Rompant avec le néo-réalisme dominant, Marco Bellocchio, quatre-vingts trois printemps, a toujours été un cinéaste contestataire. Ses films ont  continuellement dénoncé et ouvertement les symboles du conformisme italien : Après le film culte « Les Poings dans les poches » (1966), manifeste d’une jeunesse en révolte, il dénonce l’utilisation de la religion catholique dans « Au nom du père » (1971), procède à une réflexion psychanalytique sur le pouvoir dans « La Marche triomphale » (1976).

Avec Michel Piccoli et Anouk Aimée, il remporte à Cannes deux prix d’interprétation pour « Le Saut dans le vide » (1980), réalise des films subversifs, à l’image du « Diable au corps » qui fait scandale à Cannes en 1986.

Bellocchio sera aussi le premier à évoquer dans « Buongiorno, notte » (2004) l’activisme des brigades rouges et l’enlèvement d’Aldo Moro, Président de la Démocratie Chrétienne, retrouvé mort dans le coffre d’une voiture.

 Il reviendra sur cet évènement tragique avec un formidable documentaire fleuve (300 min), « Esterno Notte » présenté à Cannes en 2021.

Cette année, Marco Bellocchio débarque à Cannes, avec « Rapito » (en Compétition) pour parler d’un autre enlèvement tout aussi dramatique, l’occasion pour lui de dénoncer de manière didactique et sans filtre aucun, les agissements du Vatican, déjà abordé dans « Le Sourire de ma mère » (Cannes, 2002).

Tout commence en 1858, dans le quartier juif de Bologne, ville alors sous le contrôle de l’Eglise catholique, toute puissante, sorte de « capitale des états pontificaux ». Les soldats du Pape font irruption chez la famille Mortara pour emmener Edgardo, leur fils de sept ans qui bébé aurait été baptisé chrétien,  secrètement par sa nourrice, «pour lui épargner l’enfer ».  

Et du coup la loi pontificale, indiscutable, actionne son rouleau compresseur : L’enfant doit par conséquent recevoir une éducation catholique.

S’opère alors un véritable kidnapping qui anéantira les parents d’Edgardo, qui vont tout faire pour récupérer leur garçon.

Malgré l’opinion publique de l’Italie libérale en leur faveur, malgré l’engagement de la presse à leurs côtés, rien n’y fait. Le combat des Mortara qui prend vite une dimension politique sera vain. Le Pape-Roi Pie IX campe sur ses positions et refuse de rendre l’enfant, pour asseoir encore plus un pouvoir autoritaire de moins en moins stable. Le souverain pontife, apparaitra au fil du temps, sous les traits d’un grand ordonnateur de secte.

Dans ce mélodrame, l’histoire familiale croise continuellement l’Histoire italienne, qui verra au prix de multiples tragédies, l’abolition de l’Inquisition et la fin de la domination pontificale sur le pays. Le futur Pape recentrera son pouvoir sur le seul périmètre du Vatican.

Edgardo est donc élevé dans la “Maison des catéchumènes et des néophytes”   séminaire créé pour la conversion, entre autres, des Juifs et des Musulmans, subissant un véritable lavage de cerveau a tel point que devenu adulte, ordonné prêtre, il deviendra un bon prosélyte, essayant même de convertir sa mère mourante.

Marco Bellocchio décrit avec précision cet embrigadement par une église sectaire. Edgardo, trop jeune pour résister, devient ainsi la proie d’un Pape conservateur et fanatique à qui il prêtera,  contraint et forcé, malgré son adolescence, allégeance, en traçant trois croix avec sa langue, sur le marbre du sol de l’imposante chapelle.

« Bien sûr, je ne cherche pas à trouver une explication “simple”, mais assurément, cette conversion radicale, sans qu’à aucun moment Edgardo n’ait le moindre doute, rend son personnage encore plus intéressant. Il nous entraine dans des mondes invisibles à nos yeux mais qui existent pour beaucoup de gens. On peut décider d’observer le “phénomène” de l’extérieur ou bien, avec amour et empathie, essayer simplement de mettre en scène un enfant victime d’une violence morale puis un homme qui, demeuré fidèle à la foi de ses bourreaux (qu’il prend pour ses sauveurs), finit par devenir un personnage qui se passe de toute explication rationnelle. Ceci est un film, pas un livre d’histoire ni de philosophie. Il n’a pas de visée idéologique. »,  a expliqué Bellocchio

Il faut saluer Enea Sala, le jeune acteur qui campe Edgardo Mortara. « Enea est un enfant qui n’a même pas été baptisé, qui n’est jamais allé à l’église, et qui n’est pas juif non plus ! Ce qu’il donne à voir à l’écran, c’est son ressenti du personnage et il l’interprète en évitant cette manière qu’ont les enfants d’imiter ce qu’ils voient à la télévision. Il a apporté quelque chose de très profond à son rôle et c’est une richesse extrême pour le film. Je voulais qu’il se sente libre. L’implication à son égard des autres acteurs du film a également été déterminante. Le risque, c’était qu’il joue comme une marionnette. », poursuit le réalisateur.

« Rapito » est une charge contre le fanatisme religieux, catholique ici. Mais l’actualité pas si lointaine, renseignera sur les méthodes encore plus fanatiques  d’un groupe sectaire et sanguinaire comme Daesh, comme pour nous rappeler également qu’entre cet immonde Pape Pie IX et le sinistre Baghdadi, il n’y a que l’époque qui a changé, que la manipulation et le lavage de cerveaux, sont restées parmi les plus horribles des pratiques exercées par tous ceux qui manipulent la religion, au prix même de rapt d’enfants et d’embrigadement forcé, pour tenter d’étendre, le plus largement possible, leur hégémonie mortifère.

 L’auteur de « Traître » (2019) n’a pas perdu de son mordant et a frappé avec « Rapito» , un grand coup confirmant qu’il est toujours un réalisateur de premier plan, cinquante sept ans après son premier film.