Il parle de tout et de rien. Il pose beaucoup de questions et essaie d’analyser pour comprendre le monde. Est-ce des réminiscences du journaliste que vous êtes ?
Vous avez touché la fibre sensible. En effet, mon personnage est curieux. C’est un peu moi. Je me pose un tas de questions et je lis beaucoup pour trouver des réponses. J’ai découvert des choses curieuses que j’expose, en mettant en doute la « chose », la pandémie.

Que nous dit la pandémie sur l’état du monde et de l’Algérie ?
Oui, la pandémie est devenue un phénomène international. Elle a mis le monde à genoux pour des raisons inavouées, tant la campagne médiatique était sidérante, au point de faire marcher le monde tête baissée, avec le masque et les yeux bandés, SVP.

Boufarik a décidément une histoire moderne, à part le terrorisme dans les années 90, puis le coronavirus en 2020. Comment percevez-vous ces aspects de la ville ?
Boufarik est la porte ouest d’Alger, mais elle a l’aspect d’une ville peu récalcitrante. Elle a souffert terriblement du terrorisme et maintenant de la pandémie, plus que les autres villes. Elle a vécu la diète pendant un an. Mais elle demeure fidèle à sa ligne de conduite, vivotant grâce à sa zelabia qui serait un don de Dieu, n’est-ce pas ?

Couvre-feu sécuritaire et couvre-feu sanitaire, c’est la même chose pour vous ?
Boufarik était sous couvre-feu, en raison de la particularité que j’ai citée. Mais il faut faire la part des choses. Les années rouges étaient plus tragiques et plus dramatiques.
La décennie noire est un thème qui revient à chaque fois dans les chapitres du roman. Pourquoi n’arrivez-vous pas à le solder ?
Cela fait partie de notre histoire contemporaine. On ne peut le nier. Beaucoup de gens, en effet, disent qu’il ne faut pas ouvrir les plaies. Jusqu’à quand ? Qui écrira notre histoire, si on ne le fait pas tout de suite ? C’est peut-être le chapitre qu’on veut absolument fermer. Je rappelle que l’histoire de la Révolution a été écrite par les autres, à leur manière. Moi, je m’oppose à cette amnésie collective.

Le Hirak est l’un des thèmes de votre roman…
En effet, le Hirak est omniprésent parce qu’il représente un nouveau souffle, un nouveau moment dans l’histoire politique du pays, un nouveau réveil d’un peuple qui veut prendre son destin en mains et s’affirmer dans sa vocation d’accoucheur d’histoire. C’est le véritable enjeu. Ce genre d’éveil collectif n’arrive qu’une fois en un ou deux siècles. Il faut le lire en tant que bénédiction et non point comme une conspiration.

Après tout ce que le monde a vécu depuis l’apparition de ce virus, qu’est-ce qui est pour vous essentiel : de repenser chez nous et dans le monde ?
Comme en 1945, je pense qu’il y aura, après la fin de la pandémie, une remise en cause de toutes les lois qui régissent le monde, pire que Bretton Woods qui a posé les balises, plutôt les règles qui gouvernent le monde jusqu’à ce jour. Nous allons bientôt assister à une nouvelle reconsidération des lois qui régissent le nouvel ordre. Pour les conflits de demain, déjà, il n’y aura plus de guerres classiques mais des guerres de ce genre avec des virus faits en labos, des guerres cybernétiques ou électroniques ou boursières ; les prémices sont là, il suffit de bien observer et bien filtrer les informations qu’on nous distille au fil des jours.