L’entretien que nous avons eu avec l’ambassadeur Mariano Simon Padros est parti d’une conversation libre, à partir des derniers chiffres des Douanes algériennes sur le commerce extérieur, sur les seules questions économiques et commerciales entre l’Algérie et l’Argentine. De fil en aiguille, l’échange a évolué avec un réel plaisir vers d’autres sujets en connexion avec l’actualité de la relation bilatérale entre les deux pays. Verbatim.
Entretien réalisé par Nordine Azzouz
Reporters : Selon les chiffres du commerce extérieur algérien pour le 1er semestre 2022, l’Argentine est au 4e rang des pays fournisseurs. Votre pays est classé derrière la Chine, la France et le Brésil. N’est-ce pas une bonne performance ?
L’ambassadeur Mariano Simon-Padros : Ce classement concerne le 1er semestre 2022. Il est susceptible de connaitre des changements d’ici la fin de l’année. Il faut donc attendre la fin de l’exercice et les chiffres du second semestre pour avoir une évaluation précise des exportations de l’Argentine vers l’Algérie. Cela dit, les échanges commerciaux entre les deux pays ne datent pas d’aujourd’hui. Ils ont toujours été réguliers même dans les périodes exceptionnelles comme au plus fort de la crise sanitaire – en 2020-2021 – et ils devraient se poursuivre avec des perspectives de développement dans les domaines de la coopération et du partenariat économiques.
Le constat est que la relation entre l’Argentine et l’Algérie reste dominée par les échanges commerciaux dans le domaine des produits agricoles essentiellement…
C’est vrai. L’explication est que l’Argentine est considérée – à juste titre – comme une puissance agricole. Elle figure parmi les principaux exportateurs mondiaux de produits agro-alimentaires et parmi les gros fournisseurs des marchés d’Afrique du Nord. Bien entendu, l’Algérie en fait partie et elle se classe parmi les clients traditionnels dans ce secteur. Entre les deux pays, la relation commerciale dans ce domaine-là demeure solide. Elle se développe suivant une constance proportionnelle aux besoins de l’Algérie et à la qualité de l’agro-industrie de l’Argentine.
La filière argentine des oléagineux est très sollicitée…
Oui, parmi les principaux produits fournis, il y a le maïs, la poudre de lait, le soja et ses produits dérivés et le blé. Ceux-là représentent plus de 90% de nos exportations vers l’Algérie. L’intention, de notre part, est de continuer à consolider les échanges dans ce segment des «commodities» comme on dit en anglais à travers les prix compétitifs que nos opérateurs pratiquent face à la concurrence internationale, mais l’objectif, c’est d’aller bien au-delà : se lancer dans la coopération et le partenariat pour des produits à valeur ajoutée.
Dans quels domaines par exemple ?
Dans le domaine du machinisme et de l’équipement agricoles, il y a, à mon avis, des liens mutuellement bénéfiques à créer. L’expertise de nos ingénieurs et de nos techniciens dans la valorisation de l’amont agricole, notamment dans les Hauts-Plateaux et au Sahara, peut être également profitable aux deux parties. La priorité étant accordée en Algérie à la sécurité alimentaire, l’Argentine est prête à partager son expérience en matière de nutrition et d’agriculture durables. Une coopération dans l’activité de la production animale et de l’élevage bovin est également possible, suivant les choix et les intérêts du partenaire algérien. Le dessein est d’équilibrer la balance commerciale entre les deux pays, d’acheter en Argentine davantage de produits algériens, une perspective tout à fait réalisable avec l’effort remarqué en Algérie de diversifier l’outil économique national.
Quels sont les produits algériens exportés actuellement vers l’Argentine ?
Pour de petits marchés, il s’agit, essentiellement, de quatre produits : l’urée, les polymères naturels, le ciment et, pour les produits agricoles, la datte «Deglet nour»…
Il est un domaine où l’Argentine est présente, mais discrètement, celui du médicament…
L’Argentine vend en Algérie depuis 2005 des produits destinés aux soins du diabète, de l’insuffisance rénale et de lutte contre le cancer. C’est un marché encore modeste, mais c’est aussi une expérience et une base d’échange encourageante pour développer de nouveaux liens d’intérêt dans le secteur de la santé et dans celui de l’industrie pharmaceutique, qui peuvent être de grands champs d’investissement commun. En Argentine, l’industrie pharmaceutique est relativement performante en termes économiques et elle est d’un haut niveau en termes de savoir-faire et de maitrise technologique et scientifique. En Algérie, c’est un secteur émergent qui progresse à un rythme prometteur qui le fait déployer dans d’autres pays de la région. Les industriels des deux pays peuvent travailler à développer ensemble des familles de médicaments dont les marchés algérien et régional ont besoin. Je pense en particulier aux biosimilaires et, plus généralement, aux opportunités pour les fabricants de nos deux pays de se lancer dans la production locale, ici en Algérie.
Y a-t-il des laboratoires argentins présents en Algérie ?
Actuellement, il existe trois laboratoires argentins présents en Algérie et d’une capacité d’investir dans le marché local. Ces opérateurs sont en relation de coopération avec des fabricants algériens et les deux parties sont en situation de développer davantage leurs activités si elles le souhaitent : dans l’échange de brevets, dans le conditionnement puis, à terme, dans la fabrication. La coopération entre les agences des produits pharmaceutiques, entre l’ANPP côté algérien, et l’ANMAT, côté argentin, sont, par ailleurs, bonnes et en mesure d’être d’un fort appui à un rapprochement éventuellement plus significatif dans le domaine de l’industrie du médicament. Je crois savoir que dans ce domaine-là, le contexte est favorable avec la priorité donnée par l’Etat algérien au secteur de multiplier les contrats d’intégration et de développement pour satisfaire les besoins des marchés local et africain notamment. Dans ce contexte même, la qualité des relations politiques et diplomatiques entre l’Algérie et l’Argentine est une excellente voie d’accès à un partenariat de vigueur dans le secteur du pharma.
Puisque vous venez de faire mention à la relation politique et diplomatique entre Alger et Buenos Aires, on aimerait savoir si elle a évolué dans le temps…
Toutes choses évoluent en ce monde et celui-ci n’est plus le même qu’il y a trente ou quarante ans. Une constante cependant: la relation politique et diplomatique entre l’Algérie et l’Argentine demeure forte par l’histoire et par le présent. L’Argentine fait partie des pays qui ont reconnu très tôt l’indépendance de l’Algérie. Les deux pays ont établi officiellement leurs relations en 1964, ce qui signifie qu’on n’est pas loin de fêter le soixantième anniversaire de cet évènement bilatéral fondateur. A l’ambassade, nous travaillons pour être au rendez-vous de 2024 pour que cette année soit l’occasion du bilan et de la relance des échanges que nous espérons plus forts en dépit de l’éloignement géographique et des réalités géopolitiques auxquelles les deux pays font face, selon les continents où ils se trouvent et selon les bouleversements qui se produisent à l’échelle mondiale.
Le fond existe en tous cas…
Oui, puisque l’Argentine comme l’Algérie, sont des acteurs historiques du non-alignement. Les deux pays continuent de défendre la même politique et le même positionnement par rapport à la logique des blocs. L’Argentine a toujours défendu le principe du droit des peuples à l’autodétermination. Avec l’Algérie, elle fait partie du groupe dit du «G 77» dont la première rencontre, je le rappelle, a eu lieu à Alger en 1967. Nos deux Etats militent pour le développement des relations entre les pays en développement. Sur les grandes et difficiles questions économiques comme celles relatives à l’endettement, Alger et Buenos Aires partagent des positions communes. Sur la question des Malouines, une cause nationale, nous avons le soutien de la part de la diplomatie algérienne…
En vous écoutant aborder cette proximité politique, on ne s’empêche pas de songer à ce paradoxe qu’en Algérie, aujourd’hui davantage qu’hier, on connait peu de choses de ce qui se passe réellement en Argentine, alors que c’est un pays qui compte dans le monde, qui bouge…
Tout à fait d’accord avec vous. Pour des raisons que je vous laisserai le soin d’expliquer, les anciennes générations en Algérie étaient davantage informées des réalités politiques, sociales et surtout culturelles en Argentine. Elles connaissaient des auteurs comme Borges, Cortazar, Roberto Arlt, Ernesto Sabato ou Bioy Casares. Les jeunes générations ignorent tout d’eux et des auteurs argentins actuels. Elles n’ont pas idée de la création littéraire, poétique et cinématographique dans mon pays et je trouve cela regrettable comme je considère fâcheux le fait que les jeunes Argentins ne connaissent pas grand-chose ou rien du tout à la création culturelle et artistique en Algérie.
Pourquoi ne pas pousser à une meilleure connaissance des uns et des autres…
Ma volonté est d’encourager les échanges et la coopération dans les domaines académique et culturel. En mars dernier, nous avons organisé avec le département d’Espagnol de l’université de Mostaganem un séminaire ayant pour thème l’histoire et la littérature. Il a été entre autres question des voyageurs latino-américains dans le monde arabe au XIXe siècle et des relations culturelles et historiques entre l’Algérie et l’Argentine à cette période de l’histoire. Le président Domingo Faustino Sarmiento (1811-1888), qu’on a évoqué lors de ce séminaire, visita l’Algérie en 1847 et a consacré des pages à l’Algérie . Mais peu de gens, même parmi les spécialistes des cultures hispano-américaines, connaissent cet aspect et d’autres des relations entre les deux pays. Aussi, nous sommes en pourparlers avec l’université d’Alger II pour promouvoir des activités de diffusion de la culture latino-américaine. Cela permettra, je le pense, une meilleure connaissance des réalités d’Amérique latine, passé et présent. Nous cherchons également à établir des relations dans les domaines du livre et de l’édition à travers la traduction. En Argentine, de nombreux auteurs sont traduits et lus. En Algérie, ce n’est pas encore le cas et nous souhaiterions pouvoir traduire, en français mais surtout en arabe, nos écrivains et les faire connaitre du jeune public algérien. Nous pouvons le faire à travers le programme SUR de soutien à la traduction. Depuis sa création en 2010, ce programme de notre Ministère des Affaires Étrangères a accordé des subventions pour la traduction de plus de 1.533 œuvres de la littérature argentine, en 49 langues différentes dans 51 pays .
Des contacts avec le ministère de la Culture à ce sujet ?
Nous travaillons à les établir dans la perspective de marquer l’année 2024 d’une forte empreinte culturelle et artistique. L’objectif, entre autres, est d’organiser une exposition à Alger d’un plasticien argentin de renom. Il est de mettre à l’honneur la littérature argentine au salon international du livre d’Alger (SILA) et de faire venir en Algérie des auteurs argentins. Il est aussi d’organiser un salon sur la littérature algérienne à Buenos Aires ou dans une autre ville d’Argentine. L’essentiel est que la fête du soixantième anniversaire de l’établissement des relations entre nos deux pays ne se limite pas aux seuls aspects institutionnels et officiels et qu’elle implique des acteurs du monde des arts et de nos sociétés civiles et intellectuelles.